L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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15-Octobre : Grilles de lecture

15-Octobre 

 

Grilles de lecture

 

L'historique du 15-Octobre et les deux commémorations auxquelles il donne lieu continuent à susciter des réactions. Les "20 ans de renaissance démocratique" sont perçus par l'Union générale des étudiants burkinabè (UGEB) comme une insulte à l'intelligence du peuple et particulièrement à celle des étudiants.

Pour Eustache Ilboudo, Thomas Sankara est "un homme de la race des génies supérieurs qui vivent sans rivaux et meurent sans successeur". C'est pour cela qu'il demande la réhabilitation de sa mémoire.

 

 

Sankara vivant

 

Le 15 octobre  1987 dans l'après-midi, vers 16h, le capitaine Thomas Sankara, président du CNR et président du Faso, tombait, en homme brave et digne, sous les coups de boutoir de ses amis qui l'avaient, quatre ans auparavant, porté au faîte des institutions du Faso.

La  nouvelle de la mort subite et violente du capitaine-président avait eu l'effet d'une bombe, secouant et laissant dans l'expectative et la consternation l'opinion nationale et internationale. Un grand homme s'en était ainsi allé, "un homme de la race des génies supérieurs, qui vivent sans rivaux et meurent sans successeurs".

On ne peut mieux se faire une idée de la grandeur de Thomas Sankara vivant qu'en se figurant le sort réservé à sa dépouille mortelle : Thomas Sankara, tout grand président qu'il fût, et ses amis seront ensevelis sous un peu de terre hâtivement raclée, un traitement indigne du dernier des parias.

Il n'aurait donc pas fallu ni suffi que des individus à la gâchette facile, sous la poussée de renards politiciens, assassinassent celui qui était perçu comme une aube d'espoir ; il eut fallu encore qu'on maltraîtât par différentes méthodes un cadavre d'homme, par des manipulations indignes et à l'aide d'injures diffamatoires, inconnues de nos mœurs ancestrales. "Qu'ils sont décevants les militaires !" s'exclamait alors le président François Mitterrand.

Urbi et orbi, Thomas Sankara était un homme peu ordinaire, d'autant plus surprenant à maints égards qu'il était militaire.

 

Il a bu la coupe sans le moindre cri

 

Aujourd'hui encore, et mieux qu'hier, tant à l'échelle internationale qu'à celle du Burkina, des voix d'une référence respectable, en public comme en privé, se voient résignées à s'en remettre, au regard du vide que la mort de Thomas Sankara a créé, au regrettable dicton qui affirme : "Nul n'est prophète dans son propre pays".

Sans doute, Thomas Sankara n'appartient qu'au sérail de ces hommes idéalistes, rêveurs, téméraires et "candidats à la mort" sur les bords (ce curieux "appel du vent"), nés pour mourir en martyrs. Ainsi, il s'en sera allé comme "cela était écrit", et dit par lui, conscient qu'il ne pouvait en être autrement. Salut, Sainte image de Jésus ! Et cela est tout à fait à son honneur qu'il ait accepté de boire la coupe sans pousser le moindre cri...

Aujourd'hui, vingt ans après la mort du président Thomas Sankara, bien des personnes ressentent un mal au cœur, à considérer, au-delà des circonstances de sa disparition, les modalités de son inhumation et la litanie d'injures proférées à titre posthume...

L'homme n'était pas un ange, certes, mais tout de même, méritait-il d'être traîné ainsi, dans la boue, post mortem ?...

Dans son discours de promulgation de la Constitution de la IVe République le 11 juin 1991, le président Blaise Compaoré, ami et frère de case de Thomas Sankara, avait fait l'effort d'élever le défunt président au rang de "Héros national", promettant, dans la foulée, un mémorial qui honorât son nom.

Bien avant ce propos qui n'est pas passé inaperçu, le capitaine Blaise Compaoré, président du "Front populaire", posant les balises de la Rectification, laissait entendre qu'il convenait à Thomas Sankara, tout compte fait, "une sépulture digne du rang qu'il a occupé de son vivant" (cf. discours du 19 octobre 1987).

Qu'en a-t-il été de toutes ces promesses à ce jour ? Force est de reconnaître que le bon discours a été suivi d'un maigre effet.

20 ans plus tard, la sépulture digne se ramène, toujours, à une pauvre pierre tombale, que les "Amis du président des pauvres" blanchissent à la chaux, à l'occasion de chaque 15-Octobre, par politique, par amour ou par pitié...

 

Au Panthéon burkinabè des hommes valeureux

 

Non, il faut le dire, cela ne suffit pas pour réhabiliter la mémoire exceptionnelle de Thomas Sankara. Il faut, désormais, devant Dieu et devant les hommes ; devant le peuple burkinabè ému à l'idée de la vie et de la mort du président Thomas Sankara, ni plus ni moins que des funérailles nationales qui culmineront à l'installation de Thomas Sankara au Panthéon burkinabè des hommes valeureux au regard de leur intégrité et de leur patriotisme, unique sépulture qui pourra enfin réconcilier le peuple burkinabè avec lui-même, au vu de leur nouveau nom de baptème dont Thomas Sankara assure et assume la paternité depuis le 4 août 1984.

Aussi incongru pour certains et inacceptable pour d'autres que cela puisse paraître, le président du Faso actuel, SEM Blaise Compaoré, peut être l'homme de la situation.

En effet, l'évidence est de plus en plus faite aujourd'hui que si Blaise Compaoré a bénéficié de l'épilogue du 15 octobre 1987, et qu'il a su, après un moment d'hésitation, à l'instar  d'un Sangoulé Lamizana le 3 janvier 1966, assurer la continuité de l'Etat burkinabè, il n'apparaît pas avoir été volontaire des événements sanglants du 15 octobre 1987. Il en a, certes, assumé la paternité, mais pouvait-il faire autrement, humainement ?... Blaise était le garant sûr de Thomas Sankara. Bien avant la date du 15 octobre 1987, les antagonismes entre les deux blocs, les deux ailes du CNR, s'étaient cristallisés à un tel degré que l'explosion était inévitable. Comme au Far West, c'était à qui dégainerait le premier. Les deux chefs de file (qui l'étaient à bien des égards malgré eux) se seraient volontiers, de mon point de vue, passé de l'altercation sanglante s'il ne s'en tenait qu'à eux. (Nul ne veut tuer pour tuer, SVP !). Hélas, ils ne s'appartenaient plus ; le crépitement des armes, comme cela est de coutume dans les empoignades entre les hommes en treillis (cf. "canonnade de Noël" entre bidasses et poulets de fraîche date), s'est fait entendre, balançant Thomas Sankara et douze de ses suivants dans l'autre monde. (Info non-événement : il semblerait que Blaise Compaoré comptait des proches parmi les 12 suppliciés, et que par ailleurs l'un d'eux, "le gendarme", n'avait rien à voir dans l'affaire mais se trouvait par hasard sur les lieux pour raison de service).

Se pourrait-il qu'on invoque dans cette sale affaire un cas de légitime défense ?

En tout cas, on s'aperçoit, avec le recul du temps, qu'on ne peut faire grief à Blaise Compaoré pour ce qu'il n'ait pas préféré composer avec la Parque au profit de son ami Sankara. Depuis le Christ Jésus, ils ne sont plus nombreux ceux qui acceptent de donner leur vie pour leurs frères... Sinon, où étaient-ils les inconditionnels, dont moi-même ?...

 

Je peux ressusciter son frère et ami

 

Mais le président Blaise Compaoré peut aujourd'hui "ressusciter" (totalement) son frère et ami Sankara Isidore Thomas en lavant totalement sa mémoire qu'on a pensé pouvoir souiller.

Les arguments politiques contre une réhabilitation pleine et entière de Thomas Sankara n'existent plus ; ont-ils jamais existé du reste ? On s'aperçoit aujourd'hui que les basses injures et la surenchère de tentatives de diffamation qui ont plu sur la personne défunte du président du CNR, président du Faso, le capitaine Thomas Sankara, juste après son supplice, n'ont été justifiées que par la rage envenimée, la rancœur, la malveillance confinant au désarroi, en tout, le désir, en doute, d'installer un nouveau pouvoir, de la part de quelques revanchards triomphants qui, non contents d'avoir désarmé l'adversaire (l'ennemi), se sont mêlés sans coup férir de satisfaire inutilement, mais peut-être sado-masochistement, leurs instincts primaires. Aujourd'hui, cette tornade incandescente est passée et, si la Parque en a épargné, la honte pèse sur plus d'une tête, du lourd poids de la vérité et de leur propre dignité bafouée.

Certainement, les coupables en vie se repentent dans leur lit : "Ce repentir est beau comme l'innocence". "Errare humanum est, perseverare diabolicum". C'est aujourd'hui qu'on mesure à sa juste valeur le mérite du président Blaise Compaoré qui a réussi, dans la tourmente des événements d'hier, et "la folie du pouvoir" d'aujourd'hui, à ne pas être auteur d'une parole d'injure frontale, ou déguisée, à l'endroit de la personne disparue de Thomas Sankara. Nul, je le repéterais à satiété, ne connaît Sankara Isidore Thomas, social, politique, amical, mieux que Blaise Compaoré de Ziniaré.

Si Blaise Compaoré aura eu le tort d'avoir laissé abattre comme un chien son copain, il conserve aujourd'hui, et demain, l'instinct de survie propre à tout être humain, et cela peut se réparer par l'obligation de la réhabilitation pleine et entière (morale et politique) dont il s'agit ici.

(Une parenthèse pour dire que mon petit avis est qu'en matière de valeurs, les deux fils d'hommes burkinabè s'équivalent militairement : aux initiés et à chacun d'apprécier. Sur le plan idéologique (les idées), Blaise Compaoré ne vaut pas l'ombre de Thomas Sankara.

En revanche, sur le plan politique, Thomas Sankara ne vaut pas l'ombre de la bête politique qu'est Blaise Compaoré. Ce dernier est stratège-né.

"Nul n'est saint, sauf Dieu seul", selon la Bible.

Les Saints sont au ciel...

Sur le plan purement militaire, une réhabilitation achevée de Thomas Sankara, à l'occasion ou après le 20e anniversaire de sa disparition, n'entraînerait aucune conséquence négative pour le pouvoir actuel ; l'armée burkinabè, les fameux commandos en tête, étant mieux placés que quiconque pour apprécier l'importance d'une vie sociale apaisée, et la nécessité génératrice d'une réconciliation avec l'histoire.

Le flair politique bien connu de Blaise Compaoré l'amenera certainement, après son élévation en Héros national et la construction du "mausolée personnel Thomas Sankara" promis et qui sera réalisé, à réhabiliter son frère d'armes,  Thomas Isidore Sankara.

Ce serait dommage qu'en la matière, il procédât par pur calcul politique au lieu de poser un acte qui doive avoir à ses yeux aujourd'hui la dimension d'une dette, d'une obligation première à l'endroit d'un camarade, d'un ami, mieux, d'un frère.

Il serait heureux et glorieux pour Blaise Compaoré de redonner, dans sa totalité, son éclat au nom de Thomas Sankara, cela au cours de son mandat de président du Faso élu, sans calcul politique ni pression extérieure.

Si le président du Faso arrivait à faire droit à cette exigence de la morale politique, il aurait réussi, en fait unique, rarissime, en sa quintessence humaine, un formidable rendez-vous avec l'histoire. L'Histoire qui ne meurt jamais.

 

Eustache Ilboudo

L’Observateur Paalga du 17 octobre 2007



17/10/2007
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