L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Alpha Blondy : «Il ne faut pas confondre Blaise et François Compaoré»

Alpha Blondy

«Il ne faut pas confondre  Blaise et François Compaoré»

 

Sur le chantier du futur siège du Festival d'Abidjan de la Réconciliation, de la Réunification et de la Reconstruction (FESTARRR), l'homme se confond avec les ouvriers : culotte bariolée, tee-shirt, chaussures de montagne et bonnet orange. Bouteille de Porto Condivo sur la table, Alpha Blondy devise, grillant cigarette après cigarette, avec des amis.

«Papa», résonne une voix d'ange. Soukéina, la fille qu'il a eue avec sa femme coréenne, ne le quitte pas d'une semelle.

Toujours en verve, Jagger, le célèbre rasta ivoirien, ne déroge pas à sa réputation : avec le franc-parler qu'on lui connaît, il s'exprime ici sur l'action du président Blaise Comparé dans la résolution de la crise ivoirienne, et sur ses relations actuelles  avec le chef de l'Etat burkinabé. De l'affaire Thomas Sankara à l'assassinat du journaliste Norbert Zongo, Alpha Blondy n'a pas fait, comme à son habitude, dans la langue de bois ce samedi 16 juin 2007 au village de Modeste à Grand-Bassam.

 

 

Quel est ce chantier en bordure de mer qui te retient ces derniers temps ?

 

• Comme tu le vois, je suis en train de construire un hôtel, une station balnéaire. Elle servira d'abord de site au FESTARRR (Festival d'Abidjan de la Réconciliation, de la Réunification et de la Réconciliation [NDLR : prévu pour le 7 août, fête nationale ivoirienne, à Abidjan, et le 9 août à Bouaké]. Il sera, si Dieu le veut, le plus grand festival africain. Le podium sera là [NDLR : en haut où s'est déroulé le présent entretien] et le public sera aligné en face tout au long de la plage. Il y aura des chambres en haut ici,  pour que les officiels puissent suivre le concert.

Après le festival, ça deviendra un hôtel de 50 chambres avec une piscine à l'eau de mer, une grande boîte de nuit et un restaurant.

 

Tu as à ton actif beaucoup d'investissements immobiliers, aussi bien en Côte d'Ivoire qu'à l'étranger. Es-tu en train de te désengager de la musique comme gagne-pain ?

 

• Non. Il faut le dire à mes fans. Mais dans le show-biz, il y a le mot business. Si tu n'es pas capable d'utiliser le côté "bisness" du show, c'est peine perdue. Moi, je fais la musique, je gagne de l'argent, et j'investis dans autre chose.

 

Ton prochain festival sera dédié à la paix en Côte d'Ivoire. Il vient de se tenir à Yamoussoukro la première réunion du Cadre permanent de concertation (CPC) en présence du facilitateur, Blaise

Compaoré. Que t'inspirent les conclusions de cette rencontre ?

 

• La route qui mène à la paix est très longue. Alors n'allons pas vite.

Pour moi, il n'y a pas de conclusions à faire pour le moment. Blaise Compaoré essaie de faire avancer le processus de paix. Il écoute les uns et les autres. Il fait des compromis à droite et à gauche. L'essentiel est que la machine soit toujours en marche, que le processus se poursuive. Je crois que le président du Faso est bien placé pour faire aboutir le processus de paix.

 

Pourquoi est-il bien placé pour faire aboutir le processus ?

 

• D'abord, parce qu'il est un Ivoirien à part entière. C'est un beau-frère, car sa femme, comme vous le savez, est Ivoirienne.

Lui-même a étudié ici, donc il connaît bien le côté chatouilleux des Ivoiriens. En somme, le président burkinabé est un membre de la famille. Il va nous aider à aller vers la paix. Voilà pourquoi je dis qu'il est le mieux placé pour faire aboutir le processus de paix.

 

Ce qui signifie que tu fondes de réels espoirs sur les accords de Ouagadougou ?

 

• Bien sûr. Je suis de nature optimiste. Quand j'ai rencontré le Moogho Naaba [l'empereur des Mossis], il m'a dit quelque chose qui m'a beaucoup touché : il m'a dit, qu'en tant que messager de la paix, ma mission était d'encourager toute initiative qui pourrait ramener la concorde en Côte d'Ivoire. Depuis qu'on signe des accords sur la crise, ce sont ceux de Ouaga que l'on prend au sérieux. Je suis donc amené à encourager ces accords. Alors, je veux qu'on soutienne Blaise. Sa mission est  délicate,  difficile.

 

Mais concrètement, depuis l'éclatement de la crise, qu'est-ce que tu as fait pour le retour de la paix dans ton pays ?

 

• S'il y a Ouaga, c'est qu'il y a eu Alpha. C'est moi qui ai été le premier à parler de dialogue direct. Je suis à l'origine du dialogue direct ivoirien.

 

Vraiment ?

 

• Tout le monde y a contribué. Mais c'est moi qui ai dit au président Gbagbo et à Soro que trop de cuisiniers, ça gâte la sauce. Il fallait qu'ils se parlent directement. Ce n'est pas l'ONU qui allait les obliger à faire la paix. Elle est une question ivoiro-ivoirienne. C'est ce que Gbagbo et Soro ont compris, et aujourd'hui, ça donne des fruits.  Je ne cherche pas à tirer la couverture à moi. J'ai discuté de l'idée du dialogue direct avec beaucoup de personnalités ivoiriennes et non ivoiriennes, qui m'ont beaucoup encouragé. J'ai aussi réussi à établir le dialogue entre Blé Goudé [président du mouvement des jeunes patriotes, pro-Gbagbo] et les jeunes de l'opposition.  Aujourd'hui, c'est Blaise Compaoré qui est en charge du dossier,  et nous devons tous l'encourager.

 

Quittons un peu le terrain politique pour celui de la musique. Bientôt un nouvel album sur le marché ?

 

• Il y a un CD qui est déjà prêt et qui sortira en juillet ou en août. Mes fans seront gâtés, car il  comporte  18 titres.

 

Et tu parles de quoi, toi qui es un musicien engagé ?

 

• Comme tu es un frère burkinabé, je t'annonce à l'avance qu'il y a une chanson dans l'album à paraître qui s'appelle Thomas Sankara.

Le titre en est «Un vaccin anticoup d'Etat». Tout Africain qui va l'écouter ne voudra plus jamais de coup d'Etat.

 

Dédier une chanson à Thomas Sankara, tu ne crains pas de froisser la susceptibilité de Blaise Compaoré que tu viens de magnifier ?

 

• Pourquoi ?

 

En revenant encore sur cette affaire qui dérange forcément.

 

• Pourquoi ?

 

Parce que l'un est venu au pouvoir par suite d'un coup d'Etat sanglant marqué par l'assassinat de l'autre.

 

• De toute façon, entre les deux, c'était un duel. C'était ou Blaise ou Thomas. On ne va pas reprocher à Blaise Compaoré d'avoir survécu.

 

Certains lui reprochent plutôt d'«avoir fait assassiner» Thomas Sankara.

 

• Attends. Vous auriez préféré que ce fut l'autre qui assassinât Blaise alors ? Une chose est sûre : quand il y a un coup d'Etat, les frères d'armes finissent par être des ennemis. Le cas ivoirien est là. Il y a bien d'autres. Pourquoi j'ai pris le cas Thomas Sankara, pour dire que c'est un vaccin ? Parce que Blaise n'avait pas le choix.  C'était ou Thomas ou lui. En tant que Burkinabè, tu le sais. Alors, on ne va pas reprocher à Blaise d'avoir gagné. C'est pour éviter ce genre d'équation qu'il faut que les coups d'Etat cessent. Et dans ma chanson, je suis formel. Vouloir venger Sankara serait de la bêtise politique. De l'antidémocratie.

 

Il y a des partis sankaristes qui voudraient pourtant le faire, mais par la voie des urnes.

 

• Justement, il faut instaurer le pouvoir des urnes contre le pouvoir des armes. Le cas Sankara doit amener les Africains en général et les Burkinabè en particulier à abandonner  la logique du pouvoir des armes. Passons par celle des urnes.  Le pouvoir des armes a fait couler beaucoup de sang.

 

On dit que ton tout dernier concert à Ouaga a été une occasion pour toi de te réconcilier avec Blaise Compaoré. Cela, parce que lors d'une précédente prestation, tu aurais offensé le président du Faso en jouant en sa présence ta chanson très politique, «Les imbéciles».

 

• C'est faux, archifaux, complètement faux, bêtement faux et tout ce qu'il y a de faux.

Faux comme un cul. Je vous le répète, Blaise Compaoré est notre beau-frère. Il est le plus Ivoirien de tous les Burkinabè. Je ne vais tout de même pas venir dans son pays et… Ecoutez, je ne suis pas mal élevé, moi. Venir dans son pays et dire imbécile ? Attends, ça va pas la tête ? 

J'ai eu à m'expliquer quand j'étais à Ouaga. Ce que tu ne sais pas, c'est que lors de mon dernier séjour dans la capitale burkinabè, ma garde personnelle était constituée par des éléments de la sécurité de Blaise. Je pouvais me rendre là où je voulais. La garde était avec moi, même en boîte. Tu as vu le grand accueil qui m'a été réservé à Ouaga ? J'en ai pleuré. Le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire sont un même pays. C'est la Haute et la Basse Côte. Le reste, les gens peuvent raconter ce qu'ils veulent.

J'ai écrit une lettre à Blaise pour lui dire de me donner un terrain afin que je construise à Ouaga Le café de Versailles [Réplique de sa salle de spectacles abidjanaise dotée d'un restaurant et considérée comme la plus grande salle de spectacles  privée en Afrique].

 

As-tu reçu une réponse favorable ?

 

• Non, il ne m'a pas encore répondu. Mais Kady [Aminata Glez/Diallo, responsable de FET'ART] et Alex Bamba [journaliste-communicateur ivoirien et auteur d'un livre sur le chef de l'Etat burkinabè avec qui il est ami] sont sur le dossier. Blaise Compaoré est un grand frère.

 Je suis un protecteur des intérêts africains. Je ne suis pas là pour descendre nos chefs. Je suis leur avocat. Même quand j'ai chanté Norbert Zongo, je l'ai dit, il ne faut pas confondre François [frère cadet du président burkinabé] avec Blaise Compaoré.

 

Quand tu dis de ne pas confondre les deux, qu'est-ce que tu entends par là ?

 

• Les gars de la commission d'enquête n'ont pas mis Blaise Compaoré en cause. Ils parlent plutôt de François. Et celui-ci n'est pas celui-là. Il faut éviter l'amalgame. Même au niveau de Reporters sans frontières (RSF), j'ai dit non, le frère du président n'est pas le président. Si le chien du président mord quelqu'un, est-ce le président qui l'a mordu ?

Il faut être droit dans la vie. Moi, je voudrais être droit. Je ne veux pas d'amalgame.

 

Entretien réalisé par

Alain Saint Robespierre

L'Observateur Paalga du 26 juin 2007

 



26/06/2007
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