L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Amélie Hien, universitaire à Sudbury : Ma vie au Canada

Amélie Hien, universitaire à Sudbury

Ma vie au Canada

 

Elle a été pendant quelques années l'égérie de la rédaction de «l'Observateur Paalga» dont elle a fait partie de 1994 à 1995. Belle femme s'il en est (pourquoi s'en cacher), elle doit sans doute être le prototype de ce qu'on appelle une tête bien pleine dans une tête bien faite. La sociabilité en plus, ce qui n'est pas toujours gagné d'avance. Partie faire un doctorat en linguistique au Canada voilà douze ans, Amélie Hien y enseigne aujourd'hui, précisément à l'Université Laurentienne de Sudbury, petite ville tranquille (à peine 200 000 habitants) dans l'Ontario.

Venue en vacances, quoiqu'elles soient studieuses, elle a rendu visite à ses anciens confrères et collègues la semaine dernière. Nous en avons profité  pour réaliser l'entrevue que vous allez lire avec celle qui ne tient plus le dictaphone depuis longtemps, en tout cas, plus en tant que journaliste.

 

 

Comment t'es-tu retrouvée au Canada ?

 

• J'avais obtenu une bourse du Programme canadien des bourses de la Francophonie (PCBF) qui  me permettait d'aller faire un doctorat à l'Université de Montréal. C'est pour cette raison que j'ai quitté Ouagadougou en 1995, après mon DEA en linguistique, pour le Canada.

 

Cela fait quand même douze ans, et tu y es toujours. Que fais-tu en ce moment ?

 

• J'enseigne au Département d'études françaises et de traduction à l'Université Laurentienne à Sudbury. C'est une ville située à environ cinq heures de voiture d'Ottawa. J'occupe ce poste depuis deux ans.

 

Quelles sont les matières que tu enseignes ?

 

• J'ai dispensé divers cours déjà. L'année dernière, j'ai enseigné l'initiation à la linguistique, la morphologie générale, le français et les médias, la rédaction scientifique et technique et, cette année, la grammaire contemporaine et la composition avancée en français pour des étudiants anglophones. L'Université Laurentienne est une université bilingue et la ville de Sudbury, même si elle est située en Ontario, compte environ 30% de francophones. J'ai aussi proposé un nouveau cours, un cours de terminologie, que je vais probablement enseigner à partir de l'année prochaine.

 

Ton poste à l'Université Laurentienne est récent. Qu'as-tu fait entre-temps depuis que tu es partie en 1995 ?

 

• J'ai fait d'abord ce pour quoi j'y étais allée, c'est-à-dire un doctorat en linguistique/option terminologie de la santé que j'ai soutenu en février 2001. Par la suite, j'ai travaillé comme assistante de recherche pour un professeur à la télé université du Québec (à Montréal). De 2002 à 2004, je suis revenue en Afrique, au Bénin pour être plus précise, où j'ai travaillé dans le secteur de l'alphabétisation et de l'éducation des adultes pour le compte de l'Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC). A l'issue de ce contrat de travail, je suis retournée au Canada où, pendant un an, j'ai enseigné le français, langue seconde, à des fonctionnaires du gouvernement fédéral dans une école de langue à Ottawa. C'est de là-bas que j'ai postulé pour le poste que j'occupe actuellement. 

 

Est-il facile de s'insérer là-bas dans le marché de l'emploi ?

 

• Ce n'est pas facile, mais cela est possible, puisque je l'ai fait, et avant moi, d'autres immigrants, parmi lesquels des Burkinabè, l'ont fait. Dans ce domaine, je pense que c'est chacun selon sa chance. Toutefois, il est vrai que certains domaines offrent plus de possibilités que d'autres, et le domaine de la linguistique, de mon point de vue, n'est pas forcément des plus intéressants en matière d'opportunités de travail. Je dois aussi avouer, malheureusement, qu'il n'est pas aisé de s'intégrer au marché du travail au Canada avec un diplôme étranger. Dans mon cas, c'était différent parce que j'avais un Ph.D  canadien. Dans tous les cas, un bon diplôme et la persévérance sont, à mon avis, des éléments clés lorsqu'on entreprend une recherche d'emploi.

 

Quel est l'avenir qui t'y est réservé aujourd'hui ?

 

• Bien malin qui saurait prédire mon avenir aujourd'hui (rires…). En fait, j'occupe à l'Université Laurentienne un poste qui mène à la permanence. Cependant, pour obtenir cette permanence, comme dans toute université digne de ce nom, il faut faire ses preuves. Entre autres choses, il faut que j'obtienne de la part de mes étudiants de bonnes évaluations en ce qui concerne les cours que je dispense, parce que là-bas (c'est bon à savoir) les professeurs sont évalués par leurs étudiants dans les différentes matières qu'ils enseignent. Ensuite, il faut que je m'investisse dans la recherche – les activités permettant la visibilité du chercheur et de son institution d'attache sont particulièrement importantes. De plus, il me faut être active sur le plan des publications (articles scientifiques, livres, etc.). Je pense que je suis sur la bonne voie pour l'obtention de ma permanence.

 

Parle-nous de la vie au Canada

 

• Elle est bien sûr différente de la vie d'ici, car le contexte est différent. On vit et on fonctionne à une vitesse folle le plus souvent. Cela a ses bons et ses mauvais côtés. Au niveau professionnel, c'est très exigeant. Par ailleurs, même si on a des facilités et des avantages sur certains plans comme ceux de la santé et de l'éducation des enfants (la disponibilité de certains services et la gamme de choix existant dans certains domaines), il demeure que, dans les rapports interpersonnels par exemple, on n'a pas toujours la chaleur humaine qu'on peut avoir ici.

 

Comment s'articule une journée type d'Amélie Hien ?

 

• Je me lève en général vers 6 heures, ensuite j'aide mon fils (il a 9 ans) à se préparer pour l'école (petit déjeuner, toilette, préparation de sa boîte à lunch-son déjeuner qu'il amène à l'école-), et je me prépare à mon tour. Par la suite, je conduis mon fils à l'école et je me rends à l'université. Généralement, j'arrive à mon bureau vers 9 heures. Les jours où j'enseigne, mon premier cours débute à 10h, et le dernier finit à 17h30 ; ce qui me laisse juste le temps de répondre à quelques questions des étudiants et de retourner très rapidement à mon bureau pour y déposer mon matériel de cours. Il faut ensuite que je me rende à l'école de mon fils en priant le Ciel d'y arriver à temps. Le service de garde où reste mon fils après ses classes ferme à 18 heures, et si j'arrive en retard, je dois payer des pénalités de retard.

Lorsque nous arrivons chez nous, je prépare le souper tout en aidant mon fils à faire ses travaux d'école. Nous mangeons en général vers 19h, un peu à la Burkinabè, car les Canadiens soupent beaucoup plus tôt. Une fois que mon fils est couché, j'abandonne mes souliers de  mère pour chausser ceux de professeur. Je prépare alors mes cours, corrige les travaux de mes étudiants et/ou travaille sur des projets de recherche, de communication ou d'article. La plupart du temps, j'ai des journées bien remplies, quelquefois même un peu trop. Je me couche rarement avant minuit.

 

 

Quels sont tes loisirs, si tu en as, avec un tel agenda «surbooké» ?

 

• J'en ai très peu en ce moment, car, comme le suggère votre question, je n'ai pas beaucoup de temps pour moi. Toutefois, lorsque je peux me permettre de me détendre chez moi, je regarde des films. Je regarde beaucoup de films en espagnol pour ne pas perdre tout ce que j'ai pu acquérir dans les cours d'espagnol que j'ai pris l'année dernière et cette année. Dernièrement, j'ai participé à quelques entraînements de football (soccer) avec des collègues de l'université et des agents d'autres institutions de la place. Il m'arrive quelquefois d'aller jouer au tennis, activité sportive à laquelle je m'adonnais déjà ici avant d'aller au Canada. D'ailleurs à ce propos, j'ai pu constater que la pratique de ce sport prend de l'ampleur au Burkina. En effet, j'ai vu que de nouveaux cours de tennis sont prévus dans le parc Bangr-Weogo.

 

Y a- t-il une forte communauté burkinabé dans ce pays ?

 

• Je ne peux pas vous dire exactement combien de nos compatriotes vivent au Canada, mais je sais qu'il y a beaucoup de Burkinabè. Il y a de plus en plus d'étudiants qui arrivent chaque année, et certains d'entre eux, après leurs études, y travaillent et y séjournent de façon temporaire. Il y a aussi des Burkinabè qui  immigrent avec leur famille au Canada et s'y installent.

 

La chaleur des gens d'ici ne te manque pas ?

 

• Cela me manque beaucoup. Et c'est pour cette raison que je reviens régulièrement pour voir mes parents ainsi que mes amis et pour refaire le plein d'énergie avant de repartir. Vous savez, il y a des facilités que nous avons au Burkina et en Afrique en général, mais que nous ne pouvons pas avoir au Canada. Par exemple au Canada, je suis à la fois ma propre femme de ménage, une maman, une nounou, une enseignante, etc.

 

Les mets typiquement burkinabè ne te font-ils pas défaut ?

 

• Quelquefois seulement, car on trouve nombre des produits que nous consommons ici au Canada. Il est vrai qu'à Sudbury nous ne disposons pas d'un grand marché de produits exotiques, mais à Montréal et à Toronto, par exemple, vous allez êtres surpris de la gamme de produits disponibles. On  peut trouver du gombo frais, des bananes plantains (aloco), de la patate douce, des ignames, du gingembre, etc. Je fais des provisions lorsque je suis dans ces grands centres. De plus, lorsque j'ai une occasion en provenance du Burkina, je me fais souvent envoyer des produits comme la poudre de gombo sec, du soumbala, des grumeaux à base de farine de petit mil pour la bouillie et le dèguè, etc. Je prépare de temps en temps du tô et c'est généralement avec de la semoule de blé ou de la farine de maïs, qu'on trouve sur place.

Je dois avouer que ce qui me manque vraiment, c'est, d'une part, la bonne cuisine de ma mère - surtout ses boulettes de viande de pintade et sa sauce de feuilles d'oseille- et, d'autre part, le bon poulet bicyclette du pays dont la saveur est inégalable.

 

Souhaiterais-tu rentrer au Burkina, ou vas-tu t'établir pour de bon au Canada ?

 

• Pour le moment, tout se passe assez bien pour moi, et j'ai acheté une maison l'année dernière là-bas. Par conséquent, je pense que je resterai au Canada pendant, au moins, quelques années encore ; à moins que tu n'aies quelque chose de mieux à me proposer ici (rires…).

Toutefois, je reste très attachée à ce pays qui m'a vue naître et grandir. J'essaie, dans la mesure du possible, de préparer des projets qui puissent être bénéfiques à la fois à mon pays d'origine et à mon pays d'accueil.

 

Quels sont justement les projets que tu as en tête ?

 

• J'ai trois projets de recherche en cours. Le premier, que je mène en collaboration avec une de mes collègues de l'Université Laurentienne, s'intitule : «Les habitudes vestimentaires et les mots pour en parler à Ouagadougou (Burkina Faso) et à Sudbury (Canada)». Comme toute langue, le français évolue selon les usages, lesquels dépendent – dans une certaine mesure - du temps et de l'espace. C'est ainsi que les variantes du français sont empreintes, entre autres, d'éléments régionaux, culturels, etc. Le but de cette recherche est de faire ressortir les similarités et les divergences sur les plans terminologiques (les mots) et phraséologiques (les expressions) en ce qui concerne le domaine du vêtement chez les Ouagalais et les Sudburois. Cette étude va s'intéresser également aux habitudes vestimentaires (matériel, styles et valeurs culturelles qui s'y rattachent).

 

Qu'en est-il de ton deuxième projet de recherche ?

 

• En fait, c'est une partie de ma thèse de doctorat que je voudrais développer afin d'en faire un livre. L'objectif que je vise dans cet autre projet est de présenter les dénominations (noms) des maladies et des symptômes en julakan (langue communément appelée jula) à travers la conceptualisation des notions (significations/sens) et la matérialisation de ces dénominations sur le plan formel. Par exemple, lorsqu'on dit sukarobana, qui signifie littéralement 'maladie du sucre' pour désigner le diabète en julakan, on peut voir ici, comme dans bien d'autres cas,  que c'est la cause (supposée ou réelle) de la maladie qui permet de former la dénomination de la maladie. Sur le plan formel, c'est le procédé morphologique de la composition (association de mots) à partir de sukaro 'sucre' et bànà 'maladie' qui permet la matérialisation du nom de cette maladie. Mon travail va me conduire à peaufiner mon analyse initiale des termes du domaine de la médecine traditionnelle en julakan afin de mettre à jour la logique (scientifique ou non) et la systématique qui en ressortent.

 

Même si tu es en vacances, on ne peut pas dire que ton présent séjour ici sera une promenade de santé

 

• Non, en effet !

 

Parle-nous maintenant du troisième projet

 

• Ce projet entre dans le cadre du programme «Soutien et renforcement de l'excellence universitaire» des Projets de coopération scientifique et interuniversitaire (PCSI) de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Il implique trois structures différentes : 

- l'Institut National des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) de Ouagadougou  à travers la participation de Monsieur Issa Diallo qui fut un de mes professeurs à l'Université de Ouagadougou ;

- l'Unité mixte de recherche : Langage, langues et cultures d'Afrique noire (LLACAN) du CNRS  de Paris ;

- l'Université Laurentienne à travers  ma participation.

J'espère que nous obtiendrons le financement que nous avons sollicité afin de pouvoir réaliser ce projet qui vise la facilitation de la maîtrise de la langue française à partir des langues partenaires, pour une meilleure contribution à l'émergence d'une culture scientifique en milieu rural africain.  Dans ce cadre, nous comptons élaborer deux lexiques spécialisés unilingues en français  (l'un en biologie et l'autre en  calcul) et deux lexiques bilingues francais-peul/ peul-français dans les mêmes domaines.

 

Quel souvenir gardes-tu de ton passage, même éclair, dans la presse et comment de loin juges-tu l'évolution des médias burkinabé ?

 

• Je garde un excellent souvenir du temps que j'ai passé à l'Observateur Paalga. Par ailleurs, je pense que j'ai pu capitaliser l'expérience que j'y ai acquise, notamment dans le cadre du cours « Le français et les médias » que j'ai enseigné l'année dernière. En effet, malgré la disponibilité de bons ouvrages dans le domaine, rien ne vaut une expérience concrète, une expérience vécue.

En ce qui concerne l'évolution des médias, elle est notable. Je crois que les médias burkinabé ont su intégrer, dans la mesure de leurs moyens, les technologies de l'information et de la communication non seulement pour faciliter le travail qu'ils effectuent, mais aussi pour se rendre plus accessibles. J'apprécie particulièrement le fait que je peux, de chez moi à Sudbury, lire la presse burkinabé à n'importe quel moment du jour ou de la nuit.

Sur le plan de la liberté d'expression par contre, j'estime que nous avons encore du chemin à faire, lorsque je pense, par exemple, à l'Affaire Norbert Zongo et au «dénouement» que celle-ci a connu.

 

En dehors de tes recherches, comment comptes-tu agrémenter tes vacances ?

 

• Avec beaucoup de poulets flambés (rires…). C'est toujours un plaisir pour moi de revenir au Faso. J'espère, en dehors des recherches que je dois effectuer, pouvoir passer d'agréables moments avec ma famille et revoir le maximum d'amis possible.

Avant de clore cet entretien, je voudrais remercier l'Observateur Paalga de l'intérêt porté à ma modeste personne ainsi qu'à mes activités.

 

Entretien réalisé par

Boureima Diallo

L'Observateur Paalga du 10 juillet 2007



10/07/2007
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