L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Anaki Kobéna, président du MFA (opposition ivoirienne) : «Si jamais...»

Anaki Kobéna, président du MFA (opposition ivoirienne) 

«Si jamais...»

 

 

Le verbe haut, les gestes vifs, l’humour sarcastique, cet opposant au président Laurent Gbagbo est pourtant membre fondateur du Front populaire ivoirien (FPI). La prison, il l’a connue trois ans durant sous le règne de feu le président Félix Houphouët-Boigny. 

Entré en dissidence en 1992 avec ses partisans d’hier, Anaki Innocent Kobéna crée, la même année, le Mouvement des forces d’avenir (MFA). Ministre des Transports dans le gouvernement de réconciliation, il sera limogé trois ans plus tard en 2006 suite à l’affaire des déchets toxiques, scandale politico-financier à propos duquel il continue de clamer son innocence. Un des quatre leaders du RHDP (coalition de partis d’opposition houphouëtistes constituée du PDCI-RDA d’Henri Konan Bédié, du RDR d’Alassane Ouattara, du MFA et de l’UDPCI du défunt président le général Guéi), Anaki Kobéna multiplie les appels à une candidature unique de l’opposition pour la présidentielle prévue pour le premier trimestre 2008.

Au siège de son parti au 2 Plateaux Vallon, le vendredi 15 juin 2007, le fougueux opposant crache ses vérités sur la crise qui secoue son pays depuis cinq ans, nourrit des espoirs sur les accords de Ouaga. Mais face aux velléités de confiscation du pouvoir par le camp de la refondation, (mouvance présidentielle) il prévient : «La Côte d’Ivoire va basculer dans une guerre civile encore plus sanglante» 

 

Qu’est-ce qui vous a conduit à la rupture avec vos camarades du FPI ?  

 

J’ai quitté le FPI en 1992. La raison, c’est qu’à ma libération après trois ans de détention sous le régime du président Félix Houphouët-Boigny, j’ai senti quelques dissonances entre le discours officiel du FPI et certaines pratiques politiques qui, à mon sens, auguraient déjà ce que nous avons connu lorsque ce parti est arrivé au pouvoir : la démagogie, le populisme, bref, tout ce qu’il fallait dire pour plaire au peuple afin d’accéder au pouvoir. Le FPI est entre les mains de personnes qui ne se soucient pas du tout de l’intérêt du peuple. Elles entendent seulement jouir des privilèges. Je l’ai senti très tôt et m’en suis écarté très tôt. 

Aujourd’hui, au regard de tout ce qu’on observe, tout le monde me donne raison.

 

Vous avez sans doute suivi les résolutions prises à l’issue de la première réunion du cadre permanent de concertation (CPC) à Yamoussoukro. Votre sentiment.

 

Je dirais d’abord que nous devons une gratitude exceptionnelle au président Blaise Compaoré pour la manière avec laquelle il s’est impliqué  dans la crise et pour son autorité dans le processus de paix. La population ivoirienne commençait à s’inquiéter parce qu’il n’y avait presque plus d’acquis depuis la signature des accords de Ouaga. Et l’on se demandait si on ne partait pas encore au rythme des autres accords précédents comme ceux de Lomé, de Pretoria et autres. Il fallait donc marquer un coup et Blaise Compaoré a compris qu’il fallait qu’il paye de sa personne, qu’il vienne à Yamoussoukro se présenter aux populations ivoiriennes et aux décideurs de cette crise. 

Le principal acquis de la rencontre, c’est le principe de maintenir le poste de haut représentant de l’ONU pour les élections. Il n’est pas question que l’on laisse l’organisation de la présidentielle entre les seules mains du parti au pouvoir. Il y a certes une commission électorale indépendante (CEI). Mais celle-ci, à notre avis, risque d’être fragilisée au dernier moment. Il est impératif qu’il y ait une autorité neutre pour superviser le processus électoral et surtout pour l’arrêter au cas où, au dernier moment, et de manière flagrante, on se rendrait compte que le ministère de l’intérieur ne joue pas son rôle.

Autre acquis majeur de Yamoussoukro, c’est la décision d’ouvrir les médias d’Etat à toutes les forces politiques. Cela est très important, car la télévision ivoirienne actuelle est à 100% entre les mains de Laurent Gbagbo et de ses hommes. C’est scandaleux et il faut redresser la situation. Il y a aussi le grand quotidien d’Etat, Fraternité matin,  dont le fonctionnement est supporté par le contribuable, mais qui ne fait que défendre la position du camp de Laurent Gbagbo et de celui de la Refondation.

 

Vous avez parlé de l’autorité de Blaise Compaoré dans le dialogue direct. Autorité sur quel camp des protagonistes ? Soutiendriez-vous aussi qu’il est le parrain des ex-rebelles ?

 

Comme tout le monde, j’ai beaucoup entendu cette critique, cette insinuation. Mais on peut répliquer par une espèce de réponse du berger à la bergère. Si peut-être sur le plan géographique, les rebelles ont utilisé le territoire du Burkina Faso comme base arrière pour attaquer la Côte d’Ivoire, on ne peut pas dire qu’il y a plus de rapport entre Guillaume Soro et Compaoré qu’il y en a entre celui-ci et Laurent Gbagbo.

Je pense qu’il faut reconnaître qu’en ce moment, au niveau de l’Afrique de l’Ouest, le président Compaoré, de par sa rigueur, inspire la confiance. C’est pour cela que je dis qu’on peut compter sur son autorité pour nous sortir de la crise. Nous pensons qu’avec lui, les uns et les autres tiendront leurs engagements. 

 

Justement, parlant d’engagements, des voix s’élèvent du camp de la Refondation pour rejeter la décision de maintenir le poste de haut représentant de l’ONU pour les élections. Déjà des risques de remise en cause des accords de Ouaga ? 

 

Cela prouve que le camp de la Refondation, de Laurent Gbagbo, n’entend pas jouer franc-jeu.

Si les élections sont claires et transparentes, si on n’utilise pas les forces de l’ordre, constituées à 80% de partisans de Gbagbo, le FPI n’a aucune chance de remporter la présidentielle. Si le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) parvient à s’entendre sur la candidature unique comme le préconise le MFA, les chances du président Gbagbo seront nulles.

 

Mais, à entendre certains leaders, l’on a l’impression que vous prêchez dans le désert en ce qui concerne cette candidature unique.

 

 Officiellement, je prêche dans le désert. Mais lorsque je rencontre les états-majors des autres partis, il y a un autre son de cloche. Mieux, je suis même encouragé. Et c’est pour cela que je continue de prêcher, comme Saint Jean-Baptiste, dans le désert.  

 

Reste à pouvoir s’entendre sur le choix de la personne qui incarnera l’opposition. 

 

Déjà, tous les états-majors des quatre partis sont d’accord sur le principe (1). Il reste à attendre le moment psychologique favorable.

 

Lequel des leaders du RHDP semble, selon vous, avoir le profil requis ?

 

Justement. Et si le choix ne porte  sur aucun d’entre eux ? Qu’est-ce que vous en savez ? Attendons donc.

 

Au cours de votre conférence de presse avant-hier  [NDLR : l’interview a été réalisée le vendredi 15 juin] ici même, vous avez prévenu que la Côte d’Ivoire basculerait dans une guerre civile plus sanglante si Gbagbo tentait une confiscation du pouvoir. Voyez-vous déjà des signes de tentatives de hold-up électoral ?

 

Je pars de certains constats. 

D’abord, depuis 2002, les recrutements dans l’armée, dans la police, la gendarmerie, les eaux et forêts et la Douane sont constitués à 80% d’éléments choisis par Laurent Gbagbo. Toutes ces recrues, par reconnaissance, seront prêtes à damner leur âme pour le président.  Ensuite,  il y a la situation actuelle du corps de la magistrature. Seuls les juges acquis à la cause de la Refondation occupent aujourd’hui des postes de responsabilités. 

Il y a enfin le phénomène des jeunes patriotes. C’est une redoutable force de répression et d’exécution au service du parti au pouvoir.

Au vu de tout ce qui précède, il y a des raisons de craindre un hold-up électoral.  Mais si jamais Gbagbo tente le forcing, le peuple descendra dans la rue, et la Côte d’Ivoire basculera dans une guerre civile plus sanglante.

 

Les élections sont repoussées au premier trimestre de 2008. Cette nouvelle échéance pourra-t-elle enfin être respectée quand on sait qu’il reste beaucoup à faire ? Je pense notamment aux audiences foraines, à l’établissement des cartes électorales, au désarmement des milices et à la question des grades des ex-combattants.

 

A mon avis, quelle que soit la période de 2008, si tout ce que vous venez d’évoquer est résolu et qu’on est sûr d’aller à des élections transparentes, le retard serait bon à prendre. Le premier ministre, Guillaume Soro, l’a dit : «Il ne faut pas faire de fétichisme de dates».

Que ce soit au premier ou au dernier trimestre de 2008, pourvu qu’il y  ait des élections transparentes. 

La première tentative de désarmement, on l’a vu, était une parodie, une comédie. C’est la preuve qu’il y a une volonté de tricher.  

 

Ministre des Transports dans le gouvernement de réconciliation, vous avez été révoqué suite à l’affaire des déchets toxiques déversés en plusieurs endroits d’Abidjan et qui ont fait plusieurs victimes. Quelle est votre part de responsabilités dans ce scandale dit du Probo Koala ?

 

Pour ce qui est des responsabilités, je n’en ai aucune. Si un tel scandale se reproduisait, il serait vite établi que le ministre des Transports, en tant que tel, n'y est ni de prêt ni de loin impliqué.  Les confusions de cette affaire du Probo Koala sont nées du fait que beaucoup de gens ne savent pas qu’en Côte d’Ivoire, les ports et les aéroports ne dépendent pas du ministre des Transports. Ils sont du ressort de celui chargé des Infrastructures et des Travaux publics. C’est une grande aberration et je vous apprends que dès mon entrée au gouvernement, j’ai bataillé ferme pour que cette situation change. Mais je n’ai pas été écouté. 

Aujourd’hui, les langues commencent à se délier. Le navire en question était un pétrolier qui cherchait à se débarrasser de ses déchets. Tous les ports que l’affréteur a contactés ont refusé parce que la cargaison était d’une très grande toxicité. Même la Hollande qui dispose d’une société très spécialisée dans le traitement de ce genre de déchets a décliné l’offre. 

C’est finalement à Abidjan que des gens ont dit être capables de s’en charger alors qu’ils n’ont pas mesuré tous les risques. Mais certains hauts responsables qui auraient pu éviter le scandale se sont tus. Après les faits, le navire, qui aurait dû être bloqué au port, est reparti avec l’accord de hauts responsables du port. C’est ça qui est la vérité.

 

Et qui sont ces hauts responsables qui ont fait lever l’ancre au navire incriminé ?

 

Pour le moment, je me réserve de divulguer leurs noms. 

 

(1) NDLR : Dans un entretien paru dans le N° 2423 de Jeune Afrique (celui du 17 au 23 juin 2007), l’ancien président Henri Konan Bédié proclame son opposition à la candidature unique, qui «est  idéale, mais à l’impossible  nul n’est tenu».

 

Entretien réalisé par

Alain Saint Robespierre

L’Observateur Paalga du 28 juin 2007



27/06/2007
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