L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Prises en charge des fractures : Une matinée chez le rebouteur de Nong-néré !

Prises en charge des fractures

Une matinée chez le rebouteur de Nong-néré !

 

Situé à 15 km de Ouahigouya, chef-lieu de la province du Yatenga et de la région du Nord, le village de Nong-néré a une réputation qui a dépassé les frontières du Pays des hommes intègres. Cette renommée, "le village - qui-aime-le-bien" la doit à une famille de rebouteurs spécialisée dans la prise en charge des fractures. Venant de plusieurs horizons, des patients de toutes sortes y sont accueillis chaque jour que Dieu fait. Qu'est-ce qui explique l'attraction qu'exerce sur les malades ce bled au nom prédestiné ? En repartent-ils tous guéris? C'est ce que nous avons tenté de savoir en nous rendant sur les lieux.  Nous avons également échangé avec les chirurgiens du bloc opératoire de l'hôpital de Ouahigouya pour recueillir leur avis sur la pratique du reboutage de façon générale.

 

Pour se rendre à Nong-néré, il faut emprunter la route Ouahigouya-Tougan, bifurquer 10 km plus loin à gauche, précisément à hauteur du village de Sissamba pour prendre une piste. En cette saison d'hivernage, parcourir les 5 km restants avant d'accéder à Nong-néré relève d'un véritable parcours du combattant. Bourbe et herbes folles, voilà ce qui nous attend. Nous en avons fait l'expérience le mercredi 15 août 2007.

 Il est 9h 30 minutes ce  jour de l'Assomption quand nous apercevons la plaque indiquant Nong-néré. Pas besoin d'un guide pour retrouver la cour du fameux rebouteur. Un attroupement de plusieurs personnes devisant sous un grand  raisinier, et une bâtisse de 03 salles derrière une concession forcent tout de suite l'attention du visiteur.

Autour de la maison en matériaux définitifs, des femmes s'affairent à la cuisine. L'entrée de la cour à peine franchie, nous voilà en présence d'un homme d'âge certain, les soixante-dix en tout cas bien sonnés.  Le maître des lieux, Boukaré Sawadogo dit Moryouré qu'il s'appelle, consultait une jeune fille de dix ans environ, victime d'une fracture du bras gauche. Les accompagnateurs de la malade, deux femmes, dont une expatriée, et leur chauffeur écoutaient religieusement les commentaires du tradipraticien. Leur moyen de transport, un mini car que nous rencontrons régulièrement dans la ville de Ouahigouya, nous a fait penser que ces derniers sont venus d'un centre de santé privé de ladite ville.  Une surprise tout de même ! A côté, un adolescent  sous un petit hangar activait le feu sous un pot de terre noir où mijotait quelque mixture. C'est la décoction devant servir à masser le bras de la patiente.

Venue en quatre roues, cette dernière, comme beaucoup d'autres malades, transportés à vélo ou à motos, fait des navettes entre son domicile et celui du guérisseur selon les jours indiqués pour recevoir les soins. Des cas graves, plus d'une vingtaine, immobilisés, sont hébergés céans avec leurs accompagnateurs, attendant l'amélioration de leur état de santé. La cour familiale est devenue en quelque sorte un centre orthopédique traditionnel. Certains "évacués", à l'aide de béquilles, vont et viennent en guise d'exercice sommaire de rééducation tandis que d'autres, à même les civiaires, se font emmener pour les soins. Des tentes installées tiennent lieux de salles d'hospitalisation. Les plus nantis sont  admis dans le bâtiment en dur à l'extérieur de la cour, construit par El Hadji Yacouba Belem,  bien connu à Ouahigouya pour ses multiples œuvres caritatives. Une autre maison en pierres a été implantée grâce à un agent des impôts actuellement en poste à Ouagadougou.

 

Un travail sans repos

 

Cinq de ses fils assistent le septuagénaire. C'est Hamidou Ouédraogo, l'aîné, qui abat l'essentiel du boulot. Le jour de notre passage, accablé par la fatigue, il présentait des œdèmes aux pieds. Il ne pouvait plus rien faire ce jour. Une aubaine pour les plus jeunes de la fratrie de montrer leur savoir-faire. Frappé par le poids de l'âge, le titulaire supervise tranquillement le travail de ses héritiers. Généralement, la consultation commence le matin à 07h 00 pour finir la nuit vers 23h 00.  "N'importe quel malade qui arrive, quelle que soit l'heure, nous le prenons en charge. Nous nous occupons de 30 à 40 malades chaque jour. Avant, on se reposait les mercredis et les vendredis pour ne s'occuper que des cas urgents. Mais cette époque est révolue. Maintenant nous travaillons tous les jours", raconte le guérisseur.

De tout nouveau malade on exige, comme kit et avant toute consultation, du bois de chauffe, du beurre de karité et une bande de cotonnade.

Quid de la recette utilisée pour les soins ? Elle se résume en des feuilles de tamarinier ébouillantées dans une marmite traditionnelle et dont on se sert pour masser les parties malades avec le beurre de karité comme onguent.

 Le massage se fait dans un endroit bien clôturé, où est placée une  table d'hospitalisation. Les praticiens utilisent du matériel  sanitaire moderne élémentaire pour le pansement des plaies et le bandage des fractures.

 La table d'hospitalisation et les brancards pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer d'eux-mêmes sont des dons d'un ancien pensionnaire du centre orthopédique traditionnel Nong-néré.

 

De la guérison des malades

 

A en croire le  tradithérapeute, la durée moyenne est   de un à deux mois. La plupart des accidentés avec qui nous nous sommes entretenu ont déjà passé plus d'un mois  dans cet "hôpital de campagne". Le cas le plus pathétique reste celui d'un garçonnet de 10 ans souffrant d'une fracture à la colonne vertébrale et aux membres suite à une chute d'un arbre . Il est à Nong-néré depuis deux ans, toujours couché. Celui d'Adama Sawadogo n'est guère mieux : assisté par son père septuagénaire, Adama, assommé sur un chantier d'exploitation de bois en Côte d'Ivoire par un arbre qui tombait, s'en est sorti avec plusieurs fractures aux dos et aux jambes. Après trois mois à l'hôpital en Côte d'Ivoire, il a séjourné six autres mois au CHR de Bobo-Dioulasso avant d'atterrir à Nong-néré il y a de cela plus d'un trimestre. "Maintenant ça va un peu, j'arrive à m'asseoir. Mes jambes se rétablissent mieux", affirme-t-il, optimiste. Son père, gagné tout de même  par le découragement,  fond en larmes en écoutant notre conversation.

"Présentement je suis financièrement épuisé. Nous avons arrêté toutes nos activités, mon fils et moi, depuis son accident. Après neuf mois passés ailleurs et quatre mois ici,  il ne marche toujours pas, c'est inquiétant, même si on sent de l'amélioration", déclare-t-il entre deux sanglots.

"Les soins que nous recevons, nous ne savons pas combien ça va nous coûter à la fin, ni comment nous allons faire pour les payer",  dit d'ores et déjà inquiet le vieux.

Victime d'une fracture à la jambe, Bibi Mariam, Ivoirienne, a quitté sa Côte d'Ivoire natale pour Nong-néré suite aux conseils d'une de ses amies. Vu son état de santé actuellement, elle dit ne pas regretter d'avoir parcouru une aussi longue distance.

Elève de la classe du CE1 à Pobé-Mengao, province du Soum, Noufou Konfé a séjourné d'abord au centre médical de Djibo, d'où il a été transféré au CHR de Ouahigouya avant d'échouer, lui également, à  Nong-néré.  "Ce sont les infirmiers qui nous ont  conseillé  de venir ici quand les plaies qu'ils soignaient ont commencé à se cicatriser. Nous sommes là il y a deux mois. Les soins sont bons. Les deux bras de l'enfant étaient cassés. Actuellement son bras gauche est opérationnel. Il reste le bras droit, qui évolue aussi positivement", déclare réjouie la mère.

Contrairement à cette ressortissante de Djibo, plusieurs patients de Nong-néré ayant fait un tour au CHR de Ouahigouya avouent en être partis de leur propre initiative après avoir signé des décharges. Sont de ceux-là, entre autres, Karim Ouédraogo, apprenti-chauffeur, trois élèves dont deux  sont assistés par leur père, militaire à la retraite.  "Ici, tout le monde sait que deux mois suffisent pour remettre les os à leur place. A l'hôpital, c'est possible aussi mais... (rires). Beaucoup de gens qui sont venus se soigner ici sont satisfaits, même des ministres", assure Konfé Bassirou, le militaire retraité.

Quand on l'interroge sur les types de fractures qu'ils soignent et sur les  limites de ses compétences, le tradipraticien est sans ambages: "Nous ne refusons pas un cas, quelle que soit l'ampleur de la blessure. Il arrive fréquemment que des malades quittent l'hôpital pour venir chez nous. Nous ne nous posons pas de question, nous cassons immédiatement le plâtre, puis nous administrons notre recette". 

Il dit d'ailleurs connaître les notions élémentaires de la médecine moderne. Des connaissances acquises lors de la période révolutionnaire quand il a été désigné et formé comme agent de santé communautaire.

Les frais médicaux, relativement élevés dans les structures classiques de santé, expliquent-ils la ruée des malades vers Nong-néré ? En tout cas chez le vieux Boukaré, on ne s'en préoccupe qu'après le rétablissement complet du souffrant.  (Voir encadré).

Patients et accompagnateurs implorent donc le ciel pour que de bonnes volontés, les autorités communales ou étatiques, viennent  appuyer le centre de reboutage de Nong-néré pour l'amélioration des conditions d'accueil et de prise en charge des malades. L'écroulement de plusieurs maisons dans cette "cour des miracles" pendant les pluies diluviennes de ce mois d'août en dit long sur l'état de délabrement des lieux.

"On doit aider le rebouteur à construire des maisons pour les malades. Vous voyez comment nous sommes entassés. Nous manquons d'espace et d'intimité", plaide El hadj Issa Ouédraogo, septuagénaire lui aussi, victime d'une fracture à la jambe. Boukary Ouédraogo, accompagnateur, suggère une étroite collaboration entre le soignant et les services de santé. Il souhaite que des infirmiers passent de temps en temps s'enquérir de l'état de santé des malades voire qu'on envisage la construction d'un CSPS dans le village. D'autres ont souhaité la réhabilitation de la route afin de circonscrire d'autres accidents, dont sont souvent victimes certains malades transportés pour  des soins.

De façon générale, selon les travaux de mémoire d'un attaché de santé en fin de formation, "toutes les couches socioprofessionnelles ont recours aux rebouteurs avec une forte proportion de cultivateurs ou de commerçants, suivis des élèves et des ménagères". Autrement dit, ceux qui n'ont pas toujours les moyens ou qui sont enclins à croire à l'efficience des pratiques ancestrales.

 

Qu'en pensent les chirurgiens du CHR de Ouahigouya ?

 

Le lendemain de notre expédition, au bloc opératoire  du centre hospitalier régional (CHR) de Ouahigouya, nous avons trouvé l'équipe des chirurgiens en pleine intervention. Amadé Sawadogo, le patient du jour, est justement un ancien pensionnaire de Nong-néré. Il était "guéri",  mais avait des séquelles. Ne pouvant pas se déplacer correctement, il a été obligé d'avoir recours aux services du CHR.

"Chez les rebouteurs, explique Moumine Traoré, attaché de santé au bloc, quand on immobilise la fracture pendant longtemps, elle peut guérir, mais le hic est qu'ils n'ont ni les moyens ni la technique pour contrôler l'ajustement des bouts des deux os. Pour le cas d'Amadé, sa fracture est guérie, mais avec la formation d'un gros cal vicieux au niveau de la partie fracturée autour des deux os. En ce qui concerne ce type d'intervention chirurgicale, au cours de l'opération, il faut d'abord décaper (scier) le cal formé, pour donner aux os leurs formes initiales. Après on ajuste les deux bouts, on fait une traction pour les aligner avant de fixer les fers, puis le plâtre". Soigné de la sorte, Amadé retrouvera en quelques mois la mobilité de son pied. Une intervention très coûteuse : 300 000 FCFA. Heureusement, grâce à un soutien européen, à l'hôpital de Ouahigouya les soins sont moins coûteux : 28 000 F, plus les frais d'ordonnances. Les partenaires suisses venus pour ces types d'intervention complexe ont supervisé la réparation du pied de ce patient et consacreront leur temps à d'autres interventions similaires.

A en croire les chirurgiens, qui peuvent, il est vrai, être tentés de prêcher pour leur chapelle, Amadé fait partie des plus chanceux ; plusieurs malades qui reviennent de chez les rebouteurs ont des membres gangrenés. Pas d'autres solutions  alors que d'amputer. Certains y ont succombé. Parmi les  complications liées à la prise en charge chez les rebouteurs, on peut citer les infections, les raideurs, les cals vicieux, les déformations et les paralysies.

Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain, pour faire dans le cliché?

Sans récuser les compétences de ces derniers, les agents de santé modernes émettent cependant des réserves quant à la capacité des rebouteurs à s'occuper sans risques des fractures ouvertes.

En tout cas, médecins traditionnels et modernes sont unanimes : il faut des concertations pour une éventuelle collaboration franche entre les deux pratiques.  "Les praticiens de la médecine traditionnelle et moderne ont une responsabilité unique dans l'amélioration de la santé et du bien-être des populations. L'amélioration des bases de la  collaboration entre les deux médecines implique le respect mutuel et une tolérance réciproque : il faut qu'un système évite de ridiculiser un autre système»,  tranche le président de l'ONG Promerta International.

 

Emery Albert Ouédraogo

L’Observateur Paalga du 29 août 2007

 

Encadré 1

Moryouré Boukaré Ouédraogo

 

Au sujet des frais de soins et des interdits

 

"On ne met pas le malade au courant des frais de soins avant son rétablissement complet. Le malade doit manger et boire seul. Il doit avoir sa coupe à part. Durant le traitement, il ne salue pas quelqu'un main à main. On prenait, avant, 100 FCFA pour le rasage de la tête du malade. De nos jours, beaucoup demandent à ne pas être rasés. Ces derniers doivent payer 300 FCFA.

Après la guérison, le patient doit apporter une bande de cotonnade d'une certaine longueur, une tine de mil et un coq. Il arrive que certaines personnes viennent avec un peu de mil, quelques mètres de tissu et un cochet. En lieu et place, nous réclamons 5000 FCFA.

Cela dit, nous ne pourchassons pas un malade pour récupérer les frais de soins. Mais ce qui peut lui arriver est que quelqu'un de son entourage peut se blesser, et il faudrait que le débiteur rembourse  le dû avant qu'on ne touche au deuxième. S'il nous contourne et va chez un autre rebouteur ou à l'hôpital, les soins ne réussiront pas. Pire : tous les autres membres de sa famille connaîtront des blessures pires que celle (s) du premier. Malgré tout, plusieurs personnes disparaissent sans daigner s'acquitter de ce qu'ils doivent. Certains, nous les comprenons, ils sont très pauvres.

Nous ne pouvons plus cultiver. On ne s'occupe que des malades. Parmi mes enfants, cinq seulement s'intéressent à l'affaire et m'assistent ; c'est l'aîné qui s'occupe de tout présentement. Ce travail est un don de Dieu, c'est notre grand-père qui a commencé. A sa mort, un de mes frères a pris le relais. C'est après le décès de ce dernier que moi je l'ai remplacé".

 

Encadré 2

 Dr Salam Ouédraogo

On devrait coopérer plus étroitement"

 

Chirurgien généraliste, chef du service de chirurgie au Centre hospitalier régional (CHR) de Ouahigouya, le Dr Salam Ouédraogo nous explique les difficultés que sa structure a dans la prise en charge des fractures. Il informe en même temps les malades des facilités dont ils peuvent bénéficier en cas d'intervention.

 

On a comme l'impression que plusieurs personnes victimes de fractures préfèrent partir se confier aux rebouteurs que de venir à l'hôpital ; qu'est-ce qui explique cela ? 

 

• Avant de répondre à votre question, il est utile que je vous en donne d'abord le contexte. Pour dire que quand nous recevons une personne victime d'un accident, le premier réflexe, c'est de faire une radiographie pour savoir s'il y a un problème orthopédique ou traumatologique. Après quoi nous expliquons au malade et à ses parents ou accompagnateurs l'ampleur du mal et la conduite à tenir selon les règles médicales. Mais dans environ  90% des cas, les parents demandent à signer des décharges pour aller chez les rebouteurs. On les entend le plus souvent dire que chez les rebouteurs, c'est moins cher ou bien, que c'est la tradition. Souvent, c'est la pression sociale qui conduit certains malades chez les rebouteurs. Une recherche qui a été faite à Kongoussi montre que les structures sanitaires constituent le troisième recours quand les gens sont malades. C'est-à-dire que quand on est malade on part voir un premier tradipraticien, ensuite un deuxième, et c'est quand la maladie s'aggrave qu'on vient au district sanitaire. Ce sont des pratiques que nous tous, nous avons trouvées en naissant. Pour les fractures, il y a même des intellectuels qui signent les décharges pour partir chez les rebouteurs.

 

Nous avons rencontré des malades à Nong-néré qui ont déclaré que ce sont des infirmiers de l'hôpital qui leur auraient conseillé d'aller chez le rebouteur.

 

• Comme je l'ai dit plus haut, quand une victime d'accident arrive à l'hôpital, c'est au chirurgien de garde qu'on fait appel pour la consultation. Quand il finit, il fait le point au malade et aux siens. Je ne pense pas qu'un agent du service de chirurgie ici puisse conseiller à un malade d'aller chez un rebouteur. Tous ceux qui travaillent souffrent des difficultés que nous avons à réparer les fractures de ceux qui reviennent de chez les rebouteurs. Je ne pense pas que ces déclarations soient fondées. Nous insistons pour montrer aux malades les complications qu'ils risquent de vivre, mais ils s'entêtent pour partir non sans avoir signé la décharge, exonérant l'équipe médicale des conséquences ultérieures qui  pourraient subvenir.

 

Les frais élevés des soins à l'hôpital ne sont-ils pas les raisons qui poussent les malades à aller voir ailleurs ?

 

• A l'hôpital de Ouahigouya, en service de chirurgie, les soins ne sont pas coûteux. Dans le cadre de la coopération, nous avons un Suisse qui nous soutient énormément. Il a mis à notre disposition un lot important de matériel permettant une intervention à un coût acceptable. Il y a les implants, les plaques, les vis, etc. Les patients qui viennent ici ne payent pas ce matériel. Le patient que vous avez vu ce matin (NDLR :  Amadé Sawadogo le samedi 18 août 2007) a payé 28 000 f CFA en plus des frais d'ordonnances ; le tout remonte à 50 000 FCFA. Si c'était à Ouagadougou, il n'aurait pas  déboursé moins de 300 000 FCFA. C'est dire toutes les facilités qu'on rencontre au CHR de Ouahigouya ; malgré tout les malades refusent de faire l'effort.

 

Le cas d'un malade peut-il être critique au point que vous refusiez catégoriquement qu'il signe la décharge?

 

• Nous prenons tout le temps nécessaire pour en dissuader le malade ou ses accompagnateurs. Mais beaucoup insistent pour partir. Je vais vous raconter une situation malheureuse d'un jeune commerçant qui est venu souffrant d'une fracture ouverte à la jambe ; après consultation, ses parents ont émis le vœu de signer une décharge pour aller chez un rebouteur. Nous les avons découragés de le faire en leur expliquant clairement que s'ils partent, ils reviendront ici en moins d'une semaine pour une amputation ou bien le malade risquera de mourir. Effectivement le patient est revenu moins d'une semaine après dans un coma, le pied gangrené, avec une forte fièvre de 40°. On a fait savoir aux parents qu'il fallait qu'on ampute la jambe le plus rapidement possible. Ils ont encore refusé, et le malade est décédé quelque temps après. Vous voyez toute la peine que nous avons quand nous sommes devant de telles situations?

 

Mais il y a des malades qui reviennent de chez les rebouteurs très en forme.

 

• C'est vrai, il y a des malades qui guérissent chez les rebouteurs, mais il y a des cas compliqués qui ne sont pas à la portée des rebouteurs. Il faut obligatoirement une intervention chirurgicale pour remettre les os à leur place. Dans le meilleur des cas, tu peux guérir, mais avec des difficultés pour te déplacer. Nous constatons que beaucoup, qui rencontrent ces problèmes de déplacement, finissent par revenir pour subir des interventions chirurgicales. La réparation est très compliquée en ce moment. Nous ne contestons pas les compétences des rebouteurs, mais c'est simplement là un constat au vu de plusieurs cas qui nous reviennent avec des complications.

 

Avez-vous déjà fait un tour chez un rebouteur pour voir dans quelles conditions il travaille?

 

• Personnellement non ! J'ai discuté une fois avec le directeur régional de la santé du Nord du sujet compte tenu des cas graves qui nous reviennent régulièrement. Il a trouvé utile qu'on fasse une étude avant d'envisager la formation de tous les rebouteurs de la région. Ne serait-ce que pour leur inculquer les notions élémentaires sur la prise en charge des malades et les dispositions à prendre en cas de fracture complexe. Dans le passé, dans la pyramide sanitaire, il y avait ce qu'on appelait les agents de santé communautaires. C'était des gens qui jouissaient d'une bonne intégrité dans leur milieu ou des tradipraticiens qu'on recrutait pour leur donner le B.A.-BA de la médecine moderne. Je pense que si on ciblait les rebouteurs pour leur faire profiter de telles formations, ce serait un grand pas dans l'amélioration de la prise en charge des fractures.

 

Il faut nécessairement donc une collaboration entre les rebouteurs et les services de santé ?

 

• Ce serait intéressant si on pouvait nouer des relations de partenariat entre eux et nous. Il faut absolument faire connaître aux gens de la médecine traditionnelle leurs compétences et leurs limites. Si on leur exposait les gravités de certaines fractures et les complications qui en découlent, je suis certain que beaucoup feraient très attention. J'étais dans un district sanitaire où ce partenariat existait. Au sein de l'équipe cadre du district il y avait un tradipraticien et un chef de village. C'est eux qui sensibilisaient les rebouteurs. Et ils réussissaient à les convaincre de transférer les cas de fractures complexes dans les services de santé.

 

Propos recueillis par

 Emery Albert Ouédraogo

 

 

(Encadré 3)

Service de chirurgie du chr de ouahigouya

Une coopération salutaire !

 

Depuis 12 ans, le service de chirurgie du Centre hospitalier régional (CHR)   de Ouahigouya entretient une relation de partenariat avec le Dr Philippe Bédat, chirurgien orthopédiste à Genève (Suisse). Depuis lors, deux fois l'année, ce praticien effectue des missions  audit CHR pour s'occuper des fractures complexes.

 

Aux premières heures, le chirurgien suisse a commencé  à soutenir la réfection du bâtiment du bloc opératoire du service de chirurgie. Ensuite, le Dr Philippe Bédat a décidé de partager son savoir-faire avec les chirurgiens locaux. Chaque semestre, ce bienfaiteur,  qui débarque de la Confédération helvétique, souvent avec un groupe de camarades médecins, consacre deux semaines d'interventions chirurgicales au bénéfice de personnes qui traînent depuis plusieurs années des malformations des os. Avant leur arrivée, on fait passer des communiqués à travers les antennes des radios locales pour appeler les personnes désirant se faire opérer à se présenter. On sélectionne par la suite les cas les plus urgents. Ceux qui n'ont pas été retenus attendront les prochaines missions. "Nous, nous offrons nos services gratuitement ainsi que le matériel coûteux, que nous apportons. Mais les services de l'hôpital, pour des raisons qui leur sont propres, réclament aux malades un forfait de 28 000 FCFA", explique le Dr Bédat,  qui poursuit : "Notre partenariat se limite strictement à l'hôpital de Ouahigouya, mais ces derniers temps nous recevons des malades qui nous viennent d'autres régions, surtout de Bobo-Dioulasso". Il arrive cependant que des malades qui sont programmés pour des interventions ne se présentent pas faute d'avoir  pu réunir la somme nécessaire. A titre d'exemple, trois malades étaient programmés pour la journée du lundi 20 août 2007, mais un seul s'est présenté. Les deux autres n'ont pas donné signe de vie. "Pourtant la sélection était rigoureuse. On a refoulé beaucoup de gens pour ne retenir que ces trois cas", regrette le toubib.

Devant de telles situations, le missionnaire suisse fait montre d'une extrême générosité : "Plusieurs fois, il a eu à payer les frais d'intervention et les ordonnances de certains patients qui n'avaient pas les moyens", soutient un agent du service. Avec sa compagne, Michelle Noguier, kinésithérapeute, cet infatigable bon samaritain est à pied d'œuvre pour mettre sur pied, si on ose dire, une structure de kinésithérapie afin de permettre le suivi régulier de la rééducation postopératoire. Même les patients extérieurs pourront en bénéficier.

"Je suis venue faire l'état des lieux une première fois, d'autres camarades sont venus continuer le travail, nous avons formé déjà une dizaine d'agents. Pour ma deuxième venue cette année, je continue les formations tout en recensant les différents besoins afin d'accélérer la mise en place de la structure", a expliqué la kinésithérapeute.

Dans l'ensemble,  Philippe  Bedat  se montre très satisfait de la collaboration avec les chirurgiens de  l'hôpital de Ouahigouya.

"Après mon départ, c'est eux qui suivent les malades opérés. Il arrive souvent qu'ils reprennent merveilleusement des interventions qui n'ont pas réussi. Le matériel que nous laissons à leur disposition leur permet de faire continuellement les interventions en attendant notre prochain retour pour les  cas complexes", se réjouit le docteur helvète. "Peut-être que si cette occasion n'avait pas été créée, beaucoup de gens qui pouvaient être soulagées de leur mal allaient continuer d'en souffrir pour toute leur vie. Nous souhaitons revenir pour des périodes beaucoup plus longues", conclut-il.

Notons qu'au moment de notre passage, le docteur Degremay Benoît, neuro- chirurgien à Toulouse en France, s'était montré disponible pour opérer des malades dans son domaine. Malheureusement, le service de la chirurgie ne disposait pas du matériel adéquat. Ce dernier assistait donc simplement la mission suisse et l'équipe des chirurgiens de l'hôpital au cours des interventions.

E.A.O



29/08/2007
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