L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Bruno Jaffré : Jusqu'à Madagascar, sur les traces de Sankara

Bruno Jaffré, auteur d’ouvrages sur Thomas Sankara

Jusqu'à Madagascar, sur les traces de Sankara

La commémoration du 15 octobre 1987 a drainé beaucoup de monde dans la capitale burkinabè. Au nombre d'eux, il y a Bruno Jaffré. Ce Français, ingénieur de recherche de son état, a plus ou moins connu la Révolution d'août et son leader, le capitaine Thomas Sankara, pour avoir régulièrement séjourné au Burkina entre 1983 et 1987. Toute chose qui lui a permis d'écrire à 34 ans son premier livre intitulé "Burkina Faso, les années Sankara : de la Révolution à la Rectification". Aujourd'hui, à 53 ans presque, il a étoffé sa bibliographie avec 2 biographies de Thomas Sankara (la 2e est bouclée et sortira d'ici là). Nous l'avons rencontré le 13 octobre 2007 à l'Atelier théâtre burkinabè en marge du symposium international Thomas Sankara. Ses ouvrages, la commémoration du 15 octobre sont, entre autres, des questions abordées au cours de l'entretien d'environ une demi-heure qu'il nous a accordé.

Dans quel cadre avez-vous séjourné en ex-Haute Volta aujourd'hui Burkina Faso à partir de 1983 ?

J'ai séjourné pour la première fois en ex-Haute Volta entre 1981 et 1982. Ensuite, je suis rentré en France et j'ai écrit un article sur la Côte d'Ivoire où j'ai séjourné d'abord 2 ans comme volontaire du service national pour le compte du journal "La Révolution", un hebdomadaire du Parti communiste français, qui m'avait envoyé en Afrique. Je m'apprêtais à retourner au Burkina à l'été 1983, plus précisément en juillet, quand l'hebdomadaire m'a demandé de rencontrer Thomas Sankara. J'ai réussi à le rencontrer 10 à 15 jours avant qu'il ne prenne le pouvoir ; on a discuté pendant 3 heures. C'est un personnage qui m'a beaucoup impressionné, et il mettait déjà en place le programme qu'il allait appliquer plus tard. Et je me suis dit qu'il fallait que je m'intéresse à ce qui va se passer. Je suis retourné 2 à 3 fois au Burkina pendant la Révolution, et j'ai rédigé des articles. Aussi, le ministre de la Fonction publique de l'époque, Fidel Toé, m'a fait venir pour donner des cours d'informatique dans son ministère ; je suis venu pour cela en juillet 1987 et je suis resté jusqu'en novembre. J'ai commencé à écrire dès que Thomas Sankara a été assassiné. C'est pour cela que dans mon livre (NDLR : "Burkina Faso, les années Sankara : de la Révolution à la Rectification", je raconte les jours qui ont suivi le 15 octobre 2007. J'avais pris une disponibilité au niveau de mon service que j'ai prolongée jusqu'en mars 1988. Cela m'a permis de ramener de la documentation et de terminer mon livre à l'été 1988. Si mon éditeur avait été plus prompt, mon livre serai sorti avant par exemple celui de Sennen Andriamirado (NDLR : "Il s'appelait Sankara"). C'est finalement en 1989 que mon livre est sorti.

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire le livre ? Est-ce parce que vous avez été séduit par la révolution ou son leader, ou juste par devoir de mémoire ?

Ce sont les 2 à la fois. J'avais une sympathie pour la révolution, même si j'étais plutôt proche des gens du PAI (NDLR : Parti africain de l'indépendance) que j'avais d'ailleurs rencontrés dans la clandestinité et qui m'avaient expliqué les problèmes qu'ils avaient eus. Je pense que, globalement, la révolution a été positive, et, comme j'avais beaucoup d'éléments, j'ai estimé qu'il fallait prendre le temps de faire ce premier livre.

Avez-vous toujours des nouvelles de certaines personnes du peuple comme Abou le menuisier, Pierre le délégué CDR, Oumarou le tailleur, etc., dont vous faites cas dans votre livre ?

Il faut savoir que j'ai changé les noms. Ceux à qui vous faites référence étaient les membres d'un groupe de discussion qui se trouvait à côté de la cité An III. J'ai perdu de vue la plupart de ces gens. Mais il y en a que je vois régulièrement.

Outre le livre sur les années Sankara, avez-vous écrit un autre ouvrage sur la Révolution d'août ou son leader ?

Il y a de cela 10 ans, j'ai écrit la première version de la biographie de Thomas Sankara. A l'approche du 10e anniversaire du 15 octobre, j'étais venu au Burkina en 1994 avec un réalisateur qui m'avait demandé de l'aider à préparer un film. On avait recueilli un certain nombre de témoignages oraux qui constituaient une première matière pour écrire une biographie. Bien avant cette année, j'ai été en 1993 à Madagascar, pays de ma femme, et j'ai rencontré à l'Académie d'Antsirabé le directeur des études qui a été un promotionnaire de Sankara qui y a passé 3 ans. Ce dernier m'a fait rencontrer d'autres promotionnaires qui m'ont brossé un portrait de Sankara extrêmement positif du point de vue de ses relations avec eux, de ses activités au sein de l'Académie. Cela m'a donné suffisamment d'énergie pour écrire la première version de la biographie parue il y a 10 ans. Il y a une nouvelle version que j'ai terminée à la mi-septembre et qui va paraître d'ici là. Elle complète la première partie de la version précédente qui s'arrête à la prise du pouvoir par Thomas Sankara. La nouveauté est la gestion du pouvoir par Sankara qui se trouve dans la nouvelle version de la biographie.

Avez-vous des relations avec la veuve Mariam Sankara qui vit en France comme vous ?

Depuis 1 ou 2 ans on se téléphone régulièrement pour échanger des nouvelles.

Vous arrive-t-il de la rencontrer physiquement ?

Oui. Par exemple, je lui ai posé des questions une soirée dans le cadre de la préparation de la biographie.

Il y a eu une "polémique" qui vous a opposé au Comité d'organisation du 20e anniversaire par rapport à la venue de Mariam Sankara. Sur quoi vous basiez-vous pour soutenir que la veuve ne sera pas au Burkina pour la commémoration, à l'opposé du comité qui a confirmé sa venue ?

Je tiens à vous dire qu'il n'y a aucune polémique. Vous venez de me voir avec Me Bénéwendé Sankara (NDLR : avant l'interview le 13 octobre à l'ATB). Je ne suis pas au courant de tout. Je pense que la venue de la veuve n'a pas été décidée très longtemps à l'avance. C'est pour cela que j'ai démenti qu'elle venait, ce qui était exact. (NDLR : Mariam Sankara est arrivée au Burkina dans la nuit du 14 octobre 2007). Je profite démentir formellement avoir dit que la veuve Sankara devait encore se tenir loin de sa patrie.

Est-ce la première fois que vous participiez à la commémoration du 15 octobre ?

J'étais ici il y a de cela 3 ans et je suis même allé au cimetière de Dagnoën. Je reviens régulièrement au Burkina pour toutes sortes de choses. Quand je préparais la 2e version de la biographie, je venais rencontrer des acteurs de la Révolution. J'ai aussi énormément d'amis ici à qui je rends visite chaque fois que je séjourne au Burkina.

Quels sont vos sentiments par rapport à votre participation à la commémoration du 20e anniversaire du 15 octobre ?

C'est tout à fait normal que je sois là. J'ai été actif à l'extérieur pour contacter les différents comités Thomas Sankara. Tout le monde est au courant des difficultés rencontrées pour préparer le 20e anniversaire. La commémoration se tient, et c'est déjà bien ; les gens du Comité d'organisation ont tenu jusqu'au bout en commémorant avec peu de moyens.

Quelle impression Thomas Sankara vous a-t-il laissé lorsque vous l'avez rencontré pour la première fois ?

Comme je le disais tantôt, je pense qu'il annonçait un programme. A l'entame de mon premier livre, j'ai mis une phrase de Sankara qui disait à peu près qu'il faut que le peuple se donne lui-même des objectifs et les moyens de les réaliser, qu'il comprenne que cela demande des efforts. C'est ce qui se passait à travers le Plan populaire de développement (PPD). Il y a eu beaucoup de choses qui venaient du gouvernement mais il y avait aussi une certaine décentralisation. Les CDR (NDLR : Comités de défense de la Révolution) avaient aussi des objectifs de plus en plus liés au développement de l'économie. De ce point de vue, il y avait dans les quartiers, les provinces tout ce qui concernait la construction d'écoles, le nettoyage, la formation des gens.

En dehors de Sankara, avez-vous rencontré Blaise Compaoré qui était aussi un leader de la Révolution ?

Non, je ne l'ai pas rencontré. Je suis revenu au Burkina en 1994, on a demandé une audience à la présidence. Mais on s'y était pris au dernier moment et on a été reçu, si je ne m'abuse, par Béatrice Damiba. On n'a pas trop insisté pour voir le président. Je pense que ce que Blaise Compaoré dit est déjà connu de tout le monde.

Même pour écrire la biographie de Sankara vous n'avez pas pensé que Blaise Compaoré pouvait être une personne de ressource pour avoir été son ami ?

Pour moi c'est quelque chose de compliqué. J'aurais eu affaire à quelqu'un qui aurait été préparé par tout un service de communication. Tout ce qu'il a dit sur le 15 octobre peut être lu dans les livres.

Bruno Jaffré est-il un sankariste ou simplement quelqu'un qui a eu de la sympathie pour la Révolution d'août ou son leader ?

Dans mon livre, il y a une partie intitulée "Le sankarisme, un concept à définir". C'est bien que le symposium ait eu un atelier là-dessus. Je pense que Sankara dépasse les frontières de l'Afrique. Sur des questions de la dette, des rapports avec le FMI et la Banque mondiale, il a fait des revendications qui sont reprises aujourd'hui par le mouvement altermondialiste. Suis-je sankariste ou pas ? Cela n'a pas grand-sens pour moi. Je suis quelqu'un d'engagé, mais mon travail consiste plutôt à apporter des éléments solides pour que la vérité soit connue, et aussi pour avoir le maximum d'éléments pour définir le sankarisme. Je ne suis pas membre d'un parti sankariste mais je côtoie et échange avec les leaders et des membres des partis sankaristes.

Quel est votre sentiment sur la division des partis sankaristes ?

Il y a quelque chose d'intéressant à relever qui est que les sankaristes ont travaillé ensemble pour la commémoration du 15 octobre. Tout le monde espère qu'ils vont s'unir. En même temps, on sait bien qu'ils subissent toutes sortes de manoeuvres, y compris du pouvoir, pour les diviser ; la situation politique est difficile. Le jour où ils seront unis, je pense qu'il risque d'y avoir un potentiel important pour le pays parce que la plupart des jeunes que je rencontre sont très admiratifs de Thomas Sankara. Il reste à leur expliquer le contenu réel de la Révolution.

Que faites-vous de particulier pour qu'il y ait un jour vérité et justice sur les événements du 15 octobre 1987 ?

Je côtoie le coordinateur du Comité international justice pour Thomas Sankara, Aziz Fall, qui a reçu des menaces de mort il y a 4 mois. Je soutiens la campagne menée pour que justice soit faite sur les événements du 15 octobre. Je suis un des 2 animateurs du site internet thomas Sankara.net. Outre les discours de Sankara et les différentes analyses qui s'y trouvent, il y a également tous les documents déposés au Comité des droits de l'homme de l'ONU tant par la Campagne justice pour Thomas Sankara que par le gouvernement burkinbè. Sur le site, vous trouverez également le mémorandum du Front populaire sur les événements du 15 octobre.

Propos recueillis par Séni DABO

Le Pays du 17 octobre 2007



17/10/2007
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