L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Comment ils ont contribué à tuer Sankara

Hier antiSankara, aujourd'hui néosankaristes

Comment ils ont contribué à tuer Sankara

 

Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara, alors président du Conseil national de la révolution (CNR), et douze de ses compagnons trouvaient la mort lors d'un coup d'Etat militaire à l'issue duquel Blaise Compaoré a été porté au pouvoir. Par la même occasion, le CNR était dissous et à sa place le Front populaire vit le jour.

 

Le nombre de personnes tuées, la manière dont elles sont passées de vie à trépas et le charisme du défunt président du Faso ont contribué à créer un choc psychologique qui dépasse les rangs des révolutionnaires et des frontières de ce minuscule et Etat pauvre qu'est le Burkina Faso.

Depuis, tous les 15 octobre sont vécus comme des jours hantés par le spectre de Thomas Sankara : tant dans l'opposition (sankariste surtout), dans les cercles du pouvoir que dans la population, ils ne passent pas inaperçus ces jours-là.

Dans les lignes qui suivent, notre intention n'est pas de refaire l'histoire de la malheureuse crise qui a abouti à cette inqualifiable tragédie ; d'illustres hommes et femmes l'ont déjà faite ou sont en train de la faire. La démarche ne consiste pas non plus à catégoriser de manière rigide les uns et les autres à travers des étiquettes du genre "bourreaux ou victimes du CNR", "tortionnaires ou torturés (ad mortem ?) du Front populaire", etc. ; quoique cela puisse être intéressant au moins du point de vue psychothérapeutique.

Notre ambition, c'est de nous demander si ce qui est arrivé au défunt président du CNR est seulement  le fait de ses frères d'armes et de ses camarades révolutionnaires ou si des responsables (bien qu'ils ne soient pas coupables) existent ailleurs. A propos de cette interrogation, notre conviction est faite qu'en dehors des groupuscules communistes civils et militaires au pouvoir à l'époque, bien de personnes et de groupes de personnes ont contribué à créer les conditions supplémentaires de la chute du CNR.

 

Les dignitaires civils et militaires des précédents régimes

 

Les précédentes républiques (Ire, IIe et IIIe) et les quatre régimes militaires qui ont devancé la RDP ont payé le prix le plus fort pour avoir dirigé la Haute-Volta : procès TPR, dégagements, licenciements, suspensions et (parfois) exécutions sommaires. Dans la foulée, les religieux et les coutumiers, dans leur majorité, ont été priés de ne se mêler que de leurs affaires comme si la gouvernance de leur pays n'était pas aussi une affaire bien à eux.

Ce beau monde, que vouliez-vous qu'ils pensassent de la Révolution démocratique et populaire (RDP) ? Comment vouliez-vous qu'ils se comportassent vis-à-vis de l'orientation révolutionnaire du pays ?

Or, plus ils en pensaient du mal, plus il était de plus en plus difficile de le cacher. "Ce que ne peut dire la bouche transpire à travers les doigts" dit-on. Résultat : les révolutionnaires se voyaient, au moins pour des raisons de sécurité, davantage contraints de rendre leur système plus coercitif dans le but de réduire à néant "les velléités de déstabilisation" par "le biais de l'intoxication". Seulement, il se trouve que ces mesures coercitives sont loin de plaire à tout le monde à l'intérieur même du régime pour diverses raisons (personnelles, familiales, amicales, d'intérêt, etc.). Ainsi, une brèche peut être ouverte.

 

Révolutionnaires de la RNDP contre révolutionnaires de la RDP

 

La RNDP, c'est l'étape de la lutte du peuple voltaïque telle que l'a définie le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV). RNDP signifie Révolution nationale démocratique et populaire. Pour le PCRV, dont on pensait (pense ?) que les organisations vitrines sont les "syndicats révolutionnaires des luttes de classe", "la Haute-Volta dite Burkina Faso" doit entreprendre une révolution nationale (regroupant le peuple, les petits bourgeois, les bourgeois, les "vestiges des forces féodales", les paysans pauvres, le lumpen-prolétariat, le prolétariat...) parce que le pays n'a d'indépendance que formelle. Ce n'est qu'avec l'indépendance réelle que l'on pourra parler de RDP, car, à ce moment, ce serait le peuple et ses alliés d'une part contre ses ennemis (bourgeois, "féodaux", "valets locaux de l'impérialisme", "impérialistes de tout acabit"...) d'autre part. En outre, le 04-Août est un vulgaire coup d'Etat militaire maquillé en révolution.

En se démarquant de façon aussi nette et franche (même si du point de vue tactique il y aurait beaucoup de choses à dire) de la RDP, il a contribué à la rendre plus drastique (et à bien des égards stalinienne) : le nouveau régime considérait parfois (de façon implicite) ses critiques comme fondées ou procédait à maintes occasions à des tours de vis supplémentaires afin de prouver sa "révolutionnarité".

 

Pris entre deux "ennemis"

 

Face à des "ennemis de droite" qui, pensait-on, n'attendaient que la moindre baisse de la garde révolutionnaire pour reconquérir leur paradis perdu et à des frères "ennemis de gauche" qui le traitaient de révisionniste à la solde du social-impérialisme soviétique, le CNR avait cru bon de radicaliser la RDP. Tant et si bien que lorsque Thomas Sankara a voulu mettre un peu d'eau dans le vin de la RDP, ils étaient nombreux qui estimaient qu'à ce rythme on se retrouverait avec plus de vin dans l'eau que d'eau dans le vin. La suite on la connaît.

Si les "ennemis de droite" de la RDP ont eu raison de lutter du mieux qu'ils peuvent pour leur survie physique et politique et si les frères "ennemis de gauche" du CNR n'ont pas eu tort de défendre avec un courage de communiste ce qu'ils considéraient comme une cause immaculée, il reste que quelque part, ils ont une part de responsabilité à assumer dans l'allure et l'issue que la Révolution du 4-Août a empruntées et ils seraient mal inspirés de vouloir se dédouaner à si bon compte à travers un néosankarisme qui cache mal le combat qu'ils ont livré au défunt président du CNR. Cela dit, il n'est bien sûr pas de doute qu'ils ne sont pas coupables de cette tragédie d'octobre 1987.

 

Les Mercredis de Zoodnoma Kafando

L’Observateur Paalga du 17 octobre 2007



17/10/2007
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