L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Conflit foncier au Koulpélogo : On a frôlé le pire

Conflit foncier au Koulpélogo

On a frôlé le pire

Les 16, 17 et 18 août 2007 ont été des journées très chaudes dans la province du Koulpéolgo. Pour cause, un litige terrien opposant Dourtenga et Lalgaye, deux communes rurales voisines de cette province, a failli dégénérer en affrontement sanglant. Nous nous sommes déplacés sur les cendres encore fumantes de ce qui aurait pu être la tragédie du Koulpéolgo, quelques jours après. Si le pire a été évité de très près grâce à l'interposition des forces de sécurité et à la médiation de certaines autorités locales, le problème reste entier et appelle une solution des plus urgentes, à entendre les protagonistes.

Visiblement, il ne faisait pas bon d'être des villages de Dourtenga et de Lalgaye les 16, 17 et 18 août derniers. La délimitatation de leurs domaines respectifs, un éternel contentieux entre les deux villages, a, une fois de plus, failli dégénérer en rixes sanglantes ces jours-là. Depuis très longtemps, ces deux voisins, pourtant liés par l'histoire et la géographie, se vouent un inimitié mituelle du fait de ces difficultés. La goutte d'eau qui aura fait déborder le vase cette fois-ci, serait un reboisement que Dourtenga aurait entrepris de faire le 16 août dernier sur un site dont les deux parties se disputent la propriété. Ce sont donc deux villages ruminant toujours la haine d'un affontement manqué que nous avons visité les 28 et 29 août, à la recherche d'une explication des évènements.

En posant le pied sur le sol koulpéolgolais, en cet après-midi de mardi 28 août, notre premier interlocuteur fut le haut-commissariat la province. Le premier responsable des lieux absent (parce qu'en déplacement à Ouagadougou pour des raisons professionnelles), c'est le Secrétaire général de la province, Bougouma Kouka Jacques, qui nous reçoit. Après quelques salutations d'usage, nous lui déclinons notre identité et l'objet de notre visite qui ne manquent pas de faire frémir quelque peu notre hôte d'un après-midi, tant le sujet embarrasse plus d'un dans la localité. Que la presse s'en mêle à présent, cela n'est certainement pas sans susciter des frissons. Après quelques hésitations, il finit par consentir à nous parler du sujet, non sans avoir longuement requis conseil auprès de son supérieur hiérarchique par téléphone depuis Ouaga. "Nous avons été saisi le 16 par le maire, en même temps chef de Lalgaye, au sujet d'un reboisement que la population de Dourtenga serait en train d'effectuer en un lieu qui serait du territoire communal de Lalgaye. Après avoir recueilli quelques informations, nous avons immédiatement convoqué les deux chefs pour en savoir plus...", expliquera-t-il. De cette rencontre, il ressort que chacune des deux parties est catégorique : le site concerné est de son ressort territorial. C'est ainsi qu'après la plantation de Dourtenga, poursuit M. Bougouma, ceux de Lalgaye sont allés arracher les plants. Il n'en fallait pas plus pour raidir les positions de part et d'autre, chacun jugeant la situation propice pour en découdre définitivement avec l'autre. La tension était à son paroxisme et la rencontre avec le haut-commissaire, à en croire le Secrétaire général, aurait servi d'occasion pour demander aux responsables des deux villages d'aller calmer les esprits et oeuvrer au retour de la paix. "Malgré les instructions fermes, les gens de Dourtenga sont repartis dès le lendemain sur leurs pas pour replanter", poursuit M. Bougouma. Lalgaye serait alors revenu arracher. C'est ainsi que fusils, lances, coupe-coupe, flêches et biens d'autres armes feront leur sortie. Les petites unités de police et de fendarmeris locales ne pouvant contenir la fronde, un renfort de gendarmerie de Tenkodogo arrivera à temps pour éviter que le pire se produise.

Conflit entre limites administratives et limtes coutumières

Au-delà de la question de limites, le Secrétaire général du Koulpéolgo pense que le problème entre Dourtenga et Lalgaye est beaucoup plus profond, mais se garde d'en dire plus. Pour lui, seuls les responsables coutumiers ont la clé de la solution. Ceux-ci confondent les limites administratives et les limites du commandement coutumier, pense-t-il. Le cas de ces deux communes paraît bien atypique au yeux de l'administrateur. "Nulle part ailleurs, je n'ai vu un tel cas de figure, depuis que je travaille. Lorsqu'on prend la carte, les limites des deux entités sont bien claires, mais le problème c'est que les coutumiers ici, veulent que les deux types de limites coincident; ce qui n'est pas évident." Et de prendre l'exemple de concessions situées à quelques mètres du haut-commissariat et relevant coutumièrement de Fada, mais administrativement du Koulpéolgo, sans que cela ne pose problème. Ce qui conforte le SG dans sa conviction que seuls les coutumiers maîtrisent le fond de leur problème et qu'ils le résoudront s'ils en ont réellement la volonté. "Il ne faut pas être plus royaliste que le roi", ajoute-t-il.

Du côté des protagonistes, on n'entend pas les choses de cette oreille. C'est une autre lecture de la situation qui est faite. Tous sont unanimes à dire que c'est du côté de l'Administration que doit venir la solution au problème. "Si le SG voit le problème sous cet angle, je ne peux que dire que c'est une fuite en avant", affirme le chef et maire de Lalgaye, Naba Molfo. "C'est lui, en tant que technicien du haut-commissariat, le responsable administratif de la province. Je crois qu'il doit se rendre à l'évidence qu'il a le devoir de faire respecter les cartes confectionnées par l'Administration. A ce que je sache, à l'heure actuelle au Burkina Faso, les coutumiers n'ont pas la gestion de la terre en charge. Pourquoi veut-il renvoyer la balle au niveau des coutumiers ?", s'interroge Naba Molfo, avant de conclure : "Pour moi, c'est l'Administration qui doit prendre toutes ses responsabilités." Même son de cloche chez le Maire de Dourtenga, Martin Salouka. "Le silence de l'Administration est inexplicable. Ce problème est une vieille bagarre qui existe entre les deux villages depuis plusieurs décennies. le dossier se trouve à l'Administration territoriale. Pour peu qu'elle dise que les portions conflictuelles sont la propriété de tel ou tel village, la crise sera terminée, " a-t-il indiqué. Pour lui, les coutumiers peuvent, peut-être, contribuer à la paix sociale, mais le plus essentiel, c'est-à-dire la délimitation du territoire, est du ressort de l'Administration qui doit impérativement s'assumer."

Le silence suspect de l'Administration

Pour nombres d'observateurs de cette crise à repétition entre ces deux villages, l'administration refuse de jouer sa partition. d'aucuns diront même qu'elle a carrément démissionné. De nombreux hauts- commissaires se sont succédé à la tête de la province sans toutefois trouver la solution. Certains auraient même dit que si leurs prédécesseurs n'ont pas trouvé la solution, ce n'est pas à eux de la trouver. Selon le chef de Dourtenga, Naaba Boulga, un d'entre eux aurait poussé l'outrecuidance jusqu'à répondre à une de leurs sollicitations dans la résolution du conflit en ces termes: "Vous avez délayé votre tô et vous me demander de venir le boire. Je vous laisse le boire vous-mêmes car il ne me revient pas ." Mais pourquoi cette attitude de l'Administration? Naba Molfo semble detenir l'explication. Selon lui, l'Administration gère les populations de manière à ne pas décourager une partie. Si bien que les solutions courageuses aux problèmes n'ont jamais été envisagées. D'où le fait que la crise perdure. Pour certains, il s'agit de préserver un certain électorat, car vouloir trancher cette affaire revient à perdre l'électorat de la partie perdante. Face à un tel dilemme, le calcul politicien le plus simple consiste à "jongler", selon le mot d'un habitant de Dourtenga ayant requis l'anonymat. Mais jusqu'à quand cette crise va-t-elle durer ? se demande-t-il, l'air médusé. Certainement jusqu'à ce que surviennent des morts, répond son compagnon tout aussi mélancolique

La carte de la discorde

Concernant les origines de cette crise, Naba Boulga les attribue à la décentralisation. "C'est le découpage de la décentralisation qui nous a embobinés dans cette situation. Auparavant, notre limite était au niveau de la barrière de pluie. durant la période coloniale où chaque chef devait réparer la route jusqu'à la hauteur de sa limite territoriale, c'est jusqu'à ce niveau que nous avons toujours réparer la route. C'était non seulement la limite coutumière, mais aussi administrative. Jusqu'à ce jour, à ma connaissance, aucun arrêté, aucune loi n'est venu modifier cela", a-t-il expliqué. Pour lui, il y a un découpage clandestin qui a été fait par l'IGB et Lalgaye revendique une portion de plus de 900 mètres. Ce que Naba Boulga assimile à de l'expansionnisme. "S'il devait y avoir une modification, il aurait fallu informer les deux parties, de sorte que les populations sachent qu'il y a une réorganisation du domaine départemental. Mais de procéder de façon souterraine à un découpage de la sorte, cela est inconcevable", a-t-il martélé. La nouvelle carte de la province, le chef de Dourtenga ne s'embarrasse pas de fioritures pour dire qu'elle est "truquée, confectionnée par des gens corrompus". Certaines langues disent même qu'à la base de cette affaire, se trouve un fils de Lalgaye, qui aurait servi à l'IGB et profité de sa position pour modifier la carte à l'avantage de son village. C'est ainsi que des villages relevant auparavant de Dourtenga auraient été attribués à Lalgaye sur cette carte. Ce que ces derniers n'ont jamais digéré. Eux qui continuent à se réclamer de Dourtenga. C'est pourquoi au dernier recensement général de la population, ils auraient catégoriquement refusé de se faire recenser au compte de Lalgaye. Même les supplications du haut- commissaire et du Gouverneur n'y firent rien. Il a fallu des agents recenseurs du gouvernorat, venus de Tenkodogo pour recenser les populations de ces villages. A quelle partie a-t-on attribué ces populations recensées ? Grosse inconnue! Cependant, aux élections législatives, tout comme aux municipales, ces villages auraient curieusement voté pour le compte de Dourtenga.

Calme précaire

Le 1er adjoint au maire de Lalgaye, Moumouni Dialga pense que ce calme précaire, ne doit pas leurrer l'Administration, car il est certain que cette crise rejaillira un jour ou l'autre, de façon plus retentissante, et ce sera la faute à l'Administration. Selon lui, celle-ci doit, à partir de la carte administrative, appeler courageusement les deux parties pour leur tenir un langage de vérité et le problème sera résolu. Abdoul Aziz Koudougou, jeune de Lalgaye, ne dira pas autre chose : "L'Administration doit se décider enfin. Cette situation qui n'est à l'avantage de personne n'a que trop duré...", juge-t-il. Toutefois, au-delà de l'Administration, il pense que la société civile, surtout les coutumiers et les jeunes ont aussi un grand rôle à jouer. "Ce qui s'est passé les 16, 17 et 18 août est très regrettable. J'ai peur que cela ne se transmette de génération en génération, surtout quand vous voyez les tout-petits regarder et entendre ce qui se faisait et se disait, il faut craindre que cela ne durcisse leur coeur." a-t-il déploré. Aussi, certains acteurs pensent qu'il faut dépersonnaliser, voire dépassionner le problème. Selon ceux-là, les deux chefs en font un problème d'orgueil personnel et se vouent une animosité déconcertante. Il semble qu'ils ne se disent pas bonjour depuis belle lurette. Cela n'est pas pour faciliter les choses quand on sait leur ascendence sur les populations.

Manifestement, l'Administration est plus que jamais interpelée dans cette affaire. Tous les protagonistes s'accordent sur le fait que c'est elle qui détient la clef du problème.

Ladji BAMA

Le Pays du 4 septembre 2007



04/09/2007
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