L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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De pauvres femmes sur la colline du désarroi

Epargnes et micro-crédit

De pauvres femmes sur la colline du désarroi

 

Depuis 2006 l'Union des jeunes de l'espace UEMOA (UJEMOA) a recruté des agents commerciaux pour la collecte de l'épargne auprès des commerçants du secteur informel dans les marchés de notre capitale. Les fonds ainsi collectés sont subdivisés à travers deux carnets, celui dit de Projet et un autre baptisé "Commission d'organisation du secteur informel" (COSI).

Deux ans après, la structure qui rencontre des difficultés de Trésorerie n'arrive plus à rembourser ses clients dont l'épargne est estimée, selon les collectrices, à près de 20 millions de  francs CFA.

L'affaire est actuellement en justice et le président  de l'association, Mamadou Traoré, séjourne à la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) depuis décembre 2007.

En attendant, le désarroi est à son comble au sein des employés et des clients de l'organisation.

 

L'Union des jeunes de l'espace UEMOA  existe depuis 2003, mais elle a vu officiellement le jour au Burkina le 17 mai 2006 et bénéficie du statut d'ONG internationale. C'est donc une entité dont ne pouvait douter, a priori, de la crédibilité comme l'a du reste reconnu Awa, un de ses agents commerciaux : "Il n'y avait pas meilleure façon de nous mettre en confiance que le label UEMOA de cette organisation".

Selon cette dernière, la structure a recruté  vingt-trois (23) agents commerciaux dont la tâche consistait à collecter l'argent auprès des commerçants avec, comme indiqué plus haut, deux carnets. L'un de couleur bleue dit de Projet est vendu à 500 FCFA avec la même somme minimale à verser quotidiennement.

Il a une validité d'un an avec un délai minimum de retrait de trois (3) mois. Quant au carnet COSI (Commission d'organisation du secteur informel) de couleur jaune, l'inscription coûte 100 FCFA avec pour somme minimale journalière à verser de 150 FCFA et le temps de retrait est laissé au choix du client.

Comme avantage, l'Union retient la somme du dernier versement du mois. Ces modes d'épargne ont suscité l'adhésion massive des commerçants surtout qu'on leur faisait miroiter des crédits qu'ils pourraient avoir auprès des institutions bancaires. Tout allait bien jusqu'au mois d'octobre 2007 où la rentrée scolaire et la fête de Tabaski ont poussé les épargnants aux retraits.

 

La galère des agents commerçiaux

 

Ayant des difficultés de trésorerie, les agents commerciaux sont  vite accusées de détournement de fonds et les clients renvoyés vers elles pour entrer en possession de leur argent. C'est ainsi qu'a commencé la chasse aux collecteurs qui sont toutes des femmes.

"Nous sommes au nombre de vingt-trois (23) ; à la fin de chaque journée de travail nous versons l'argent auprès de la comptable Zalikatou Diallo.

J'ai pu verser 75 415 FCFA pour mes clients qui, aujourd'hui, me menacent sans cesse; selon eux, ils ne connaissent pas le président de l'UJEMOA, Mamadou Traoré, ni son épouse, Massanda, qui venait régulièrement vider l'argent de chez la comptable; beaucoup d'entre nous ont perdu leur foyer dont ma propre petite sœur", nous confie, dans l'amertume, Abzèta Ouédraogo.

Devenus la risée des femmes du quartier et sous la menace des clients, certains ont dû, pour avoir la paix, se dépouiller pour rembourser des chalands en attendant que justice soit rendue. Sont de celles-là, madame Ouédraogo née Bamogo Awa : "J'ai dû rembourser certains  de mes clients à hauteur de 400 000 FCFA. Je n'ai plus rien pour mener mes activités commerciales. Je fais aujourd'hui l'objet de moquerie et de menace à chaque coin de rue ; seule la justice pourra me sortir de cette situation", nous dit-elle, implorant le ciel que ce calvaire finisse au plus vite.

 

Un autre piège à Prodia

 

A combien ces pauvres femmes étaient rémunérées pour s'engager dans une telle entreprise. Selon Clémence Ilboudo, elles avaient un salaire de 12 500 FCFA par mois et ce à condition de pouvoir verser mensuellement 450 000 FCFA. Ayant senti la délicatesse de leur mission, elles ont manifesté leur désir de se retirer, mais c'était sans compter avec la détermination de Massanda Traoré/Ouattara, l'épouse du président.

"Un jour nous sommes allées manifester notre désir d'arrêter notre travail, mais Massanda Ouattara nous a dit que les clients de ceux qui se retireront ne pourront plus faire de retrait ;  à l'annonce de cette nouvelle je me suis évanouie. Je n'étais d'ailleurs pas la seule à piquer une telle crise ; un jour, Massanda a dit qu'au cas où nos maris nous chasseraient, le siège pourrait nous abriter; ce jour, une femme s'est évanouie et il a fallu verser de l'eau sur elle pour qu'elle reprenne ses esprits", témoigne Awa Ouili. Selon cette dernière, sept (7) agents, dont elle, ont été amenées à PRODIA (Promotion du développement industriel artisanal et agricole) par dame Massanda pour contracter un prêt  de 750 000 FCFA et faire face aux retraits des clients. Des rôles fictifs leur avaient été attribués pour convaincre la structure de lui accorder ce prêt.

A en croire les collectrices, le montant  de l'argent que l'UJEMOA doit à ses adhérents vaut les 20 millions.

Et d'accuser la comptable Zalikatou Diallo d'être de mèche avec les responsables de l'organisation d'autant plus que, selon elles, il n'y a pas de traçabilité fiable dans les transactions financières. Parmi les clients, il y aurait beaucoup de handicapés et autres nécessiteux.

 

Le cultivateur de la colline

 

"Si tu cultives sur la colline, même si tu ne récoltes rien, tu verras au moins de loin". Cette affiche arrachée au siège de l'organisation semble s'appliquer aujourd'hui à ses clients. En effet, ils ont semé pour récolter le désarroi.

Ils voient maintenant clair comme Estèle Nacoulma: "J'ai épargné 190 000 FCFA par l'intermédiaire de l'agent commercial Jeanne Valérie Ouédraogo; je n'ai retiré que 30 000 FCFA; j'ai peiné  dans la vente de fruits pour avoir cet argent et je peux donner ma vie pour récupérer mon dû", menace-t-elle. "On nous a dit que le siège se trouve dans la cour d'un parent de Cheick Doukouré et que c'est une structure fiable, voilà pourquoi j'ai commencé à y épargner; j'ai aussi pensé que ça pourrait marcher comme le cauris d'or de l'UAB (NDLR: Union des Assurances du Burkina) ; je regrette aujourd'hui mes 90 000 FCFA", nous dit le commerçant Issa Ouédraogo qui confesse  sa naïveté.

Mais dans tout ça, quelle est la version des responsables de la structure ?

Jointe le 20 février 2008, la comptable Zalikatou Diallo botte en touche et se décharge sur les autres : "Je faisais régulièrement les versements chez monsieur et madame Traoré; je ne sais pas ce qu'elles ont fait de l'argent. Apparemment le problème se situe entre les agents de collecte et les patrons ; je n'ai  rien à me reprocher.

Je reconnais que cette situation n'est pas bien en ce sens qu'elle concerne des nécessiteux. A chaque fois que je veux expliquer le problème aux clients, ils ne me comprennent pas, on veut m'assassiner". Il faut noter que c'est après plusieurs rendez-vous manqués que nous avons pu lui arracher ces quelques mots au téléphone. Refusant aussi toute rencontre et face à notre insistance voici ce que l'épouse du président, Massanda Traoré/ Ouattara, nous a confié au téléphone : "Depuis le 16 janvier le président a été arrêté et détenu  à la MACO et l'enquête est en cours pour le moment ; je ne suis pas ouverte aux débats. Pour plus de précisions, rendez-vous à la MACO. Nous devons à quelques-uns parce que les femmes (NDLR : les collectrices) ont falsifié les cartes. Ce que nous devons ne dépasse pas 4 à 5 millions.

Le président, c'est mon mari mais les femmes ne peuvent pas me forcer  à prendre des responsabilités qui ne sont pas les miennes. Les femmes ont été montées".

Par qui ? Mystère et boule de gomme. Vivement donc que la lumière judiciaire se fasse sur cette affaire. En attendant, et au regard de l'importance du secteur informel dans notre pays, l'Etat doit travailler à protéger ces acteurs contre les appétits voraces de certaines personnes qui ne seront jamais à court d'imagination pour dépouiller d'honnêtes citoyens.

 

Abdou Karim Sawadogo

L'Observateur Paalga du 26 février 2008



25/02/2008
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