L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Détournement dans l’armée : «C’est moi qu’ils cherchent»

Détournement dans l’armée

«Laissez les autres partir, c’est moi qu’ils cherchent»

(Commandant Pooda Siéou Bernardin)

 

Comme annoncé dans notre précédente édition, après une journée de débats, le tribunal militaire a rendu jeudi son verdict dans l’affaire de détournement au sein de l’Organisme central de l’administration et de comptabilité de l’armée (OCAC) : prison ferme et 5 millions d’amende pour les trois accusés, qui devront, en outre, rembourser à l’Etat les quelque 129 millions dissipés.

 

L’affaire du détournement de quelque 129 millions de francs CFA au sein des services administratifs de l’armée a connu son dénouement jeudi 29 mars 2007, au Tribunal militaire de Ouagadougou. Rappelons que ce dossier, enrôlé une première fois courant février, avait été renvoyé pour permettre à la défense de se préparer.

 

Ce jeudi matin, trois hommes ont comparu devant le tribunal militaire, présidé par M. Franc Compaoré. L’accusé principal, le lieutenant Yaméogo Tégawendé, ex-trésorier payeur de l’armée, était poursuivi pour avoir détourné plus de 129 millions de FCFA provenant des caisses de l’OCAC, l’Organisme central de l’administration et de comptabilité de l’armée. Son supérieur hiérarchique, le commandant Pooda Siéou Bernardin, était, quant à lui, accusé de complicité, ayant reçu contre signature d’un simple bon manuscrit, la somme de 50 millions de francs CFA dont il n’a pas pu prouver la restitution.

 

Troisième homme et seul civil dans cette affaire, M. Souli Moustapha, entrepreneur de son état et «cobeau-père» du lieutenant Yaméogo. Accusé de recel de détournement de deniers publics, il avait emprunté plus de 36 millions à son «cobeau» pour réaliser un marché. Il avouera d’ailleurs avoir toujours su que cet argent provenait des caisses de l’armée.

 

A la barre, seul le commandant Pooda a nié les faits qui lui étaient reprochés. Avant de prendre la parole, il a tout d’abord tenu à remercier son Dieu pour lui avoir permis d’être là en vie, alors qu’il se sent menacé.

 

Rappelons en effet que le commandant Pooda avait déjà comparu devant le tribunal militaire, dans le cadre de l’affaire du présumé putsch jugé en avril 2004. On se souviendra des déclarations de l’intendant militaire, clamant son innocence et affirmant avoir été mis sur la touche parce qu’il possédait des dossiers et a mis au jour plus d’une magouille au sein de la grande muette. Notons qu’il avait alors bénéficié d’un sursis.

 

Quelques années plus tard, de retour devant le tribunal militaire, l’intendant Pooda, devenu élu local à la faveur des dernières municipales, se dit victime «d’une orchestration», affirmant que sa foi ne lui permet pas de prendre de l’argent.

 

Contrairement à son ancien supérieur hiérarchique, le lieutenant Yaméogo a reconnu avoir détourné des fonds dont il avait la gestion, en tant que comptable. Au total, plus de 129 millions de francs CFA dont il aurait consommé 7 715 000 F à titre personnel, prêtant 3 6490 000 F à Souli Moustapha, son parent par alliance, et confiant 50 millions au commandant. Pour le reste des sous, aucun justificatif n’a jamais été fourni.

 

A la barre, le principal accusé expliquera que tout était parti d’une situation exceptionnelle, l’accident en 2001 de son prédécesseur, le trésorier Drabo, alors qu’il n’y avait rien en caisse pour assurer le fonctionnement du service. Premier secrétaire, le lieutenant Yaméogo assurait l’intérim et a reçu à ce titre des liquidités s’élevant à 100 millions de francs CFA.

 

Le coffre étant petit, il a placé 50 millions dans le coffre de son supérieur hiérarchique, l’intendant Pooda, alors directeur de l’OCAC, qui lui a signé une décharge manuscrite. Cet argent aurait été peu à peu consommé au gré des besoins, notamment en petites coupures, de la comptabilité.

 

La confiance s’étant installée entre le premier secrétaire, devenu entre-temps trésorier, et l’intendant militaire, une autre décharge aurait donc été signée en 2003 pour la même somme, jamais restituée, selon les dires du comptable.

 

Ces 50 millions-là, le commandant Pooda assure les avoir rendus dans leur intégralité. Il suffit pour cela, dira-t-il, de consulter le journal comptable, ce qui n’a pas été fait durant l’instruction. Il n’a d’ailleurs pas paraphé le procès-verbal, ajoutant que si jamais sa signature y figure, il s’agit d’un faux.

 

Pour l’intendant militaire, ce déficit a été creusé alors que lui se trouvait interné à la gendarmerie, dans le cadre de l’instruction du présumé putsch. Pour Me Farama Prosper, son avocat, il y a de la place pour le doute, car, pourquoi devrait-on croire l’auteur du détournement plutôt que son client, qui n’a jamais cessé de clamer son innocence ?  Il s’agit de la parole de l’un contre celle de l’autre, et dans ce cas, le doute doit profiter à l’accusé. Pour lui, on aurait pu faire un recoupement des états comptables de l’époque pour trouver le fin mot de l’histoire.

 

Pour son client Yaméogo Tegawende, Me Sanou Sogotérè a demandé la clémence du tribunal, demandant un sursis pour lui donner sa chance. «Mon client a été visiblement abusé par son coreligionnaire et son parent par alliance».

 

Me Traore Idrissa Kirsy a, quant à lui, insisté sur la bonne foi de son client, qui n’imaginait pas à quel point le recours à son cobeau pouvait avoir des conséquences aussi graves. «Faute avouée est à moitié pardonnée».

 

Dans ses réquisitions, le commissaire du gouvernement a fait ressortir l’intention frauduleuse. Le lieutenant s’est servi, se montrant généreux avec l’argent des autres, et l’intendant Pooda a su exploiter les failles du système. Quant à M. Souli, il aurait mieux fait de s’adresser à une banque. Le parquet a donc demandé que les deux officiers soient condamnés à 12 ans ferme de prison. A l’encontre de M. Souli, il a été requis une peine de 5 ans ferme.

 

Dernier à prendre la parole, le commandant Pooda a sorti ce qu’il avait sur le cœur, demandant qu’on relâche ses co- accusés, «car c’est moi qu’on cherche». Pointant un doigt accusateur sur sa hiérarchie, il a affirmé : «On ne peut pas vouloir m’enfoncer alors que j’ai connaissance des dossiers !». On lui aurait d’ailleurs fait savoir au lendemain du procès des putschistes, que ses révélations n’avaient pas plu en haut lieu «et que le chef de l’Etat n’était pas content de moi». On aurait même voulu, en vain, l’empêcher de se présenter aux municipales, car arrêté à la veille de la campagne, il n’a été entendu que le 24 avril 2006, le lendemain du scrutin. «Je suis faible, mais ma force, c’est Dieu».

 

C’est au crépuscule, après une journée de procès, que le tribunal militaire a rendu son verdict. Tous ont bénéficié de circonstances atténuantes. Yaméogo Tégawendé a été condamné à 5 ans de prison ferme et 5 millions d’amende ; Pooda Siéou Bernardin a écopé de la même peine ; quant à Souli Moustapha, il écopera de 2 ans ferme et 5 millions d’amende. Mandat de dépôt a été délivré contre eux à l’audience.

 

Pour ce qui est des intérêts civils, les trois accusés sont condamnés à payer à l’Etat la somme de 129 764 200 FCFA in solidum,  autrement dit, solidairement.

 

H. Marie Ouédraogo

L’Observateur Paalga du 3 avril 2007



03/04/2007
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