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Fiscalité : L'impôt est-il anti- social ?

Fiscalité

L'impôt est-il anti- social ?

 

L’impôt est une charge que toute personne physique ou morale détentrice ou bénéficiaire de revenus est tenue de payer. Il constitue la principale source de recettes des budgets des Etats modernes. Mais le civisme fiscal n’est, assurément, pas la chose la mieux partagée dans nos pays, principalement au Burkina Faso. Elles sont peu nombreuses, les personnes qui payent leurs impôts le cœur léger, heureuses d'avoir accompli leur devoir. L’administration fiscale est très souvent obligée d’employer des moyens juridiques coercitifs. Par ailleurs, avec la montée des prix des produits de première nécessité, certains n’hésitent pas à indexer la fiscalité comme le principal facteur inflationniste. Les syndicats proposent, par exemple, la baisse de certains impôts pour augmenter le pouvoir d’achat. L’impôt serait-il antisocial ? Le débat est ouvert par notre collaborateur spécialiste de la fiscalité.


Les financiers modernes définissent l’impôt comme une prestation pécuniaire requise des personnes physiques et des personnes morales, de droit public et de droit privé, selon leurs capacités contributives, par voie d’autorité, á titre définitif et sans contrepartie précise, en vue de la couverture des charges publiques ou de l’intervention de l’Etat. Cette définition de l’impôt, il faut en convenir, est longue, pas très académique pour les puritains de la langue française, car on y retrouve plusieurs idées qui auraient pu être expliquées séparément. Mais elle a l’énorme avantage de dire tout ce que l’on veut faire faire par la fiscalité en général. Elle permet de comprendre d’un trait les types de contribuables, les conditions de l’imposition et surtout la destination de l’impôt. Et c’est dans ce sens que les critiques envers l’impôt apparaissent. En tant que prestation pécuniaire, l’impôt renvoie á l’argent, c’est-á-dire á ce qui influe sur le pouvoir d’achat. Et comme toute charge, il est mal vu par ceux á qui il est adressé. Il importe cependant d’analyser cette vision avec beaucoup de prudence.

 

L’impôt concerne tout le monde

 

La définition de l’impôt que donnent les financiers modernes en fait un phénomène de société. L’impôt concerne tout le monde. Il est précisé que l’impôt est requis des personnes physiques et des personnes morales. Cela veut dire que l’impôt est lié á la personnalité juridique. Les juristes indiquent que la personne est dotée de droits et est tenue á des obligations. Toute personne est donc susceptible de payer des impôts. Il n’est pas fait cas de son sexe ni de son âge ou de sa résidence. Il est aussi dit que l’impôt est dû par les personnes de droit public et les personnes de droit privé. La première personne publique est, bien évidemment, l’Etat. Dans ce sens, la définition veut dire que l’Etat est un contribuable, au même titre que les autres. Il faut élargir le concept de l’Etat en incluant ses démembrements que sont par exemple les établissements publics. L’impôt peut aussi concerner les personnes privées, organisées ou non.

Tout le monde peut être amené á payer un impôt. La seule condition est de détenir ou de bénéficier de revenus. Et c’est une conception qu’il faut analyser, au regard des autres conceptions de l’impôt qui ont existé. En effet, la conception actuelle est souvent qualifiée de financière, par opposition á l’aspect solidarité de l’impôt. Ainsi, pendant longtemps l’impôt a été vu comme un acte de solidarité des plus riches envers les plus pauvres. En somme, ce sont les personnes (physiques ou morales) les plus riches qui doivent payer pour entretenir les personnes démunies, sans ressource financière. En appliquant ce principe, il peut arriver que des personnes soient totalement exemptées d’impôt, et ceci pour longtemps, tant qu’elles seront dans une situation de pauvreté.

Cette analyse de l’impôt n’est pas celle qui est acceptée á l’heure actuelle. La conception contemporaine de l’impôt est que toute personne qui dispose d’un revenu doit payer un ou plusieurs impôts. On parle souvent de richesse ou de fortune. Qu’est-ce-que le revenu ou la fortune et la richesse ? Les juristes préfèrent parler de patrimoine. Si l’on s’en tient au droit, toute personne dispose d’un patrimoine, le patrimoine étant défini comme l’actualité des biens présents et la potentialité des biens futurs. Autrement, ce sont non seulement les biens actuels, mesurables, matériels surtout, mais aussi les biens que l’on peut acquérir dans le futur. Cette dernière catégorie de biens est immatérielle ; c’est la capacité que peut avoir une personne, par exemple, d’acheter un bien dans le futur si elle gagne de l’argent. C’est donc un droit essentiel car si on retire cette capacité, on perd sa personnalité juridique. Donc dans le sens moderne, toute personne est dans le champ d’application de l’impôt car toute personne dispose d’un patrimoine. Il n’est donc pas fait cas du montant du revenu. Certes, on peut être sans ressource financière ou autres comme des meubles ou des immeubles (momentanément ou non), mais on dit à ce moment que l’on est indigent. L’indigence n’est donc pas une preuve d’incapacité á être dans le champ d’application de l’impôt. L’indigent peut être exonéré, mais temporairement.

Analysé sous cet angle, l’impôt peut être vu comme antisocial en ce sens que l’on va demander á quelqu’un de payer un impôt sur ses maigres ressources. Ainsi, l’Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) touche toute personne, quel que soit son revenu, son salaire. La preuve est apportée par la première tranche qui va de 0 á 10 000 F et qui est frappée d’un taux de 2%. Il faut cependant aller plus loin dans la réflexion car l’impôt, bien utilisé, peut être un formidable moyen de lutte contre les inégalités.

 

L’impôt est aussi un instrument de régulation sociale

 

Au-delà de son rôle primaire, le rôle financier, l’impôt est aussi un instrument de redistribution des revenus. Le caractère social de l’impôt apparaît dans les modalités de son utilisation. Les produits de grande consommation peuvent être faiblement imposés, voire non imposés du tout, alors que les produits dits de luxe sont fortement taxés. Les revenus les plus faibles sont très peu ou pas du tout imposés, pendant que les revenus les plus élevés sont grandement imposés. La conséquence en est que les personnes démunies auront une fiscalité faible. Cette politique peut être utilisée au niveau d’un Etat, où les régions les plus riches contribuent au développement de celles moins riches. C’est ce que certains appellent la péréquation fiscale. Un taux moyen de pression fiscale est calculé au niveau national. On fait en sorte que ce taux soit élevé dans les régions les plus riches et qu’il soit moins élevé dans les régions les plus pauvres.

Le problème réside alors dans la gestion des taux d’imposition, doublée des conditions d’utilisation des montants dégagés. La destination des recettes fiscales doit être connue, pas nécessairement dans les détails. Des augmentations de salaires ont pu être financées par une politique de redistribution des revenus.

Cela paraît simple quand il suffit de faire supporter les charges de certains par d’autres contribuables. Il faut évaluer les avantages et les inconvénients, les conséquences au plan économique, mais surtout au plan financier, c’est-á-dire sur les recettes fiscales de l’Etat. Toute exonération, dans la conception actuelle de l’impôt, constitue un manque à gagner pour les finances publiques. Les besoins des Etats comme le nôtre sont connus. Il faut aussi voir les conséquences au plan économique, en ce sens que ce sont les contribuables qui ont les moyens de créer des entreprises, des emplois, sources de la richesse nationale. Enfin, il faut analyser l’utilisation de l’impôt á des fins de régulation sociale au plan démocratique. Peut-on concevoir des personnes résidant dans un pays et á qui l’Etat ne demande pas de contribuer á son fonctionnement ? Il s’agit d’une approche comme bien d’autres qui existent et qui sont aussi discutables.

Amadou N. Yaro

Professeur,

Directeur général du Centre d’enseignement á distance de Ouagadougou (CEDO)

Le Pays du 20 septembre 2007



19/09/2007
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