L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Gouverneur de la BCEAO : Même si c'est un Tchétchène, trouvons-le !

Gouverneur de la BCEAO

Même si c'est un Tchétchène, trouvons-le !

 

D'abord prévus pour mi-décembre, c'est finalement aujourd'hui et demain que se tiennent à Ouagadougou les sommets couplés de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Dans cette partie du continent où, de l'avis de tous les observateurs, l'intégration régionale est la plus poussée malgré des difficultés liées à la libre circulation des personnes et des biens, au droit d'établissement, etc., ces grand-messes sont toujours l'occasion de faire le bilan de santé des différents regroupements et de passer en revue leurs grands chantiers.

Dans la capitale burkinabè donc, sur l'agenda que le Conseil des ministres a préparé pour les chefs d'Etat et de gouvernement, il sera notamment question des Accords de partenariat économique, ces fameux APE qui divisent d'une part Européens et Africains d'une part et d'autre part Africains entre eux ; du cours du pétrole, qui flirte depuis avec la barre symbolique et fatidique des 100 dollars et qui finit de plomber des pays déjà mal lotis pour la plupart ; de croissance et d'inflation ainsi que du train de la paix, qui avance cahin-caha en Côte d'Ivoire depuis l'accord politique de Ouagadougou, conclu le 4 mars 2007 entre les belligérants sous l'égide du président Blaise Compaoré.

Des sujets aussi importants les uns que les autres et qui déterminent notre commune destinée, mais à côté de cet ordre du jour officiel, le propre de rencontres comme celles-là est d'être toujours rattrapées par l'actualité brûlante.

Sur ce point, et bien que ça se passe loin de leur "circonscription électorale", les premiers responsables de l'UEMOA et de la CEDEAO ne manqueront certainement pas de s'intéresser au drame que vit le Kenya, surtout après l'échec de l'un des leurs, le Ghanéen John Kufuour, président en exercice de l'Union africaine, dont la médiation entre Mwai Kibaki et Raila Odinga n'a pas donné les résultats escomptés. Les conférenciers de Ouagadougou ont d'autant plus intérêt à s'intéresser au cas kenyan que les mêmes causes produisant les mêmes effets, même dans une "science" non exacte comme la politique, aucun de leur pays n'est à l'abri de ce genre de situations. Car, à des degrés divers, les scrutins y sont souvent opaques et donc l'objet de contestations. Comme ce fut le cas  au Togo et en Guinée-Bissau en 2005, en Sierra-Leone, au Sénégal et au Nigeria en 2007, en Côte d'Ivoire en 2000.

Presque tous autant qu'ils sont s'arrangent quelquefois avec la réalité des urnes ou tripatouillent les lois (code électoral, Constitution) selon leur humeur du moment, oubliant qu'en dansant ainsi au bord du précipice, ils font le lit des violences futures. Ceux qui nous gouvernent devraient de ce fait méditer ce qui se passe à Nairobi, Mombassa, Eldoret ou Kisumu où les violences nées de la présidentielle contestée du 27 décembre ont, à ce jour, fait au moins 700 morts, plus de 100 000 déplacés et entamé durablement l'image de stabilité et partant l'économie d'un Etat que beaucoup enviaient.

Un sommet c'est aussi des bruits de couloirs et des tractations tous azimuts. Au-delà donc des discours soporifiques qui vont nous être servis, Ouagadougou devra enfin accorder les violons des participants pour trancher enfin la douloureuse question du gouvernorat de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et de la présidence de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Quand bien même elle ne serait pas sur la carte, elle devrait constituer le plat de résistance de la réunion d'aujourd'hui.

Comme chacun le sait, depuis la nomination en décembre 2005 de Charles Konan Banny comme premier ministre de la Côte d'Ivoire (il a, depuis, été éjecté) et l'élection de Thomas Yayi Boni à la présidence du Bénin, l'intérim à la tête de ces deux institutions est respectivement assurée par notre compatriote Damo Justin Baro et par le Malien Issa Coulibaly. Qui se verraient bien, et leurs Etats avec eux, transformer l'essai, puisque, c'est bien connu, "l'appétit vient en mangeant". Sans oublier d'autres prétendants potentiels comme le Nigérien Ali Badjo Gamatié (pour la BCEAO) ou un Sénégalais à la BOAD.

Seulement voilà, selon de mystérieuses règles non écrites dont on ne sait même pas qui les a édictées, la BOAD, basée à Lomé, doit, semble-t-il, revenir à un Béninois et, surtout, la BCEAO (dont le siège est à Dakar) à un Ivoirien. C'est comme cela depuis toujours.

Les défenseurs de ce privilège tirent notamment argument de ce que le pays d'Houphouët représente environ 40% du poids économique de l'UEMOA, dont elle est naturellement la locomotive même si sans les wagons une locomotive ne vaut pas grand-chose. En tout cas, Paul-Antoine Bohoun Bouabré (ministre d'Etat chargé du Plan et du Développement dans le gouvernement Soro) compte bien s'asseoir sur le fauteuil occupé jadis par Abdoulaye Fadiga, Alassane Dramane Ouattara et Charles Konan Banny. A moins que ce ne soit finalement d'autres personnalités ivoiriennes à l'image de Tiémoko Meylier Koné, de Théophile Ahoua N'Doli, de Jean-Claude Brou ou encore de Safiatou Bâ N'Daw.

Mais le propos d'Hama Amadou résume assez bien le sentiment, un mélange d'agacement et de désir de changement, de ceux qui veulent grignoter la part de l'Eléphant et qui revendiquent l'ouverture de ces postes à tous les Etats. "Les Ivoiriens ont le droit de présenter leur candidat, mais les autres pays aussi", a en effet déclaré récemment l'ancien premier ministre nigérien (in Jeune Afrique n°2452 du 6 au 12 janvier 2008).

S'achemine-t-on donc vers une remise en cause de cet acquis ivoirien ? Assistera-t-on à un jeu de chaises musicales à Ouaga 2000 ? Rien n'est moins sûr même si ce monopole, pourquoi s'en cacher, pose de plus en plus problème. C'est d'ailleurs, à l'échelle sous-régionale, la réplique de la bagarre mondiale du fauteuil réservé au sujet des institutions de Bretton Woods, Américains et Européens ayant fait main basse, depuis 60 ans, sur la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Au grand dam de pays émergents comme la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Argentine et d'autres puissances économiques tel le Japon, qui ont commencé, il y a quelques années, une guérilla politico-diplomatique, laquelle aboutira à court ou moyen terme. De la même manière, un jour ou l'autre, l'espèce de droit de préemption d'Abidjan sera abrogé ; si ce n'est pas aujourd'hui à Ouaga, ce sera demain ailleurs.

Ou alors, ces fameuses règles non écrites, il faut les rédiger (ce qui est plutôt inimaginable) pour que chacun sache à quoi s'en tenir sinon on se tait à jamais et on ne les invoque plus pour protéger son gombo.

En attendant, il y a urgence, dût-on placer un Tchétchène  ou un Inuit à la tête de la BCEAO et de la BOAD, à mettre fin à ce provisoire qui a fini par s'installer dans la durée car l'argent, ça n'aime pas l'incertitude, surtout quand ça touche à un sujet aussi sensible que la gestion de la monnaie. Les intérimaires n'ayant pas d'autre choix que de gérer le quotidien, une suppléance trop prolongée, à laquelle l'institut d'émission semble d'ailleurs habituée (1), peut entamer le crédit du franc CFA et donc la santé économique de la zone avec toutes les conséquences dommageables qu'on peut imaginer. Ce ne sont d'ailleurs pas les affaires pressantes qui manquent pour le futur gouverneur, à commencer par l'assainissement d'un secteur bancaire où opèrent parfois de vulgaires épiciers de bas quartiers, le problème du blanchiment d'argent qui peut décrédibiliser notre devise, etc.

Souhaitons donc que la sagesse et le sens du compromis visitent ces princes qui nous gouvernent pour qu'enfin, ils puissent s'élever au-dessus de leurs considérations micro-étatiques dans l'intérêt de tous. Certaines ambitions et certains orgueils nationaux seront forcément sacrifiés sur l'autel des inévitables marchandages qui vont accoucher du nouveau gouverneur de la BCEAO et du président de la BOAD, mais qu'importe, en définitive, si c'est Baro ou Bohoun Bouabré, l'essentiel étant d'avoir présent à l'esprit l'intérêt du vénérable quinquagénaire (2), qui a besoin d'être ménagé et, partant, celui de toute une sous-région.

 

Ousséni Ilboudo

L’Observateur Paalga du 17 janvier 2007

 

 

Notes :

 

(1) Après la nomination d'Alassane Dramane Ouattara à la primature ivoirienne, Charles Konan Banny avait, lui aussi, assuré un long remplacement, de 1990 à 1993, avant d'être confirmé

 

(2) La BCEAO, qui aura 50 ans l'année prochaine, a été créée en 1959



16/01/2008
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