L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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"La politique dénature la chefferie coutumière"

Ouidi Naaba Sanam de Kombissiri

"La politique dénature la chefferie coutumière"

 

Lorsque la politique s'invite dans la chefferie coutumière; lorsqu'un chef coutumier s'engage dans la politique jusqu'au cou au point de contraindre ses sujets à adhérer à son idéologie politique, il y a lieu de s'interroger sur la nécessité d'une réforme de la chefferie traditionnelle. C'est du moins la conviction d'un groupe de chefs coutumiers burkinabè réunis au sein de l'Organisation citoyenne des chefs coutumiers (OCCC). Nous sommes allés à la rencontre du président du bureau provisoire de ladite organisation, le Ouidi Naaba Sanam de Kombissiri. De son vrai nom Mahama Kaboré, il est pour le chef coutumier de Kombissiri, ce qu'est le Ouidi Naaba de Ouagadougou pour le Mogho Naaba. Avec lui, nous abordons la genèse et les objectifs de l'OCCC, les conséquences liées à l'implication d'un chef coutumier dans la politique, etc. Notre interlocuteur reste convaincu qu'il faut une réforme dans la chefferie traditionnelle, comme d'aucuns la demandent dans l'Armée, dans la Magistrature, dans la politique, etc.

 

Vous êtes à la tête d'une structure nouvellement créée sous le nom de l’Organisation citoyenne des chefs coutumiers. De quoi s'agit-il ?

 

Permettez-moi, avant tout propos, de rendre hommage au chef des Mosse, le Mogho Naaba Baongo, et à ses ministres, ainsi qu'au chef de Kombissiri, le Naaba Saaga. Pour répondre à votre question, je dirai que l'Organisation citoyenne des chefs coutumiers (OCCC) que nous sommes en train de mettre en place, a pour objectif principal de faire en sorte que les chefs coutumiers ne soient plus engagés jusqu’au cou dans les questions politiques et, surtout, sensibiliser les chefs coutumiers de sorte à ce qu'ils évitent d'être récupérés par un seul parti politique. Car, dans nos traditions africaines, un chef a toujours été le chef de tous les citoyens de son canton, sans exclusive. Nous encourageons donc le respect de ce principe. Le chef se doit d’accepter chacun de ses sujets, quel que soit son bord politique. Nous voulons qu'on Burkina, l'on reconnaisse la place du chef coutumier comme c’est le cas dans certains pays tel que le Ghana. En tant que chefs coutumiers, il nous faut une place qui ne nous laisse pas à la merci des politiciens; qui nous met à l'abri des manipulations politiques. Car la politique dénature la chefferie traditionnelle, et la tire vers le bas, c'est-à-dire la perte des valeurs cardinales. Et l'implication de le chefferie coutumière dans la politique fausse le jeu démocratique. Certes, nous avons acquis beaucoup plus de considération avec l'arrivée au pouvoir du président Blaise Compaoré, mais nous constatons, depuis quelques temps, que certains d'entre nous (ndlr: chefs coutumiers) se sont beaucoup ingérés dans les questions politiques, au point de rejeter certains de leurs sujets pour la simple raison qu'ils sont adeptes d'une idéologie politique autre que la leur. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Nous avons remarqué que depuis quelques années, la chefferie est utilisée pour obliger des citoyens à un être adeptes d'un bord politique. Avant nous, des voix se sont élevées pour dénoncer cela. Il y a eu pas mal de critiques. A l'approche des élections, il y a bien des chefs coutumiers qui profèrent même des menaces à certains de leurs sujets en ces termes : "Si tu ne votes pas pour ceux qui sont au pouvoir, on va te chasser du village. Tu n’auras plus de terre (...)". Ce sont là des comportements qui dérangent beaucoup et qui n'honorent pas la chefferie traditionnelle. Cela divise des familles entières. Il est arrivé que des gens aient abandonné leur village pour aller habiter ailleurs, en raison des descendances avec les chefs coutumiers. Il est arrivé que des gens ne sont affrontés physiquement et se sont blessés. Nous voulons donc que tout cela cesse. Nous trouvons incongru que la chefferie traditionnelle, dont on connaît les vertus de rassembleur, soit aujourd'hui utilisée pour diviser les Burkinabè. Cette situation a fait qu'il y a de plus en plus de gens qui commencent à manquer du respect aux chefs, voire à les détester. Le groupe de chefs coutumiers que nous sommes a donc pensé à cet adage de chez nous qui dit que "quand tu vois arriver quelque chose de mauvais et que tu peux l'éviter, il vaut mieux s'en éloigner". Et c'est ainsi que nous avons décidé de nous retrouver au sein de l'Organisation citoyenne des chefs coutumiers (OCCC). Nous comptons donc faire de la sensibilisation auprès des autres chefs coutumiers, afin qu'une différence claire soit établie entre chefferie traditionnelle et politique.

 

Vous recherchez donc une certaine rénovation, une réforme de la chefferie traditionnelle ?


Nous voulons d'abord préserver la reconnaissance de la chefferie traditionnelle. Nous voulons ensuite aboutir sur une meilleure compréhension de la chefferie traditionnelle par l'ensemble des citoyens. Vous savez, on voit beaucoup de chefs qui sont à l’Ouest, chez les Peulhs, etc. Il ne faudrait pas que cela engendre la division. Notre association va aussi travailler de ce côté pour calmer les esprits et amener les uns à respecter les coutumes des autres. Il faut respecter notre pays dans sa diversité ethnique, religieuse, culturelle, politique, etc. Car, si l'on ne prend garde, on pourra connaître un jour une situation de conflits inter ethniques, comme cela est arrivé dans d'autres pays. Nous voulons une chefferie qui accepte notre mode de vie actuel; c'est-à-dire la démocratie, la république, plutôt qu'une chefferie qui travaille à nous faire reculer.

 

Qu'a fait l'OCCC sur le terrain, jusqu'à ce jour?

 

Nous avons mis un bureau provisoire en place. Nous avons fait des sortis dans les provinces de la région du Centre-Sud où une coordination régionale a été mise en place. Nous travaillons actuellement dans deux autres régions : le Plateau central où il reste une seule province (Ganzourgou) pour mettre en place le bureau régional, et le Centre-Est où, depuis quelques jours, nous travaillons à la mise en place du bureau régional de l'OCCC. C'est au terme de l'installation de nos coordinations régionales que nous tiendrons une assemblée générale. Et déjà, nous avons reçu des lettres d’encouragement, et nous voulons aussi rencontrer les personnalités qui ont publiquement salué notre initiative et nous ont félicités. Car nous pensons que ces gens-là peuvent nous donner de très bons conseils.

 

Et qui sont ces personnalités ?

 

Je pourrai citer le président du PAREN, et le président de l'association le Tocsin. Mais il y en a eu bien d'autres. Ils nous ont encouragés et nous pensons avec eux que si nous persévérons, ce sera tant mieux pour la démocratie dans notre pays.

 

Avez-vous eu quelques difficultés dans la mise en place des comités régionaux ?

 

Les difficultés ne manquent pas. Pour se déplacer, c’est un problème. En plus, il y en a, parmi les chefs coutumiers que nous rencontrons, qui ont des appréhensions, pensant que notre action vise à s'attaquer au pouvoir et à l’autorité du Mogho Naaba. Ce n'est pourtant pas le cas. Nous disons au contraire que, pour éviter un jour les difficultés, il faut laisser les chefs en dehors de la politique et laisser les Burkinabé libres d’aller du côté qu’ils préfèrent. On ne doit pas dire qu’un chef, parce qu’il est chef, est contre la démocratie. Il y en a qui disent aussi que nous sommes des petits chefs et que cette affaire doit être conduite par des grands. Mais je crois que les petits peuvent aussi avoir des idées et la volonté de faire des choses bien. Et de toutes les façons, c’est parce qu’il y a des petits qu’il y a des grands. Mais vraiment, nous sommes contents parce que ceux qui nous encouragent sont plus nombreux que les autres. C'est l'occasion pour moi de remercier tous ceux qui nous ont accueillis dans nos déplacements, et remercier aussi tous les chefs qui nous ont dit que ce que nous avons débuté correspondait exactement à leur vision des choses.

 

Que répondez-vous à ceux qui, contrairement à vous, pensent que la politique et la chefferie traditionnelle peuvent faire bon ménage ?

 

Je ne dis pas que la chefferie et la politique, c’est chien et chat. Un chef est un citoyen. Il peut être dans le parti qu’il veut, voter pour l’homme ou la femme qu’il veut, mais il ne doit pas abuser de la prérogative que lui confère son titre de chef pour obliger les gens, les menacer, etc. Or, c’est malheureusement ce que nous voyons et qui fait que les chefs ne sont pas bien vus. En dernier lieu, j’aimerais que les gens comprennent que nous voulons que chacun reste à sa place de sorte à ce que chacun soit respecté et fasse son travail pour le bien de tout le peuple. Si les choses se passent comme nous souhaitons, nous verrons que la démocratie ira de l’avant ! Aussi, je veux rajouter que le chef demeure le chef. Il est important qu’il soit libre pour intervenir dans les conflits qui naissent dans sa communauté. Il doit être libre pour souvent être facilitateur entre les administrés et l’Administration. Plus le chef sera cet homme qui veille aux besoins de sa population, plus il sera respecté et gardera plus de légitimité que les politiques. Les chefs doivent comprendre qu’ils n’ont rien à envier aux politiques. Notre souci, c’est que le chef soit un exemple. Il ne doit pas être vulgaire ; il doit être digne et être à l’écoute de tous, et surtout on ne doit pas regarder un chef, le pointer du doigt pour dire que c’est celui qui force les gens, qui retire les femmes des gens, qui chasse les gens des villages parce qu’ils ne pensent pas comme lui.

 

Un mot pour terminer ?

 

Je remercie le journal Le Pays qui nous a tendu le micro, et je profite encore pour dire que nous ne sommes contre personne. Nous respectons le Mogho Naaba et son autorité, et c’est parce que nous voulons que la chefferie ne soit pas un jour à l’origine de problèmes que nous avons décidé de créer l’OCCC.

Dans notre pays, grâce à Dieu, on connaît la paix, mais les problèmes ne manquent pas, et dans tous les domaines. Il y en a qui demandent qu’on marque une pause pour examiner les choses, corriger ce qui ne va pas pour repartir. Nous pensons comme ces gens-là au niveau de la chefferie, car à ce niveau il y a des choses à arranger.

 

Propos recueillis par Paul-Miki ROAMBA

Le Pays du 30 janvier 2008



30/01/2008
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