L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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La veuve de Paulin Bamouni nous a dit… (suite)

La veuve de Paulin Bamouni nous a dit…(suite de l'ITW)

 

Nathalie, la veuve de Paulin Bamouni

 

A l’occasion de la journée nationale de Pardon, des mesures d’indemnisation ont été prises en faveur des victimes de la violence en politique. Avez-vous touché ce pécule ?

 

• Ils en ont parlé mais je ne m’y suis pas intéressée. Ils n’ont parlé d’indemnisation qu’en 2001. Cela faisait combien d’année après la tuerie d’octobre 87 ? Durant près de 15 ans, est-ce que quelqu’un dans ce pays s’est soucié que ces veuves avaient besoin de quelque chose pour élever leurs orphelins.

Normalement, nos enfants devaient être considérés comme des pupilles de la nation. Mais personne ne s’en est soucié. Nous les femmes, on s’est battue pour élever nos enfants. Personne ne nous a aidées jusqu’à maintenant….

 

… Vous avez donc refusé l’indemnisation parce qu’elle était en retard alors… Si elle était intervenue dès 87, vous l’auriez donc acceptée ?

 

• En 87, on pouvait dire qu’on en avait le plus besoin parce qu’il y avait des femmes qui ne travaillaient pas… S’ils avaient réglé le problème tout de suite, s’ils avaient accepté nous dire : «Voilà, il y a eu un problème, c’était un accident, on visait telle ou telle personne mais il y a des gens qui se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. On demande pardon…».

Je pense que s’ils avaient procédé ainsi, on n’aurait même pas eu besoin de cette journée de Pardon. La réconciliation aurait été faite toute de suite.

Mais ils ont laissé pourrir la situation…

 

Avez-vous des contacts avec les autres veuves du 15-Octobre ?

 

• En dehors de Mariam Sankara, non. Il faut dire que je n’étais pas connue à Ouaga et je ne connaissais pas beaucoup de gens.

Je suis sortie de ma province du Sanguié, j’ai mis le pied dans l’avion et je suis partie pour la France avec mon mari. A notre retour, on est resté 5 ans à Ouaga. Je ne sortais pas beaucoup parce que j’avais déjà les habitudes d’Europe. Je n’allais pas dehors, je ne savais pas fréquenter beaucoup de gens.

 

Mais suite aux douloureux événements, vous avez pu rencontrer quand même quelques veuves du 15-Octobre ?

 

• C’est la femme de celui qui était à la cité an II, Bonaventure Compaoré. J’avais aussi été une fois avec Mariam voir une femme à Zogona. Il s’agissait de la veuve d’Abdoulaye Gouem. Mais ça, c’était avant mon départ pour la France. Aujourd’hui, à part Mariam, je n’ai pas de contact particulier avec les autres veuves.

 

                                   Moment de prière sur les tombes

 

Quel était l’objet de ces contacts que vous avez eus avec ces veuves avant votre départ ?

 

• On allait se voir. On discutait, on essayait de se consoler mutuellement, de se remonter le moral. Le choc était tellement fort qu’on ne savait plus quoi faire.

 

Comment et à quel moment avez-vous connu Mariam Sankara ?

 

• Mariam et moi on s’est connues au cimetière de Dagnoën…

 

Quand ça ?

 

• Avant que je ne parte en France. Nous nous sommes rencontrées sur les tombes au cimetière. Moi, je la connaissais uniquement à travers les médias quand Thomas Sankara était président. Sinon avant les événements tragiques, on ne se connaissait pas.

 

Comment votre rencontre s’est passée ?

 

• C’était en 87. On partait tous les dimanches sur les tombes…

 

... Pourtant on raconte que Mariam n’avait jamais vu la tombe de son mari avant le 15 octobre 2007…

 

• Du n’importe quoi. C’est au cimetière que nous avons fait connaissance. On ne se connaissait pas avant. Au cimetière, elle était sur la tombe de Thomas et moi j’étais avec mes trois enfants sur celle de Paulin.

Elle ne me connaissait pas, mais on s’est dit bonjour. C’est quand elle est arrivée chez elle qu’elle s’est renseignée sur moi. On lui a dit qui j’étais. C’est comme ça qu’elle a su que j’étais la femme de Paulin Bamouni.

 

Comment Mariam venait-elle sur les tombes ? Avait-elle toujours des militaires pour sa sécurité ?

 

• Non. Elle venait avec ses sœurs et sa belle-sœur je crois. Après l’assassinat de son mari, on l’a «dégraissé». Elle n’avait ni chauffeur ni sécurité. Elle conduisait elle-même sa voiture pour venir nous voir à la cité.

 

Vous n’avez jamais eu d’ennui en allant sur les tombes les dimanches ?

 

• Pas du tout.

 

Vous conveniez d’une heure pour aller où vous vous y croisiez fortuitement ?

 

• Non. Moi j’y allais après la messe. Elle aussi elle y allait à sa convenance. Mais quand on a fait connaissance, il nous est arrivé d’harmoniser notre temps pour aller sur les sépultures. Mariam venait donc à la maison chez moi. Elle garait sa voiture et on partait avec la nôtre qui était moins connue et donc moins remarquée par les gens.

 

En France vous avez toujours gardé le contact avec Mariam ?

 

• Oui.

 

C’est elle qui vous a encouragée à aller en France ?

 

• Non.

 

Vous vous êtes concertées  pour venir ensemble  à ce  20e anniversaire ?

 

• Non. Mais elle m’a appelée pour me dire qu’elle sera au Burkina pour cet anniversaire. Je suis venue au pays parce que je me suis dit que ma présence à ses côtés lui donnerait aussi un peu de réconfort. C’est dans ce but que je suis venue.

 

Avez-vous obtenu aujourd’hui la nationalité française ?

 

• Oui, je l’ai obtenue ainsi que tous mes enfants. Je précise que c’est dans le cadre du travail que j’ai obtenu cette nationalité. Je vous ai dit qu’on m’avait embauchée à l’Education nationale. J’ai été titulaire à ce poste parce que j’avais obtenu la nationalité française.

 

Quand avez-vous commencé à travailler là-bas ?

 

• C’est en mars 1989.

 

Le 16 octobre 2007, après la marée humaine de la veille, vous êtes retournée au cimetière avec vos enfants et votre nièce. Qu’avez-vous ressenti en allant vous recueillir sur la tombe de Paulin ?

 

• C’est toujours la même chose puisqu’il ne se passe pas un jour sans qu’on ne pense à lui. Quelque part, nous partons sur la tombe pour le retrouver dans sa dernière demeure, lui qui nous voit mais que nous on ne voit pas (elle verse des larmes).

Nous allons au cimetière chaque fois que nous sommes de passage à Ouaga.

 

On sait que concernant Thomas Sankara, il y a une procédure judiciaire qui a été intentée par la veuve. Est-ce que vous aussi vous avez essayé une action en justice ?

 

• Non. Mais d’après ce qu’on nous a dit, la plainte qui est déposée pour Thomas concernerait tous les autres qui sont tombés avec lui le 15 octobre 87.

 

Croyez-vous que cette plainte va aboutir un jour ?

 

• On l’espère bien. On espère que la justice sera faite un jour. Et comme le disait bien Thomas Sankara, «aucune lutte n’est vaine».

 

Propos recueillis par

Justin Daboné

San Evariste Barro

L'Observateur Paalga du 18 octobre 2007 



18/10/2007
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