L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Le fils d'un opposant disparu accuse Déby et la France

Tchad

Le fils d'un opposant disparu accuse Déby et la France

Rokoulmian Yorogar Le Moiban, 36 ans, vit régulièrement en France depuis 2002. Il est le fils de N'garledjy Yorongar, député tchadien de l'opposition, porté disparu en même temps que d'autres opposants, dès le lendemain de la rebellion, survenue en début février, au Tchad, contre le régime du président Idriss Déby Itno. Depuis le 3 février dernier, Rokoulmian Yorongar Le Moiban n'a plus les nouvelles de son père, ni de celles de Ibn Oumar Mahamat Saleh, président du PLD. Nous sommes entré en contact avec lui et il a accepté volontiers d'évoquer, par le biais de cet entretien à distance, les tenants et les aboutissants de la situation de crise politique que traverse son pays. Il s'inquiète pour la vie de son père, et celle des autres opposants portés disparus. Notre interlocuteur accuse, avec amertume, certains Etats, de soutenir le regime du président Idriss Déby. La France surtout qui, pour lui, semble avoir donné quitus à Idriss Déby de museler son opposition politique. "Que l'on laisse les Tchadiens choisir eux-mêmes leurs dirigeants", a -t-il déclaré.

Voudriez-vous bien vous présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Rokoulmian Yorongar Le Moiban, célibataire, j’ai 36 ans, ancien enfant de troupe du prytanée militaire de St Louis, promo 83. D’ailleurs, je profite de votre tribune pour saluer mes anciens promotionnaires et cadets burkinabè, qui sont passés par Dakar-Bango.

Que faites-vous en France ?

Je suis arrivé en France en 2002, après l’avoir quittée en 1983 pour le prytanée. J’ai obtenu ma carte de résident en 2003, j’y travaille, et, parallèlement, je suis administrateur de Survie-Rhône depuis trois ans. J’ai également été administrateur de Survie national pendant 2 ans où j’ai beaucoup appris de feu François-Xavier Verschave, ami de mon père, et grand défenseur de la cause africaine. S’il y a de véritables amis de l’Afrique, François-Xavier doit en être l’un des plus grands.

Votre pays, le Tchad, est actuellement en crise politique suite à une rébellion déclenchée il y a quelques semaines. Dites-nous quelle est la situation qui a prévalu avant cette rébellion.

Au Tchad, on ne parle pas de la rébellion mais des rébellions. La mère de tous ces mouvements est née à Nyala (Darfour) en 1966, avec la création du FROLINAT (Front de Libération Nationale du Tchad) du Dr Abba Sidick. Toutes les autres rébellions telle la 1re armée de Goukouni, les FAN (Forces Armées du Nord) d’Hissène Habré, le MPS (Mouvement Patriotique du Salut) d’Idriss Déby Itno ou la Coordination de la Résistance du trio Nourri, Timan et Makaye qui a lancé le raid éclair des 1er, 2 et 3 février 2008 sur N’Djaména, sont les filles de cette première. Tous ces mouvements rebelles, à l’exception de celui de Goukouni Wedeye, sont partis du Darfour à la conquête du pouvoir suprême avec la bénédiction des autorités de Khartoum.

M. Idriss Deby Itno, à la tête d’une colonne de plusieurs Toyota lourdement armées par M. Hassan Oumar El Béchir, Mouammar Kadhafi, et la contribution des renseignements de la DGSE française (les accords de défense de 1976 sont appliqués en faveur des rebelles pour une fois), chasse M. Habré de N’Djaména le 1er décembre 1990 et nous promet à nous Tchadiens « ni or ni argent mais la liberté et la démocratie ». Dix-sept ans plus tard, l’or et l’argent, il les a gardés pour lui, sa famille et son clan, tandis que la liberté et la démocratie ont été confisquées au peuple par la force et l’intimidation.

M. Idriss Déby Itno, à l’époque commandant en chef des armées, se résume en cette déclaration à une session du comité central de l’UNIR en 1984 devant Hissein Habré, Président de la République, répondant à une interpellation de ses collègues à propos des massacres dits de septembre noir: « MM Yorongar et Romian, je tiens à vous dire une bonne fois pour toutes que quand l’ordre est menacé ou troublé, je dois le préserver par tous les moyens, notamment par des tueries et des massacres que vous dénoncez. Dans tous les cas, on ne fait pas des omelettes sans casser des œufs.» In Tchad le procès d’Idriss Deby by Ngarléjy Yorongar édition l’Harmattan.

Depuis lors, Idriss Déby Itno reste égal à lui-même, encourageant le vol, le viol, les crimes de masse, le pillage des deniers publics, les assassinats politiques, la captation du pouvoir par la force ad vitae æternam en modifiant la Constitution, etc. Il faut aussi noter que non content de semer le trouble et la désolation chez lui, M. Idriss Deby Itno exporte sa violence chez ses voisins.

C’est ainsi qu’en 2003 il soutient militairement en hommes et matériels de guerre, le Gal Bozizé qui, rappelons-le, obtint 3% à l’élection présidentielle centrafricaine de 1993, afin de renverser M. Ange Félix Patassé, président régulièrement élu de la RCA. Depuis, les Centrafricains comme les Tchadiens ont pu mesurer son degré d’allégeance envers Idriss. D’aucun le surnomment "le gouverneur de la 19e région du Tchad". Vous pouvez toujours demander aux Centrafricains ce qu’évoque le mot Zaghawa pour eux !

Mieux, la même année, il allume la mèche au Darfour en créant et finançant par le biais de son grand frère Daoussa Déby, le MJE (un mouvement rebelle s’opposant à El Béchir) de M. Khalil Ibrahim qui est le cousin germain de ce dernier. Le but initial était d’étendre son influence jusqu’à Khartoum. Malheureusement il s’y est cassé les dents car les généraux soudanais ne sont pas des enfants de cœur, et cela au grand désarroi des innocentes populations du Darfour qui vivent un calvaire insoutenable depuis lors.

Le système Idriss Deby Itno, c’est aussi le clan qui spolie et tue le peuple tchadien depuis son accession au Palais Rose:

Abbas Tolli, ministre de l’Economie et des Finances, fils de sa grande sœur Hayga Déby Itno, n’est pas du tout inquiété bien que son oncle paternel soit un des leaders de la rébellion actuelle, M. Abakar Tolli;

Daoussa Deby, grand frère, directeur de la SNER, une société d’entretien des routes, 80% des marchés concernant les routes : entretien, bitumage… lui sont cédés sans appel d’offre. Il est également le mécène du MJE (Justice & Equality Movement) de M. Khalil Ibrahim, son cousin germain ;

Hayga Deby Itno, grande sœur, une bonne partie des recettes de la douane de Nguéli (frontière camerounaise) lui revient de droit ;

Chène Déby Itno, petite sœur, préfère les recettes de la douane de l’aéroport de N’Djaména ;

Gal Abderahim Barh Itno, neveu, chef d’état-major général des Armées adjoint, en réalité le véritable chef de l’armée, le CEMGA titulaire n’est qu’une marionnette pour dire qu’on associe les autres ethnies du pays ;

Gal Amada Youssouf Itno, la trentaine, neveu du PR;

Gal Heri Tiera, oncle, contrôleur général des Armées ;

Gal Mahamat Salef Ibrahim, dit Béguy, oncle, commandant de la Garde Nationale et Nomade du Tchad ;

Gal Dirmi Haroun, commandant de la Garde Républicaine ;

Gal Taher Erda, cousin, commandant de la Garde Républicaine adjoint ;

Gal Moussa Haroun Tirgo, chef d’état-major particulier ;

Gal Mahamat Saleh Kaya, directeur de l’ANS (Agence Nationale de Sécurité, police politique) ;

Gal Mahamat Ali Abdallah, également membre du clan, ministre d’Etat aux Mines et Infrastructures, récemment nommé ministre de la Défense, après l’attaque des rebelles.

Il est également à noter que les hommes du clan ont préempté toutes les directions et/ou sous-directions de la police, la gendarmerie, de l’armée, de tous les postes de l’Administration ayant un caractère juteux (là où il y a à manger), ne laissant que les miettes aux 98% de la population exsangue. Ne parlons pas des recettes pétrolières qui, comme le Trésor public, sont considérées comme les domaines réservés du chef de l’Etat, du clan Bidéyat (la proche famille) et de son excroissance Zaghawa. Bref, avec tout cela, comment ne voulez-vous pas que certains Tchadiens choisissent la voie des armes pour changer cet état de fait ?

De tous ceux qui ont négocié un accord de paix avec Idriss Deby Itno, la plupart ont été exécutés ; Ketté Nodji, Abbas Koty, Laoukein Bardé… ou sont repartis en brousse. Le dernier cas en date est le cas de l’ancien ministre de la Défense, le Gal Mahamat Nour, qui a signé un accord de paix le 26 décembre 2006 avec le président en présence de Mouammar Kadhafi à Tripoli en Lybie, et a vu ses parents Tamas massacrés ; il ne doit sa vie sauve qu'au fait de s’être réfugié à l’ambassade de Lybie.

La situation au Tchad n'a pas été provoquée ou exacerbée par une main extérieure?

Comme je vous l’ai indiqué plus haut, aucun mouvement dissident au régime en place à N’Djaména ne peut opérer à la frontière soudanaise sans avoir la mansuétude du gouvernement du Soudan, cela va du fait que les militaires soudanais ferment les yeux sur les va-et-vient des uns et des autres à la frontière. Cela était vrai hier quand Habré chassa Goukouni, Deby pour Habré tout comme de nos jours.

Le président Déby bénéficie lui-même, très souvent, de l’appui des rebelles du MJE soudanais aujourd’hui comme en 2006 (cf. déclaration de Khalil Ibrahim sur RFI le 20 octobre 2006).

De tout cela, une chose est sûre: la stabilité de la sous-région passe nécessairement par un règlement du conflit tchadien qui ne peut réussir que dans le cadre d’un dialogue inclusif réclamé à cor et à cri depuis plusieurs années par la société civile, les partis politiques et les politico-militaires. Idriss Déby Itno, la France chiraquienne aujourd’hui sarkosienne, les Nations unies, l’OUA, etc. n’ont pas voulu entendre ce cri de détresse de tout un peuple, au contraire ils donnent un quitus au dictateur en place pour régler les comptes à son opposition politique, à sa société civile…

Les Tchadiens dans leur ensemble ont soif de démocratie et en ont ras-le- bol qu’une minorité de nos compatriotes s’arrogent le droit de nous prendre en otages depuis plus de 30 ans.

Les Tchadiens sont également fatigués que la France soutienne mordicus leurs bourreaux, et elle doit une fois pour toutes comprendre que nos vies valent mieux que leurs profits. Qu’on foute un peu la paix aux Tchadiens et aux Africains qui sont bel et bien capables de choisir des dirigeants qui œuvreront en faveur de la bonne gouvernance et le développement, contrairement à ce que pensait un certain M. Jacques Chirac qui disait, entre autres : «L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie.»

Quelle est la situation des rebelles portés disparus depuis quelque temps après le déclenchement de la rébellion?

Les rebelles ont fait route vers le sud-est du pays où ils sont en train de reconstituer leurs forces. Il est à craindre, si on n’œuvre pas rapidement pour un règlement de la crise par l’instauration d’un dialogue sans exclusif, une reprise des hostilités qui, une fois de plus, fera des milliers de morts, généralement de pauvres civils innocents qui ne demandent qu’à vivre en paix.

Votre père, N'garledjy Yorongar, est également porté disparu en même temps que d'autres opposants. Savez-vous où il est? Avez-vous ses nouvelles de temps en temps?

Non, ni celle de M. Ibn Oumar Mahamat Saleh, président du PLD, et plus le temps passe, plus nous craignons pour leur vie. Le président Lol Mahamat Choua qui a été retrouvé comme par hasard dans un camp militaire n’a toujours pas été libéré. Tout ce que nous savons, c’est que ce sont les gardes républicains de Déby qui sont venus les enlever, quoi qu’en disent les membres du gouvernement. Le dernier message que j’ai reçu de lui à 12h18 le 2 février est : « J’ai échappé bel. Les militaires gouvernementaux ont tiré un obus sur ma maison mais il est tombé à 10 mètres. Dieu est grand.» Pour moi, ils ont raté leur coup le 2 février et sont donc venus l’embarquer brutalement le 3, entre 16h30 et 17h. Tout ce que nous savons, c’est qu’ils (les leaders de l’opposition enlevés) ont été amenés dans les locaux de la Direction de renseignements généraux dans un premier temps, où ils ont été longuement torturés, puis conduits dans les geôles du sous-sol de la présidence. De source sûre, nous savons que lors de la visite de M. Hervé Morin, ministre français de la Défense, le 5 février, ils étaient encore vivants, mais fatigués. Tout porte à croire que Déby a reçu le quitus pour museler son opposition politique. La timidité de la réaction de la France à propos de ces enlèvements, contrairement à celle de la Commission européenne, ne va pas dans le sens de nous rassurer. Avec l’instauration de l’état d’urgence pendant 15 jours, le mot d’ordre est simple : silence, on peut tuer, torturer, violer, bref, faire du mal aux Tchadiens tranquillement. Je lance un vibrant appel à tous les démocrates du monde entier à se battre pour que l’on ne tue pas impunément la démocratie et les libertés fondamentales en Afrique. Qu’on cesse de mépriser les Africains en les considérant comme de grands enfants, en désignant à leur place ceux qui sont légitimes pour les diriger.

Propos recueillis via internet par Paul-Miki ROAMBA

Le Pays du 22 février 2008



22/02/2008
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