L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Le portrait-robot correspond-il à François ? (Succession de Blaise Compaoré)

Succession de Blaise Compaoré

Le portrait-robot correspond-il à François ?

Depuis quelques années, un sujet défraie la chronique dans la cité : la probable succession de Blaise Compaoré par son frère de sang et de sein, François Compaoré. L’opinion, parfois relayée ou suscitée par les médias, s’en donne à cœur joie. Ce qui est, du reste, normal dans la mesure où, comme l’a dit quelqu’un, "les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde et les problèmes de tout le monde sont les problèmes politiques".

Dans ce sens, il faut, en toute honnêteté, reconnaître le mérite d’un certain nombre de médias tels Bendré, l’Evénement, Le Citoyen, L’Observateur paalga et l’Indépendant, qui ont eu le courage de poser la problématique de la succession de l’actuel président du Faso depuis des années, en adéquation avec leur ligne éditoriale et en fonction des éléments d’information dont ils disposent.

Pour nous, c’est un mérite, car :
 rares sont les Burkinabè qui osent évoquer cette question officiellement ou à visage découvert ;

 à nous-même, l’idée ne serait jamais venue d’y consacrer ce genre de réflexion peut-être par autocensure inconsciente ;

 un lien clair et net a été établi entre la confrontation Salif Diallo/François Compaoré et la lutte de positionnement autour de Blaise Compaoré que se livreraient ces deux personnalités.

S’agissant du fond du point de vue développé par les journaux qui estiment qu’il n’y a pas de doute que Blaise Compaoré met tout en œuvre pour que son frère cadet lui succède, cela est compréhensible au regard :

 de la clôture controversée du dossier Norbert Zongo ;
 du poids politique et économique de plus en plus lourd de François Compaoré ;
 des fréquents clashes entre ce dernier et Salif Diallo par personnalités interposées ;
 de l’absence d’un dauphin désigné à l’exception de celui consacré par la constitution en cas d’empêchement de l’actuel locataire du palais de Kossyam.

Et si Salif s’était trompé de cible

A l’instar des journaux dont nous venons de parler, Salif Diallo était-il (est-il ?) convaincu que le président du Faso préparait (prépare ?) son frère cadet pour lui succéder ? Beaucoup le pensent. Certes, il était certainement mieux placé que nous pour interpréter les non-dits et les actes du premier des Burkinabè et en tirer une conclusion bien plus motivée que notre point de vue ; cependant, il était aussi si proche des deux qu’il lui était impossible de toujours prendre le recul nécessaire afin de juger le moins subjectivement possible les faits et gestes des autres acteurs.

C’est connu : trop éloigné de la réalité, la réalité que l’on veut connaître, on est confronté à un obstacle épistémologique parce qu’étant à l’extérieur, on ne perçoit pas certains détails pourtant importants. Trop proche, on est nécessairement face à un autre obstacle épistémologique, car prendre le recul nécessaire devient difficile.

Et comme l’illustre bien un proverbe moaga, "le chien ne sent pas l’odeur qui se dégage de sa tête". Indépendamment de ce qui vient d’être dit, l’expérience nous apprend que de même que "les plus gros épis arrivent rarement dans le mortier ou à la clairière pour être pilés ou battus, du fait qu’ils aiguisent l’appétit des humains et des oiseaux granivores", de même, les dauphins désignés parviennent rarement à leurs fins, car ils cristallisent nécessairement sur eux les sentiments de répulsion de ceux qui pensent qu’ils auraient pu ou dû être à la place de ces dauphins et les inimitiés de ceux qui, parce qu’étant des canards boîteux, sont pour le nivellement de la société par le bas.

Enfin, Blaise Compaoré, qui est un dribbleur au sens propre (pour avoir été footballeur dans une autre vie) et au sens figuré pour avoir souvent déjoué les pronostics sur la nomination ou la désignation des personnalités à la tête des institutions, dérogera-t-il à la règle tout en sachant que ça lui a plutôt réussi jusque-là, en instituant une phratriarchie" (littéralement le pouvoir des frères) au Burkina Faso ? Nous pensons que non.

Si Salif s’est trompé, nous nous trompons aussi peut-être

Si l’on s’en tient à ce que nous venons de dire, la probabilité que Salif Diallo, les journaux que nous avons cités et une partie de l’opinion soient dans l’erreur est forte. Cela ne signifie pas que notre perception et notre compréhension des micmacs politiques de Blaise Compaoré et des siens soient exemptes d’erreur (s).

Bien au contraire. Seulement :
 par principe, la connaissance de la réalité passe par l’examen et le diagnostic de ses multiples facettes, l’envers et l’endroit, le fond et la forme, le pour et le contre, en attendant, pour le dernier cas de figure, que l’histoire départage les protagonistes et les analystes ;

 bien que cela puisse ressembler à une lecture erronée des réalités sociopolitiques du moment, l’erreur est célébrée, car, malgré les dégâts qu’elle peut causer, elle est partie intégrante du processus de conquête de la vérité.

Loin de nous donc, l’idée selon laquelle Blaise ne prépare pas François à lui succéder ; surtout qu’il n’y a pas de dauphin désigné et qu’une telle affirmation serait d’autant plus infirme que nous ne pourrions fournir aucune preuve de ce que nous avançons.

A la réflexion, tout cela nous ramène à notre condition d’être humain : nous sommes des êtres imparfaits, historiquement déterminés, en proie à des luttes quotidiennes pour dépasser ce qui apparaît comme une malédiction.

Ce faisant, même s’il faut dénoncer et combattre les tares d’autrui, la voix intérieure de la raison de chacun devrait servir de lampe pour éclairer ses jugements. Le temps des messies est, nous semble-t-il, dépassé ou n’est pas encore advenu.

Par voie de conséquence, le système (familial, professionnel, politique, associatif, etc.) auquel chacun appartient à ses tares, qui sont en fait l’enchevêtrement (par l’assemblage ou l’addition) des tares individuelles et de celles du reste de l’environnement. Autrement dit, il est inconcevable qu’un système soit souillé tandis qu’il se trouve des acteurs-clés de ce système qui sont sains.

Quelques aspects du portrait-robot du successeur de Blaise

Comme chacun le sait, le portrait-robot est, au sens propre, un outil d’enquête de la police judiciaire. Son objectif est de réaliser le portrait le plus ressemblant possible du visage d’un criminel inconnu. Au sens figuré, c’est le profil théorique du candidat idéal et idéel à un poste de travail ou de responsabilité.

Dans notre cas, il est de plus en plus question, comme on l’a vu, de la volonté supposée ou réelle de Blaise de se faire remplacer par son frère cadet. Bien entendu, ce n’est pas une hypothèse à écarter dans l’absolu. Mais avant d’en venir à cet aspect des choses, nous avons estimé qu’il fallait chercher les critères que le successeur de l’actuel président du Faso doit remplir. Ainsi, il faut :

 quelqu’un qui "rassure" l’armée. En effet, il va sans dire que dans les affaires de crime de sang, qui ont émaillé l’histoire de notre pays depuis le début des années 80, des militaires ont été impliqués jusqu’au cou.

Or, s’il est vrai que dans ces crimes, ne sont coupables ou responsables que quelques militaires, il est également vrai que ce qui fait la force de cette institution, c’est l’esprit de corps. Cela mis de côté, il faut aussi se rendre à l’évidence : les galonnés sous lesquels les crimes ont été perpétrés occupent toujours des positions-clés dans le système. Alors...

 une personnalité "acceptée" par la France. Quoiqu’on dise, le Burkina Faso occupe une place importante dans la stratégie française en Afrique et singulièrement en Afrique de l’Ouest : le pays est situé au cœur de l’Afrique occidentale ;

Blaise Compaoré a travaillé à convaincre la classe politique française de sa vraie carrure d’homme d’Etat (même si économiquement son pays ne pèse pas plus qu’une plume de moineau) ; le même Blaise a prouvé à la France qu’il peut être un faiseur de paix, même si on le suspecte d’être aussi un fauteur de troubles ; le président du Faso est respecté par ses pairs (par peur ou par amitié mais le fait est quand même là) ;

 une personne à même de séduire les autorités coutumières et religieuses, dont l’influence auprès des populations est indéniable ;
 une personne acceptable pour le parti majoritaire, où les ambitions se feraient sans doute jour si la succession de Blaise était ouverte ;
 un politique ferme mais amical avec les milieux d’affaires.

A l’évidence, ces critères ne sont pas exhaustifs, mais, croyons-nous, suffisamment représentatifs. Par ailleurs, ce portrait n’est que théorique. C’est dire que le caractère mouvant et imprévisible de l’histoire peut produire un président différent ou aux antipodes de ce portrait-robot, mais cela relève de la bizarrerie, de la difformité et de l’inattendu (tous contraires à la norme selon le Petit Robert).

Ce type de situation, quoiqu’il puisse survenir, n’est pas normal. En Etat de droit, il faut donc, comme nous l’avons fait, réfléchir conformément à la norme, c’est-à-dire "à ce qui doit être", "à la majorité des cas" (Le Robert de poche) même si le cours de l’histoire des sociétés s’accommode parfois mal de la norme.

Si l’on considère ce qui vient d’être dit et le fait qu’à l’intérieur même du CDP et du système en général ils sont peut-être nombreux (voire très nombreux) qui feront tout pour que le cadet ne succède pas à l’aîné, une question vient automatiquement à l’esprit : François Compaoré correspond-il au portrait-robot que nous avons fait ?

La question est facilement posée, mais il faut reconnaître que la réponse y est difficilement trouvable, car cela suppose que l’on puisse savoir tout de tout ce système. A défaut d’être dans cette situation ou d’avoir cette faculté, on peut tout de même proposer une réponse en tant que citoyen et acteur social, avec une marge certaine d’erreur (bien sûr) : en l’état actuel des choses, il est permis et on est fondé de penser que François Compaoré ne correspond pas au portrait-robot décliné et n’est pas dans une dynamique de succession de son frère aîné.

Peut-être affûte-t-il ses armes politiques et économiques pour le long terme ou pour dissuader certaines personnes de chercher noise à son frère quand celui-là aura abandonné le pouvoir.

Cette lecture que nous avons et que nous partageons avec les lecteurs n’a pas pour intention de convaincre (n’a-t-on pas dit que la conviction, c’est la théorie des ânes ?), mais de proposer une interprétation supplémentaire de la dynamique politique du Faso.

Tous autant victimes, tous autant coupables

A juste titre, nombre de Burkinabè déplorent ce qui est arrivé à Salif Diallo et continuent de s’interroger sur les raisons réelles d’un divorce aussi fracassant. A juste titre aussi, ils le considèrent comme étant la victime d’un système que certains (même à l’intérieur de ce système) jugent ingrat, vu que l’intéressé avait en charge les missions les plus difficiles et les plus secrètes ; de plus, il apparaissait aux yeux de l’opinion comme un bulldozer écrasant tout sur son passage afin de réaliser ce qui lui avait été confié comme missions.

Toutefois, ce que l’opinion semble oublier, c’est que missions difficiles et secrètes riment souvent avec coups tordus, et, sauf extraordinaire, les victimes des coups tordus, ce ne sont pas leurs auteurs, mais autrui. En clair, dans ces missions difficiles et secrètes, il a lui aussi fait des victimes (anonymes peut-être mais victimes quand même). D’un autre côté, un bulldozer, qui, par essence, rase tout sur son chemin, ne peut manquer de faire des victimes surtout innocentes.

Pour autant, mérite-t-il ce qui lui arrive ? Par principe, il faut éviter de se réjouir des malheurs de son prochain, mais notre raison nous intime l’ordre de penser que dans cette situation, Salif Diallo est victime, mais des victimes innocentes, innombrables, lui aussi en a fait. Le bon sens commande qu’on se préoccupe de son sort, mais aussi de celui des autres.

Enfin, s’il faut admirer son courage, qui fait qu’il n’est pas un "yes man" (chose que nous n’avons pas le culot de dire) de qui on peut imaginer, il faut par contre regretter et déplorer que, selon nombre de ses proches, lui ne voudrait avoir affaire qu’à des "yes man" quand on s’adresse à lui.

Aujourd’hui, tout laisse penser donc qu’avec le départ de Salif Diallo du gouvernement, c’est François Compaoré qui sort gagnant de ce duel. Mais ce dernier aurait tort de céder à cette tentation (pourtant compréhensible), car :
 bien qu’étant son frère cadet, il ne connaît pas tout des intentions de Blaise Compaoré ;

 Salif Diallo n’est pas le genre de politique qu’on enterre rapidement ;
 ce qui reste de Salif Diallo, à savoir son entourage, n’est pas à négliger ;
 il est difficile de ravir à l’enfant du Yatenga la place qui est la sienne au sein du CDP et de l’opinion.

Celui que l’on a vite fait de baptiser "petit président" et qui espère, qui sait, in petto, devenir "grand" serait donc bien inspiré de rester discret, comme à son habitude, sur le sujet, car comme il le sait lui-même, "si la parole est d’argent, le silence est d’or".

Et puis, entre nous, le beau Blaise, qui a l’habitude, il est vrai, de se mettre dans de beaux draps, a quand même un minimum de bon sens et d’intelligence politique pour ne pas faire l’erreur de trop en cédant à cette tentation qu’on lui prête.

Z.K.

L’Observateur Paalga du 2 avril 2008



02/04/2008
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