L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Le procès d’un massacre par procuration

Charles Taylor à la barre

Le procès d’un massacre par procuration

 

Accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, l’ex-président du Libéria, Charles Taylor, devait être devant le tribunal pénal international (TPI), à la Haye, le lundi 4 juin 2007, pour répondre de ses actes. Son procès s’est ouvert à la date prévue, mais sans lui. Dans une lettre qui a été lue par son avocat à l’ouverture du procès, le célèbre inculpé de Monrovia avoue n’avoir pas confiance au tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) et a par conséquent boycotté la séance inaugurale de son procès. «Je ne peux participer à une parodie qui ne rendra pas justice aux peuples du Liberia et de la Sierra Leone», a-t-il expliqué. Le tribunal par la voix de sa présidente, la juge ougandaise Julia Sebutinde a pris acte, estimant que l’accusé a renoncé à son droit d’assister au procès. Cette absence n’a cependant pas modifié la procédure.

Ancien chef de guerre redouté, Taylor, aujourd’hui âgé de 59 ans est poursuivi pour 11 chefs d’inculpation. Il s’agit notamment de meurtre, viol, terrorisme, pillage, esclavagisme et recrutement d’enfants soldats lors de la guerre en Sierra Leone aux débuts des années 1990. Il a été l’un des principaux acteurs des conflits enchevêtrés en Sierra Leone et au Liberia et qui ont fait plus de 250 000 morts et ont choqué la communauté internationale avec les récits et images d’enfants soldats abrutis par les drogues, se livrant ainsi aux massacres et autres exactions indescriptibles. Tout naturellement, et tout en refusant de se présenter devant les juges, il a plaidé non coupable des chefs d’accusation qui pèsent contre sa personne. L’acte d’inculpation affirme que Charles Taylor a voulu s’accaparer le contrôle des richesses minérales de la Sierra Leone, essentiellement des mines de diamants. Il a voulu également déstabiliser le gouvernement de Freetown, dans le secret espoir d’étendre sa propre influence  dans la sous région ouest-africaine. L’acte détaille en outre les horreurs commises par le Front révolutionnaire uni (RUF), le mouvement rebelle sierra-léonais, qui avait la bénédiction de l’ex-maître du Liberia.

Le procès de Charles Taylor, il faut le dire, est à tout point de vue historique. Des présidents africains ont déjà été jugés dans leur pays respectif pour x ou y raisons, mais c’est bien la première fois, sauf erreur de notre part que le procès d’un de nos dignitaires de ce rang magistral est piloté par un tribunal international. On peut citer par exemple le cas de Mengistu Haïlé Mariam, le négus sanguinaire  d’Ethiopie de 1974 à 1991 ; jugé par contumace depuis décembre 1994, dans le cadre des procès dits de «la terreur rouge». Il y a aussi le cas de Jean Bédel Bokassa, l’ex-empereur de Centrafrique, arrivé au pouvoir en 1965 et déposé en 1979 et qui a été condamné à mort en juin 1987, notamment pour avoir ordonné le massacre d’enfants. Chez nous, les mémoires sont encore fraîches des souvenirs de l’ère des tribunaux populaires de la révolution, les fameux TPR, qui ont vu défiler devant des juges tout aussi révolutionnaires,  les anciens chefs d’Etat de la Haute-Volta aujourd’hui Burkina Faso, pour des griefs qu’on leur reprochait grandement. La conclusion qu’on pourrait alors tirer en rapport avec le cas Taylor, est que si nous africains, nous sommes aussi capables de faire le ménage dans nos propres pays par nous-mêmes, et ce depuis 30 ans déjà, il n’y a pas lieu qu’on nous fasse la leçon aujourd’hui en se réfugiant derrière la sacro-sainte justice internationale, et en brandissant parfois l’arme de l’aide. Toutefois, si de lourdes présomptions pèsent contre Taylor, qu’il soit jugé extra-muros par le TSSL, car s’il y a un procès qu’il faut saluer, c’est bien le sien, puisqu’il contribue à discipliner ceux de nos dirigeants qui sont encore aux commandes, en rappelant fortement à leur mémoire que si on joue les Caligula pendant qu’on est au pouvoir, le monde devient forcément trop petit lorsqu’on n’y sera plus. Koestler ne croyait pas si bien dire lorsqu’il affirmait que : «La société brandit la tête pour que les futurs candidats au meurtre y lisent leur avenir et reculent».

Mais qu’on ne se fasse pas d’illusions, le procès de Charles Taylor est un procès techniquement difficile. Il ne peut être qu’un procès qui consacre la justice des vainqueurs. Le principal concerné ayant opté pour le boycott, on se demande bien comment son jugement peut-il donner lieu aux grands déballages tant attendus, certains de ceux qui nous gouvernent étant souvent à tort ou à raison suspectés d’avoir roulé pour le célèbre rouquin de Monrovia. Ne nous risquons cependant pas à tirer des conclusions hâtives car, tout est à venir.

 

D. Evariste Ouédraogo

L’Observateur Paalga du 5 juin 2007



05/06/2007
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