L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Leçons de deux procès (Manifestations contre la vie chère)

Manifestations contre la vie chère

Leçons de deux procès

 

Déjà dure pour les célibataires, la vie l’est  davantage pour les chefs de familles, qui ont plusieurs bouches à nourrir et qui doivent se débrouiller pour trouver quotidiennement quelque chose à faire bouillir dans la marmite. La flambée des prix frappe de plein fouet les ménages burkinabè depuis le début de l’année. Pour s’acheter une bouchée de pain ou de riz, il faut débourser plus que d’habitude alors que les salaires stagnent, scotchés au plancher. A bout de souffle, certains ont décidé de manifester, de crier leur ras-le-bol à la face de l’opinion publique nationale et internationale et surtout à la face des autorités du pays.

Les villes de Bobo-Dioulasso, de Banfora et de Ouahigouya ont donné le ton les 20 et 21 février 2008. Malheureusement, ces manifestations ont dégénéré en courses-poursuites entre  croisés de la vie chère et  forces de l’ordre, avec à la clef des casses et des saccages. Pratiquement une semaine plus tard, le 28, ces mêmes "scénarii" catastrophes se déroulent à Ouagadougou à la faveur d’une journée ville morte décrétée par Nana Thibaut.

Dans les deux plus grandes villes du pays, des dizaines de manifestants sont interpellés et présentés à la justice. 153 à Bobo et 169 à Ouaga. La chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de chaque ville s’est chargée de juger ses prévenus.

Le procès de Bobo s’est tenu le 29 février. Après près de 17 heures d’audience, le tribunal a condamné 29 prévenus et la plus lourde peine a été de 36 mois de prison ferme. Une semaine plus tard, à Ouagadougou, le jugement a duré un peu plus de 40 heures (les 7, 10 et 11 mars) avec au bout du compte  45 condamnations à la prison ferme allant de 36 à 12 mois.

En attendant les éventuels appels que les uns et les autres peuvent interjeter, voilà la première conséquence judiciaire de ces violentes manifestations. La seconde, elle, interviendra un peu plus tard lorsqu’il sera question de réparation civile (dédommagement) au profit de tous ceux qui ont été victimes de ces casses.

Sans entrer dans le fond, on constate que pour pratiquement le même nombre de prévenus (16 de plus dans la capitale), le tribunal de Ouaga a mis plus de temps (23 heures en plus) pour boucler son procès et rendre son verdict. Il y a également une légère différence entre le nombre de condamnations.

En appréciant ces données brutes, on a le sentiment que la justice semble avoir eu la main plus lourde dans la capitale politique que dans la capitale économique alors que la perception générale est qu’il y a eu plus de casses à Bobo qu’à Ouaga.

Ceux qui ont la critique facile et la bouche fendue au mauvais endroit peuvent tout de suite crier à la discrimination. Et pourtant, il faut savoir que la justice est une machine bien complexe qui, tout en considérant les actes répréhensibles posés, donne toujours un verdict reflétant la dimension humaine du juge, sa culture et ses expériences. Les juristes parlent de «l’intime conviction». Ce n’est pas pour rien que dans certains pays, les Etats-Unis par exemple, selon la délicatesse des dossiers, on est très regardant sur la composition du tribunal ou de la cour, mais aussi et surtout des jurés. Le verdict que la justice rend aujourd’hui dans une affaire ne sera pas forcément le même qu’elle rendra demain dans une autre, pourtant similaire.

Au prononcé du verdict, beaucoup de prévenus ont sauté de joie, les sursitaires, car ils ne dormiront plus à la Maison d’arrêt et de correction. Joie légitime, mais combien sont-ils réellement à savoir ce que cette condamnation à la prison avec sursis veut dire ? S’étant présentés sans l’assistance d’un conseil, beaucoup ignorent que la peine assortie d'un sursis veut dire que cette peine, à condition qu'il n'y ait pas de récidive au cours du délai fixé, ne sera pas effectuée. En revanche, le coupable devra exécuter les deux condamnations (le suris et la nouvelle peine sauf s’il  obtient du tribunal une dispense de révocation du sursis antérieur) en cas de deuxième condamnation judiciaire. Le sursis fonctionne comme une peine dissuasive qui tend donc à prévenir toute récidive.

Le nombre élevé de relaxes à Ouaga, tout comme à Bobo, est le signe que la justice à été clémente avec certains prévenus ou alors que la police, certainement débordée, n'a pas toujours eu les moyens de faire son travail et a frappé dans le tas. En effet, on ne comprend pas bien comment on peut relaxer quelqu’un qui est pris sur le fait, la main dans le sac, en flagrant délit donc. Dans une manifestation de rue, les forces de l’ordre, très souvent, arrêtent tous ceux qui se trouvent dans un périmètre donné. De simples passants et riverains peuvent se retrouver ainsi pris dans la nasse alors qu’ils n’ont absolument rien à voir avec les casseurs. Même sans avocats, beaucoup de prévenus ont pu se défendre en restant constants dans leurs déclarations. Ils ne pouvaient donc qu’être libérés, puisque  compte tenu des circonstances de leur arrestation, la police n’est pas capable de dire où elle a arrêté tel ou tel prévenu. C’est plutôt ce dernier qui relate les circonstances et dit le lieu de son  interpellation.

Certainement que ces verdicts ont blanchi de nombreux casseurs, la justice n’ayant pas disposé  d'assez d’éléments contre eux. D’autres par contre ont sans doute été condamnés parce qu’incapables de se défendre correctement quand bien même ils paraissent innocents.

Avec la surpopulation carcérale, qui est un truisme au Burkina, la semaine que les prévenus ont passée dans les maisons d’arrêts et de correction a sans doute favorisé des contacts et des échanges douteux entre eux et des délinquants aguerris et très bientôt, on pourrait ressentir les conséquences de ce bref séjour dans un milieu où le nombre de bandits au mètre carré est effroyablement élevé.

On sait que dans ces deux procès, les moins de 20 ans étaient très nombreux et constituaient l’écrasante majorité, pour ne pas dire que la quasi-totalité des prévenus était composée de délinquants primaires. Le gouvernement aurait pu prendre une mesure spéciale pour les interner ailleurs que dans les prisons, le temps qu'ils soient jugés. Cela leur aurait évité de vivre cette promiscuité avec des caïds. Surtout qu’il coulait de source que beaucoup de prévenus seraient relaxés.

Telles nous paraissent les premières leçons de ces procès.

 

San Evariste Barro

L’Observateur Paalga du 13 mars 2008



12/03/2008
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