L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Liquidation BRAFASO : Sursis à exécution

La liquidation judiciaire des Brasseries du Faso (BRAFASO) est suspendue. La Cour de cassation en a ainsi délibéré le 31 octobre 2011 après l’examen de la requête de sursis à exécution formulée par cette entreprise contre le jugement de la cour d’appel de Ouagadougou du 12 août dernier. Mais les créanciers (BIB/UBA, BCB et CNSS) de la société n’excluent pas d’attaquer cette décision devant la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan (CCJA). De leur côté, les avocats de BRAFASO estiment que ce répit pourrait permettre la conclusion de nouveaux partenariats pour qu’à terme l’usine entre dans la phase de production.

 

C’est en 2002 que l’opérateur économique burkinabè Pangueba Mohamed Sogli a créé BRAFASO. Il a pour cela bénéficié de prêts importants libellés en milliards de nos francs de la part de ses créanciers à savoir la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale) et un pool bancaire composé alors de quatre établissements financiers : BIB (Banque internationale du Burkina), BCB (Banque commerciale du Burkina), BACB (Banque agricole et commerciale du Burkina) et Ecobank. Mais avec la restructuration des banques, la BACB a été absorbée par Ecobank tandis que la BIB a été acquise par la UBA (United bank of Africa) en devenant BIB/UBA. Parce qu’elle a prêté plus d’argent à BRAFASO, la BIB/UBA a été de fait le chef de file du pool bancaire.

 

Tout allait bien entre l’entreprise et ses partenaires financiers. Les boissons (sucreries) BRAFASO sont même produites et commercialisées durant un temps. Puis on a commencé à parler d’une prochaine production de bière par cette brasserie située à Silmissin dans le département de Komsilga à quelques encablures de la capitale burkinabè. Mais depuis, plus rien…

 

Alors des tractions ont lieu entre les banques et leur débitrice. Mais l’usine tardait toujours à démarrer la production de la bière surtout que celle des sucreries avait aussi été stoppée. D’ailleurs elle n’a pas encore repris jusque-là. Alors, prenant peur de n’être jamais remboursée, la BIB/UBA a initié une procédure judiciaire le 13 décembre 2010 devant le tribunal de commerce de Ouagadougou. Le chef du pool bancaire sera rejoint dans cette procédure par la BCB et la CNSS. Ensemble, les créanciers (BIB/UBA, BCB et CNSS) demandent ni plus ni moins la liquidation de BRAFASO. Les banques ont pour avocats le cabinet Kam et Somé (Guy Hervé Kam & Séraphin Somé), la CNSS a pour conseil Me Harouna Sawadogo et la BRAFASO est défendue par le cabinet de Me Jean Charles Tougma.

 

La liquidation judiciaire est la conséquence d'une procédure collective, résultant d'une action judiciaire engagée par un ou plusieurs créanciers lorsqu’ils constatent que la société du débiteur ne dispose plus d'une trésorerie suffisante pour payer les dettes exigibles. La liquidation judiciaire est donc une décision de justice face à la situation de cessation de paiements de l’entreprise débitrice qu’il est manifestement impossible de redresser. Alors on liquide l’entreprise, on vend ses biens pour rembourser les créanciers.

Pour l’avocat de BRAFASO, Me Jean Charles Tougma, la requête des créanciers est infondée puisque «la situation de l’entreprise n’est pas irrémédiablement compromise. Je dis bien irrémédiablement car ç'a tout son sens. En effet, même si la situation permet un redressement possible mais difficile, elle n’est pas irrémédiablement compromise. Même si la situation est presque compromise mais n’est pas irrémédiable, on ne liquide pas. Dans ces conditions, on ne peut pas  prononcer la liquidation de BRAFASO».

Mais ce n’est pas l’avis des conseils des créanciers, Me Guy-Hervé Kam et Séraphin Somé, pour qui «pendant près de deux ans, les banques ont exploré la situation de BRAFASO pour la sortir d’affaire notamment au moyens d’une restructuration du crédit. Toutes les voies ont échoué. La procédure de liquidation était la seule qui nous restait dans la mesure où on avait tous les éléments qui montraient que BRAFASO n’avait plus rien pour faire face à l’ensemble de ses dettes immédiatement exigibles. La société ne pouvait pas bénéficier du redressement dans la mesure où elle n’a aucune chance de survie car il n’y a aucune garantie sérieuse de redressement».

 

Mais le 5 juillet 2011, le tribunal de commerce prononce le redressement de BRAFASO. Chose que les créanciers ne pouvaient accepter. Ils ont aussitôt fait appel. Ainsi, la cour d’appel de Ouagadougou est saisie de l’affaire. Le dossier a été appelé le 12 août 2011 et le verdict rendu le même jour : la liquidation judiciaire de l’entreprise. Joie chez les banquiers, grise mine chez BRAFASO.

 

Pour Me Jean Charles Tougma, ce procès d’août n’était pas équitable car il y avait «violation des droits de la défense et violation du droit du ministère public (le parquet général) qui n’a pas assisté à l’audience car il a demandé le renvoi du dossier mais les juges ont refusé en invoquant les vacances judiciaires. De plus, au cours de l’audience, on a produit une pièce du ministre de l’Economie. Cette pièce prouvait que BRAFASO venait d’avoir l’appui de l’Etat et que la promesse de soutien de l’Etat n’était pas hypothétique. Mais le juge a refusé de rabattre le dossier pour prendre notre pièce».

 

Me Guy Hervé Kam n’entend pas les choses de la même manière car, selon lui, l’absence du parquet n’infirme pas le procès. Il précise que le droit des procédures collectives au Burkina est régi par l’acte uniforme de l’OHADA (Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires) portant sur les procédures collectives d’apurement du passif donc sur les questions de liquidation et de redressement. «Nulle part dans ce texte, il n’est prévu que les affaires en cette matière sont communiquées au ministère public. Dans ces conditions, l’absence du parquet n’a aucune incidence sur la procédure. Mais même si c’est le droit national qui devait s’appliquer dans cette affaire, il faut retenir que l’affaire a été bel et bien communiquée au ministère public qui n’a pourtant pas comparu le jour de l’audience. La loi fait obligation de communiquer l’affaire au parquet, mais ne lui fait pas l’obligation de comparaître. Dans cette affaire, le droit national n’est pas applicable, et même si on voulait l’appliquer, il faut retenir que le dossier a été communiqué au parquet».

 

Et le soutien de l’Etat, tout semble indiquer que BRAFASO l’a. En effet, le Premier ministre Luc Adolphe Tiao  est allé visiter l’usine le 13 septembre 2011. A l’occasion, le chef du gouvernement avait déclaré : «Je suis étonné de voir qu'on n'a pas pu empêcher la liquidation judiciaire de BRAFASO». Luc Adolphe Tiao avait poursuivi : «aucun développement dans un pays n'est possible sans l'industrialisation» et pour cela il avait salué «la vision du promoteur» de cette unité industrielle, Pangueba Mohamed Sogli.

 

BRAFASO, évidemment, avait immédiatement formulé un pourvoi en cassation contre le jugement de la cour d’appel. Le dossier est toujours pendant devant cette juridiction. Le pourvoi, on le sait, n’est pas suspensif. Du coup, la situation judiciaire de BRAFASO demeurerait la liquidation. Alors les avocats de Sogli ont introduit devant le premier président de la cour de cassation une requête de sursis à exécution de la décision de la cour d’appel. Cette saisine a été faite en vertu de l’article 607 du code de procédure civile. Cet article permet la suspension de l’application de jugement d’appel dans certains cas (cf. voir l’article en encadré).

 

Le 25 octobre 2011, les différentes parties étaient encore à la barre pour l’examen du sursis à exécution. Les débats contradictoires ont eu lieu et le délibéré avait été programmé pour le 31 octobre. Lundi dernier donc, le verdict est tombé : la Cour de cassation a prononcé le sursis à exécution à la grande joie de BRAFASO dont les avocats applaudissent à tout rompre puisque «le droit a été dit. Ce n’est que justice pour le promoteur qui a voulu investir dans son pays alors qu’il aurait pu placer son argent dans une banque suisse et gagner plus de 100 millions de FCFA par an». Me Jean Charles Tougma indique que ce verdict permet au promoteur de trouver de nouveaux partenaires pour lancer à terme la production de l’usine avec à la clé des emplois (600 directs et 8000 indirects) et des milliards de taxes pour l’Etat. Il y a des chances  d’y arriver puisque «l’Etat est déjà un soutien fort», a conclu l’avocat.

 

Par contre, pour les conseils des banques, «cette décision ne peut pas être justifiée par le droit. C’est une décision inédite dans tous les pays membres de l’OHADA à savoir qu’une juridiction ordonne le sursis à exécution d’une décision en matière de procédure collective. Nos recherches ne nous ont pas permis de rencontrer une telle décision car c’est une procédure (l’ordonnance de sursis à exécution) qui est inconnue dans le droit OHADA. Que dit cette ordonnance : que bien sûr BRAFASO est en liquidation mais que les opérations de liquidation sont suspendues jusqu’à l’intervention de la décision de la Cour de cassation sur le pourvoi formulé par l’entreprise de Sogli».

 

A propos des emplois que pourrait créer BRAFASO, les avocats de la défense pensent que les banques emploient plus de personnes que BRAFASO et que le financement qu’elles apportent à leurs clientèles permet aussi de faire vivre des pans entiers de l’économie nationale donc davantage de personnes que ne pourrait le faire l’entreprise de Sogli.

 

La visite du Premier ministre à l’usine et ses déclarations n’ont-elles pas influencé cette décision des juges de la Cour de cassation ? La main sur le cœur, Me Tougma a déclaré que «non car ce verdict est l’aboutissement des voies de recours normaux». L’avocat a soutenu que «cette visite du chef du gouvernement était programmée longtemps» et que Luc Adolphe Tiao a bien précisé qu’il n’entendait pas «interférer» dans la sphère judiciaire. Le Premier ministre a simplement dit que «l’Etat allait soutenir BRAFASO peu importe dans les mains de qui la société allait tomber». Me Tougma estime d’ailleurs que «l’intervention de l’Etat dans une procédure collective est une bonne chose» et que «c’est parce que les banques savent que l’investissement de Sogli dépasse leurs prêts qu’elles disent de liquider la société car elles sont sûres d’être remboursées».

 

Me Guy Hervé Kam et son collègue Me Séraphin Somé ont noté que «la production de bière devait commencer depuis 2006, mais jusque-là rien, pourtant les banques ont décaissé les fonds. Il y a des prêts qui devaient être déjà remboursés mais voilà, l’usine n’a toujours pas commencé à produire. Même après la liquidation, il y a des factures que les banques paient pour cette entreprise car ses biens sont les seules garanties de leurs remboursements. BRAFASO aujourd’hui n’a plus d’employés. Au tribunal du travail, il y a plein de dossiers où les gens lui réclament leurs salaires depuis plus de deux ans. Qui travaille aujourd’hui à BRAFASO ? Il n’y a que les gardiens. Quand on dit BRAFASO, ça impressionne, mais il n’y a rien dedans. Il y a des factures très modiques que la société ne peut même pas honorer. Pourtant on nous dit que cette société peut encore vivre» !

 

Une chose est certaine, l’ordonnance de sursis à exécution prise par la Cour de cassation sera attaquée par les banques. Voici ce qu’en dit Me Guy Hervé Kam : «Nous avons des critiques contre cette décision mais nous allons les faire dans les règles devant la Cour commune de justice d’Abidjan (CCJA) de l’OHADA. Forcément la décision sera remise en cause et cette affaire ne fera pas honneur au Burkina ni du point de vue des investisseurs ni du point de vue du monde judiciaire».

 

Il faut préciser qu’Ecobank n’est pas mêlé dans cette affaire. Au contraire des autres banques, elle a décidé de ne pas ester en justice contre la société de Sogli. Un geste que Me Tougma salue car «Ecobank est une banque professionnelle et internationale et qui n’a certainement pas apprécié cette procédure». Mais de l’autre côté, Me Guy Hervé Kam estime que «chaque banque est libre d’aller ou de ne pas aller en justice pour recouvrer ses créances. Même dans la vie courante, chacun est libre d’aller en justice ou non».

 

A l’évidence, ce feuilleton judiciaire est loin de prendre fin car, il n’y a pas de doute, on reparlera de l’affaire dans les semaines et mois à venir.

 

San Evariste Barro

 

Encadré

Ce que dit l’article 607

 

Nous vous proposons la partie de l’article du code de procédure civile invoquée par les avocats de BRAFASO.

 

«Les recours en cassation et les déclarations de pourvoi ne sont suspensifs que dans les cas suivants :

En cas de pourvoi en une matière où cette voie de recours n’est pas suspensive, le premier président de la Cour de cassation où tout président de chambre de ladite Cour spécialement désigné par le premier président peut ordonner, qu’il soit sursis à l’exécution des arrêts rendus par les cours d’appel ou des jugements rendus en dernier ressort lorsque l’arrêt ou le jugement contient un excès manifeste de pouvoir, une violation flagrante des droits de la défense ou une grossière erreur de droit ou lorsque l’exécution dudit arrêt ou jugement est de nature à entraîner des conséquences excessives au regard de la situation du débiteur de l’exécution ou au regard de la situation du créancier, notamment en raison du risque de restitution impossible ou difficile en cas de cassation».



08/11/2011
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