L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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"On n'efface pas l'histoire, il faut l'assumer"

Pr BASILE GUISSOU, DG DU CNRST, ANCIEN MINISTRE DU CNR

"On n'efface pas l'histoire, il faut l'assumer"

Dans le cadre de la commémoration du 15 octobre, nous avons rencontré le mardi 9 octobre 2007 à Ouagadougou, le Pr Basile Guissou, l'un des tout premiers ministres du Conseil national de la Révolution (CNR). Aujourd'hui directeur général du CNRST, c'est un homme qui comme à son habitude, s'est prêté bien volontiers à nos questions. Sans détours, il nous parle de la Révolution, de ses mésaventures et donne son appréciation de cette date historique.


Comment percevez-vous la commémoration du 15 octobre au-delà des clivages idéologiques et politiques entre les partisans de Blaise Compaoré et de Thomas Sankara ?

J'ai publié un livre depuis 1995 où ma pensée est que nous sommes tous des héritiers de la Révolution démocratique et populaire qui a pris naissance depuis les années 70 au sein de l'Union générale des étudiants voltaïques (UGEV). Elle a été la première organisation à dégager la nécessité d'une Révolution pour notre pays en se démarquant du mouvement de libération nationale à l'époque du Pr Ki-Zerbo, qui prônait la réforme à travers un changement pas à pas du système politique. Le mouvement estudiantin à son cinquième congrès a souhaité une rupture avec le système néo-colonial et la responsabilisation du peuple dans la recherche d'un mieux-être des populations en comptant sur nos propres forces. Ces idées ont eu un écho favorable auprès de certains syndicats et formations politiques tels le PAI, l'ULC (Union des luttes communistes) et même au sein de l'armée. C'est cela qui a conduit au 4 août 1983. Ce sont à mon avis des carences de gestion interne qui expliquent l'implosion du Conseil national de la révolution le 15 octobre 1987. L'histoire n'est pas un saucisson qu'il faut découper par morceau. Ce qui la rendrait incompréhensible d'ailleurs. Il faut montrer que nous avons une histoire commune, une mémoire collective à transmettre aux autres générations de façon intelligible. C'est vous dire qu'en voulant braquer les positions et les rendre inconciliables, on perturbe l'analyse et la compréhension juste des problèmes. Au-delà de tout cela, il y a des états d'âme, des chocs réels qu'il importe d'accepter comme parties intégrantes de cette histoire. Des personnes ont pu être choquées au point de ne pouvoir prendre suffisamment de recul et regarder froidement les choses comme un historien professionnel. C'est à partir des histoires que chacun peut laisser que les historiens écrivent l'Histoire.

Le 15 octobre qui n'est pas une date officielle de l'Etat continue de diviser les acteurs de la scène politique. N'est-ce pas que le pays est toujours divisé malgré l'instauration par exemple, de la Journée nationale de pardon ?


Ecoutez, que le peuple se réconcilie, ne signifie pas qu'il ignore son histoire. Au contraire, on n'efface pas l'histoire, il faut l'assumer. Et c'est la façon de l'assumer qui peut poser problème et dans la situation présente, je refuse de m'inscrire dans la dynamique qui veut que le 15 octobre n'ait existé que sur une seule face. Cette date a tout son contenu, pour vous dire que le CNR a implosé de lui-même et non par l'action d'une force extérieure. Donc ce sont les mêmes acteurs qui n'ont pu trouver de mécanisme de gestion de leurs contradictions, ont été acteurs et victimes à des degrés divers, de ce qui est arrivé. Chacun est libre selon moi, de prendre l'histoire par le bout qu'il veut. Je répète que c'est l'ensemble des histoires qui sera exploité par les historiens afin que nous ayons une Histoire politique compréhensible au-delà de tous sentiments. Que l'on parle de fête, de funérailles ou même d'indifférence, importe peu. L'essentiel est que chacun puisse exprimer son point de vue.

D'aucuns pensent que l'appareil de l'Etat est utilisé contre l'autre camp à savoir les sankaristes. Quel est votre point de vue sur la question ?

Personnellement, je me méfie d'une telle approche des choses. Je ne vois pas quel intérêt l'Etat aurait à cibler une organisation et l'empêcher de manifester. Il faut relativiser les choses.

La salle du CBC par exemple leur a été refusée...

Ce n'est pas parce qu'une ou deux salles ne sont pas disponibles qu'il n'y a plus d'autres lieux. Du reste, j'ai lu dans les journaux que les intéressés tiendront leurs manifestations en d'autres endroits. Ce sont des citoyens comme tous les autres et ils ont le droit de commémorer cette date. Il faut éviter de crier trop vite au drame.

Pour revenir à la Révolution, vous avez été un acteur essentiel en tant que ministre des Relations extérieures et de la Coopération, comment avez-vous vécu le 15 octobre ?

Je tiens à préciser que le 15 octobre 1987 je n'étais plus dans le gouvernement puisque je l'avais quitté dans le mois d'août de cette année, pour des divergences politiques connues. Mon parti, l'ULC avait été la cible d'autres formations politiques, et nous avions opté de nous mettre en retrait face à des problèmes qui minaient le CNR et l'absence de mécanismes afin de réguler les contradictions. Le 15 octobre, j'étais chez moi assis sur ma terrasse à 16 heures. J'étais en congés après être retourné au CNRST comme chercheur. J'ai entendu les coups de feu, de ma terrasse. Je me suis branché à ma radio pour suivre ce qui se passait et j'avoue que, contrairement à ce que d'autres disent, moi je n'ai pas été surpris. Car ceux qui ont voulu voir venir les choses et qui avaient une capacité d'analyse à l'intérieur du CNR ou dehors, voyaient très bien que la tension montait, des clans, des camps se formaient. Il y avait des tracts qui circulaient et une issue sanglante n'était pas à exclure.

En tant qu'ancien membre du CNR, n'avez-vous pas été victime d'une chasse aux sorcières ?

Ne connaissez-vous pas les guéguerres des partis de gauche où l'on peut vous poursuivre jusque dans vos derniers retranchements ? J'ai été arrêté en décembre 1987 et torturé à la gendarmerie jusqu'au 25 mars 1988 avec des plaies partout sur le corps. Je me suis fait soigner pendant des mois. Cela n'a pas empêché d'autres de me rejoindre au CNRST d'où deux policiers m'ont amené derrière les rails et m'ont frappé, rasé la tête. Je sais qui l'a fait et d'où est venu l'ordre. Jusqu'à ce jour personne n'a revendiqué ces actes. Je passe l'éponge sur tout ça, l'essentiel étant d'être vivant. J'ai vécu des moments difficiles, c'est vrai et je pense que pour l'essentiel, les conditions pour une paix sociale se réunissent de plus en plus. Nous devons travailler dans ce sens. Autrement, si chacun doit rendre le coup reçu, on ne s'en sortira jamais. Avant nous, d'autres ont reconnu leurs erreurs et se sont pardonné afin que nous puissions exister.

Vous êtes considéré aujourd'hui comme un des intellectuels du pouvoir en place. Comment s'est fait votre ralliement ?

Depuis 1983, je suis un intellectuel du pouvoir. Je n'ai jamais été un intellectuel contre le pouvoir parce que je pense que mon pays est le premier au monde. Quelle contribution puis-je apporter pour que mon pays ne recule pas ? C'est cela ma position quel que soit le régime. Autrement, je ne suis plus un chercheur, ce métier qui m'a aidé à assumer des responsabilités politiques. Je ne peux que m'en féliciter puisque je crois que j'ai pu apporter ce que j'avais de meilleur à mon pays.

Vous étiez un proche collaborateur de Thomas Sankara, quels souvenirs gardez-vous de lui ?

Sankara était mon président. Contrairement à ceux qui l'ont connu depuis l'école primaire, je ne l'ai connu qu'en 1983 précisément avec Blaise Compaoré. Les deux étaient venus chez moi pour parler politique. J'ai gardé d'eux l'image de deux personnes qui savaient où elles voulaient amener leur pays et très déterminées à le sortir de l'orientation néo-coloniale. J'ai travaillé avec les deux et nous avions des relations de camaraderie. Sankara était un homme très intelligent, volontaire et un homme de foi qui croyait en ce qu'il faisait, même dans ses erreurs. J'ai toujours dit qu'il avait les défauts de ses qualités. C'est quelqu'un qu'on ne pouvait que soutenir ou haïr, parfois jusqu'à la passion. Il fait partie des hommes particuliers qui surgissent dans l'histoire d'un peuple. Sankara est pour moi une étoile filante qui a traversé le ciel du Burkina.

Vous étiez donc très proche de Blaise Compaoré. Quelle image gardez-vous de lui ?

Je ne dirai pas qu'il était le contraire de Sankara. Ils étaient plutôt complémentaires parce que je n'aime pas beaucoup les comparer. Blaise Compaoré était une toute autre personnalité avec une autre façon de voir les choses et de diriger. L'un et l'autre avaient le souci de bâtir, de changer et de transformer l'image de la Haute-Volta enclavée, toujours obligée de tendre la main à l'extérieur pour de l'aide, et de donner l'image d'un peuple conscient qui peut participer à la conquête de son bonheur. Comme disait un camarade, on ne peut pas comparer les deux personnes.

Vous êtes issu d'une famille disons politisée. On en connaît des Guissou au PDP/PS, Joséphine Ouédraogo née Guissou très proche de Sankara. Comment avez-vous ressenti le 15 octobre dans le cercle familial ? N'y a-t-il pas eu pas de batailles de tranchées en votre sein ?

Ecoutez, la famille reste la famille et les partis politiques aussi. Mon grand frère reste mon grand frère tout comme ma soeur et mon cousin. Dans un de mes livres, j'ai montré cela et dit que heureusement le Burkina a une histoire socio-politique millénaire. Donc la culture de savoir dissocier les deux choses date de mille ans. L'empire mossi existe il y a dix siècles. Il existe d'autres empires très vieux disposant de socles leur évitant de basculer. Si nous n'avions pas su garder nos valeurs culturelles de solidarité, nous aurions fait des dérapages pires que ceux qu'ont connus d'autres pays.

Quels sont vos meilleurs et pires souvenirs de la Révolution ?

Mon meilleur souvenir est que nous croyions très jeunes en une vision pour notre pays et pour l'Afrique. Nous travaillions sans réserve dans un élan patriotique et volontariste. Personnellement, je perdais cent mille francs de mon salaire en acceptant d'être ministre. Je n'avais aucune indemnité pendant quatre années. Je connais d'autres qui travaillaient dans des banques et qui avaient perdu deux cent cinquante mille francs de leur salaire. Nous nous sommes sacrifiés parce que convaincus que c'était pour le bien de notre pays. Mon pire souvenir est d'avoir vu venir la crise et le sentiment d'incapacité de pouvoir l'éviter. Je ne pouvais pas deviner que les choses se passeraient comme tel.


Comment avez-vous reçu, en tant que civil, votre cohabitation avec les militaires et quelle explication donnez-vous aux événements tragiques du 15 octobre et même après ?

Celui qui a une capacité d'analyse devrait pouvoir percevoir que depuis 1986 naissait une crise entre les partis politiques. En 1984, le PAI a été éjecté du processus. Au départ, il y avait trois parties dans le processus. Il faut le dire, ce sont dix personnes qui ont constitué le premier gouvernement du CNR le 23 août 1983 à savoir, Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Henri Zongo, Jean-Baptiste Lengani pour la partie militaire, Adama Touré, Soumane Touré et Philippe Ouédraogo tous du PAI, Dondassé Tatata Eugène, Valère Somé et moi-même Basile Guissou pour l'ULC. Nous constitutions le noyau du CNR. Les problèmes ont commencé à surgir à partir du moment où on a commencé à élargir les rangs les membres du CNR non sur la base de textes réglementaires. Nous qui étions issus de groupes marxistes organisés dans des cellules qui avaient des règles de fonctionnement, étions perdus. Un pouvoir ne pouvant se gérer dans l'informel. La cohabitation civils, militaires n'a pas été du tout facile parce que nous n'avions pas la même approche des choses, les mêmes sensibilités. Cela ne pouvait conduire qu'à un affrontement entre les individus. Quand les mains nues vous devez discuter avec des personnes armées, il est clair qu'en cas de tension, c'est l'arme qui risque de trancher.

Où en êtes-vous avec le parti radical en Italie ?

Le parti transnational est un parti qui regroupait des citoyens du monde, autour d'objectifs civils pour la défense des libertés, des droits de l'homme. Je milite dans une association qui entretient des relations avec ce parti. Quand nous le pouvons, nous prenons part à leurs activités. J'avoue que nos activités sont très réduites du fait du manque de moyens financiers notamment.



Certains acteurs de la scène politique ou de la société civile pensent que tout n'a pas été dit sur le 15 octobre où des complots ont été entretenus. Que répondez-vous ?

On n'a jamais tout dit parce que les affaires d'Etat restent les affaires d'Etat. On ne dit jamais tout. Des volets ne seront jamais abordés. Nul part au monde on n'a vu un Etat qui n'ait pas d'informations à ne pas jeter dans la rue. Il ne faut pas se faire d'illusion sur la question.

En tant que ministre des Affaires extérieures et de la Coopération à l'époque, que répondriez-vous à ceux qui pensent qu'il y a eu une ou des mains extérieures derrière le 15 octobre ?

Je ne vois aucune main extérieure dans cette affaire. Je pense que le CNR a été le premier et peut-être le seul pouvoir dans notre pays qui n'avait de compte à rendre à personne à l'extérieur. C'est moi qui ai signé les nouveaux accords de coopération France/Burkina en février 1985. Je puis vous assurer que nous avions insisté sur la non immixtion dans nos affaires et le refus de nous faire sous-traiter par le feu président Félix Houphouët Boigny comme c'était le cas depuis 1960 jusqu'en 1983 où les affaires du Burkina se réglaient à Yamoussoukro. Nous avions dit à Mitterand que désormais c'était Paris-Ouagadougou. Je suis catégorique, la politique du CNR n'a jamais été dictée de l'extérieur.

L'on soupçonne le président Houphouët d'avoir été instrumentalisé contre le CNR...

Ceux qui le soupçonnent, c'est leur droit. Chacun est libre d'avoir son approche. Comme je vous le disais, on n'a jamais fini d'écrire l'histoire.

Vous avez certainement un message à l'endroit de tous ceux qui entendent commémorer le 15 octobre...

La classe politique doit apprendre à assumer avec responsabilité ce qui constitue un patrimoine commun, notre héritage politique. Nous n'avons pas à rougir ou hésiter pour l'assumer, au-delà de toutes les sensibilités. C'est ainsi qu'on construit, à mon avis, une nation forte.

Entretien réalisé par Abdoulaye TAO et Philippe BAMA

Le Pays du 15 octobre 2007



15/10/2007
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