L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Pain Shalom (1) de Loumbila : La baguette magique des bonnes sœurs

Pain Shalom (1) de Loumbila

La baguette magique des bonnes sœurs

 

Le 13 août 2007, pour un reportage, nous nous rendions dans un centre pour orphelins à Loumbila, où devait se tenir une formation de nourrices. Durant le trajet qui nous menait à ce paisible village, la plupart des occupants du véhicule ne parlaient que d’un produit phare qui est fabriqué dans la pizzeria du centre vers lequel nous nous dirigions. Il s’agissait du pain. Et pour camper le décor de notre article à l’époque, comme un avant-goût, nous écrivions dans notre édition du jeudi 16 août 2007 : «L’endroit est plus connu des Ouagavillois pour sa délicieuse miche dénommée pain Shalom. Ce produit, toujours imité mais jamais égalé et qui sort d’un four à vapeur, provoque une ruée de citadins qui ont certainement marre du produit génétiquement modifié qu’on leur sert en ville». On pouvait donc déjà présumer que ces baguettes magiques, qui attiraient bien des consommateurs, pourraient bien  faire l’objet d’un petit reportage. C’est ce qui nous a reconduit le samedi 25 août 2007 sur les lieux.

 

L’expression «s’arracher comme de petits pains» sied à merveille à l'écoulement de la spécialité fabriquée par les sœurs de l’orphelinat Sainte-Thérèse de Loumbila. Nous en avons été témoin en cette douce matinée du samedi 25 août 2007. Entre 8 heures et 11 heures, il y eut deux ruptures de stock et il fallait attendre la prochaine sortie du four. Des clients qui tenaient mordicus à rentrer avec le produit fabriqué en ces lieux ont décidé de tromper leur ennui en sirotant de la boisson. Le secret de la patience n’est-il pas de faire quelque chose en attendant ? Les qualificatifs ne manquent pas pour faire les éloges du pain Shalom. Morceaux choisis: «c’est doux» ; «la mie est consistante» ; «ça peut se conserver longtemps» ; «comme c’est fait avec du sésame…»... Et les chalands affluent de partout. A l’image de Sœurs Marie Cécile Toé et de Véronique Dembelé. La première est de Toma et la seconde du Mali.  Toutes deux sont  à l’Ecole nationale des enseignants du primaire (ENEP) pour une rencontre catholique. D'autres consommateurs assidus, c’est l’instituteur Jonas Nikièma, qui enseigne dans la zone et qui tient  à rentrer en famille à Ouaga avec les célèbres miches. Ou encore le commerçant Paul Sawadogo, résidant au secteur 23, qui va vers  Ziniaré et qui a pris le soin d’acheter quelques baguettes. Avec des propos empreints d’humour et qui confinent à la réclame publicitaire, ce dernier a fait remarquer : «Si tu te diriges vers Ziniaré et qu’à ton retour à la maison tu n’as pas ce pain avec toi, tu auras à en répondre. Les femmes et les enfants voudront te manger toi-même». Bref, tout cela pour dire que les visiteurs proviennent de divers horizons, et l’affaire marche. Il serait difficile de dénombrer ceux qui font cette expédition alimentaire. Les riverains, les fonctionnaires qui exercent dans la zone, les voyageurs de passage, ceux qui vont visiter le parc animalier de Ziniaré, sans oublier les «missions» dépêchées  depuis Ouagadougou s'arrachent l'aliment. Malheureusement, il y a des jours où ceux qui n’ont pas pris soin de commander la veille rentrent sans le produit.

C’est le lieu de le dire, «les voies du Seigneur sont insondables». En effet, qui aurait pu imaginer qu’un pain fabriqué en province aurait tant d’adeptes. Surtout auprès de l’habitant casanier de Ouagadougou qui rechigne à se décarcasser, si ce n’est pour aller de temps en temps au village. D’ailleurs, le pain, il envoie l’acheter chez l’épicier du coin. Pour s’en procurer, il n’ira pas très loin, «là où le chien est mort» comme on dit. Ce qui n’est pas le cas pour le pain Shalom. Malgré l’augmentation de son prix (de 150 FCFA à 200 FCFA), compte tenu des nouveaux tarifs de la farine et de l’huile, l’affaire attire de plus en plus de clients. D’ailleurs quand ces derniers arrivent devant le comptoir, la lecture de l’affiche annonçant le renchérissement du coût semble être le cadet de leurs soucis.

 

«N’allez pas pour la recette ; vous reviendrez bredouille»

 

 Mais quelle peut bien être la recette de ce qui ameute tant ? Germaine Kizongo, une des boulangères, a accepté de lever un tout petit coin du voile : «Il faut du sel, un peu de sucre, du sésame, quatre litres d’eau et un demi-litre d’huile pour 8 kilos de farine. Et en 30 minutes, 80 baguettes sortent du four à vapeur chauffé à 300 degrés». Mais est-ce vraiment tout ? N’y a-t-il pas un petit secret jalousement gardé à défaut d’être breveté ? A cette évocation, notre guide, Sœur Pauline, éclate de rire avant de préciser : «C’est difficile pour nous de vous dire tout ! Comme vous, beaucoup qui arrivent ici nous demandent la méthode de fabrication pour faire le pain eux-mêmes. Cela veut dire qu’une fois qu’ils sauront le faire, ils ne reviendront plus en acheter ici ! Avec quoi allons-nous en ce moment entretenir et payer la scolarité des enfants orphelins que nous hébergeons ?». La recette intégrale du pain Shalom, ce n’est pas aussi mystérieux que la formule de Coca Cola, mais c’est tout comme. Mieux valait ne pas insister. Si elle ne la dévoile pas au meilleur des clients, ce n’est sans doute pas à un journaliste d’une matinée que la religieuse fera cette confession.

L’orphelinat Sainte-Thérèse de Loumbila est une initiative des travailleuses missionnaires de l’Immaculée Conception, communément appelées Sœurs de l’Eau Vive. Créé en 1998, il a d’abord été  installé à Guiloungou puis transféré sur l’actuel site en 2000. La pizzeria en face de la voie où est fabriquée la célèbre croûte est un projet d’une structure catholique italienne, le Mouvement Shalom. Au cours d’une de leurs visites, ils se sont demandé pourquoi ne pas créer une structure qui va aider à l’autoprise en charge des orphelins, servir de cadre de formation et aussi promouvoir la culture italienne. Sur le dernier objectif, en se fiant seulement au nombre de miches vendues par jour (plusieurs centaines), beaucoup de Burkinabè ont dans leur sang, depuis longtemps et sans le savoir, la culture de ce pays d’Europe qui a la forme d’une botte.

Mais la pizzeria ne sert pas seulement du pain, même si c’est ce produit qui a fait sa réputation. Comme son nom l’indique, il y a de la pizza, du café, de la boisson et l’incontournable poulet grillé burkinabè. Mais on a comme l’impression que c’est l’existence du pain Shalom, emporté ou souvent consommé sur place avec le petit déjeuner, qui conditionne tout le reste. En somme, la pizzeria ne serait pas pizzeria sans ces fameuses baguettes. Mais de là à penser  que tout le monde salive à l’évocation de la marchandise à base de farine de blé, il y a un grand pas qu’il ne faudrait pas franchir. Cécile Lingani, habitant au quartier Wayalguin, est venue avec sa tante mais ne fait pas partie des indéfectibles : «Le pain au sésame, ça ne me plaît pas. Le goût est bizarre. Je n’en ai donc pas payé. On m’avait dit qu’il se fabriquait du pain au beurre ici». Et de fait, quand nous en avons ramené à la rédaction, certains ont trouvé que ça faisait plus viennoiserie que pain, bromaté ou pas. Ne dit-on pas que des goûts et des couleurs, on ne discute pas ?

 

Issa K. Barry

L’Observateur Paalga du 31 août 2007

 

 

Note

(1) Shalom signifie en hébreu «la paix», le pain Shalom signifie donc le pain  de la paix, de l’amitié, de la concorde

 

 

Encadré 1

Sœur Marie Claire Théo, responsable de l’orphelinat Sainte-Thérèse

«Si nous avions un deuxième  four…»

 

Qu’héberge le Centre Sainte-Thérèse ?

 

• Nous avons une centaine de pensionnaires qui ont entre 0 et 18 ans. La majorité est orpheline de père et de mère. Il y en a qui sont orphelins soit de père ou de mère. Les autres sont des enfants abandonnés. L’Action sociale et les paroisses nous les envoient. Souvent, nous les recevons de simples proches.

 

Peut-on avoir une idée des structures qui vous soutiennent ?

 

• Etant une structure sociale, nous vivons surtout de dons, notamment de l’appui d’associations basées en Europe qui nous ont, par exemple, aidé à la réalisation des infrastructures.

 

Recevez-vous des subventions de l’Etat ?

 

• Subvention… C’est trop dire… De temps en temps, nous bénéficions du soutien du ministère de l’Action sociale et du Conseil national de lutte contre le Sida et les IST. Et sur place, nous essayons de faire quelque chose pour aider à la prise en charge des enfants. D’où la construction de la pizzeria.

 

De la pizzeria, parlons-en. Le pain qui y est fabriqué est-il initialement destiné à la consommation sur place ou à la vente à l’extérieur ?

 

• Les deux. Les enfants en mangent. Mais il est surtout vendu pour aider à leur autoprise en charge. C’était l’objectif de ceux qui ont conçu l’idée de la pizzeria. Comme on le dit, plutôt que de donner du poisson à quelqu’un, il faut lui apprendre à pêcher.

 

La vente de ces fameuses miches semble être une activité très rentable…

 

• Très rentable c’est trop dire… cela pouvait l’être vraiment s’il n’y avait pas cette augmentation du prix de la farine et de l’huile. Le four consomme également beaucoup d’électricité. Mais notre plus grand problème est que nous n’arrivons pas à satisfaire notre clientèle. A notre grand regret, beaucoup viennent et nous sommes obligés de leur refuser le pain parce que nous ne disposons que d'un seul four à vapeur qui est petit. Il est spécial et assez cher (Ndlr : il coûterait plus de 20 millions de FCFA).

 

Vous entretenez un certain mystère autour de la recette qui sert à la fabrication du produit…

 

• (Rires) Beaucoup nous ont effectivement approché pour avoir la recette. Mais voyez-vous, nous luttons pour une cause sociale. Sur place, nous avons l’école maternelle et l’année prochaine nous ouvrons le primaire. Par ailleurs, nous avons des enfants du CP1 à la Terminale qui sont totalement pris en charge par le Centre. En outre, il y  a d’autres qui sont en formation professionnelle dans les domaines de la mécanique auto, de la couture ou de la médecine. Pour vous dire qu’il y a de bonnes raisons de ne pas divulguer la formule au premier venu qui en fait la demande.

 

Propos recueillis par

I.K.B.

 

Encadré 2

Les origines du pain

 

Il y a peu de mots qui aient fait l’objet d’autant de citations et d'expressions que le pain. Citons quelques-unes assez célèbres : «gagner son pain à la sueur de son front» ; «ôter le pain de la bouche de quelqu’un» ; «l’homme ne vit pas seulement de pain» ; «en faire une bouchée de pain» ; «un peu de pain pour manger, un peu de paille pour dormir et le philosophe est heureux»... Et l’un des épisodes les plus célèbres sur cet aliment figure dans la Bible quand Jésus a multiplié le pain pour la foule.  Nul ne connaît le nom de son inventeur. Et pourtant, l’apparition de ce produit céréalier fermenté représente une étape majeure dans l’histoire universelle de l’alimentation. S’il n’est pas contestable que les galettes non fermentées, consommées chaudes, constituent un aliment acceptable, il n’en demeure pas moins que leur goût reste fade. De plus, en cas de stockage, elles sèchent et perdent rapidement de leur appétence. La préparation de galettes fermentées, puis de pains s’est donc imposée, car l’alvéolage généré améliore la texture et le goût. Du coup, il devient possible, ainsi, de constituer des réserves de nourriture. La valeur nutritionnelle et la digestibilité de l’aliment sont également améliorées, sans augmentation de coût. Il est admis que le berceau de la boulangerie se situe au Proche-Orient, dans une zone qui comprend notamment une partie de l’Iran et de l’Irak actuels. En effet, il y a environ 8 000 ans, la civilisation sumérienne maîtrisait déjà la fermentation de la bière et du pain. Par la suite, les Egyptiens, les Grecs, puis les Romains perfectionnèrent l’art boulanger. Au Burkina, le premier pain que nous avons connu est celui fabriqué avec le four traditionnel à base de banco. Le pain qui en sort, appelé avec raillerie « Tab-nè-naw », pour dire que la pâte a été malaxée avec les pieds, est revenu à la mode ces dernières années. Les citadins, qui le dédaignaient, lui trouvent à nouveau bon goût, après l’avoir snobé pendant des années.

 

L’Observateur Paalga du 31 août 2007



31/08/2007
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