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Pourquoi tous les grands artistes sont-ils fous ?

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Pourquoi tous les grands artistes sont-ils fous ?

 

Dans le microcosme des artistes, la chose la mieux partagée n’est pas la raison, mais la folie. De talentueux peintres, d’immenses écrivains et de grands philosophes ont été des fous furieux. A telle enseigne que l’on se demande si ce n’est pas la folie qui rend l’œuvre possible. Ou si le travail de la pensée ne génère pas la démence.

 

Nietzsche, Maupassant, Nerval, Lautréamont, Desnos, Van Gogh, Artaud, Hölderlin, Breughel, Bosch, Dürer, Rousseau, Sade, Goya, Gogol, Poe, Kafka, Strindberg,…On pourrait continuer l’énumération jusqu’à concurrencer l’annuaire téléphonique,  tellement ils sont nombreux, ces artistes de génie qui ont flirté avec la folie ou qui ont succombé, vaincus par la démence. Pourquoi toutes ces intelligences supérieures ont-elles perdu la raison ? La folie serait-elle consubstantielle au génie ?

Le raccourci le plus simple serait de dire que la grande intelligence conduit irrémédiablement à la folie. Interroger le monde, c’est prendre conscience que celui-ci est un Auschwitz géant où tous les humains, humbles comme grands hommes, gesticulent comme des patins en attendant la solution finale (la mort) ; et c’est savoir que tout homme est un paquet d’os en sursis qui ira rejoindre l’immense ossuaire de plusieurs milliards d’humains qui l’ont précédé sur Terre. Découverte déstabilisatrice. Nietzsche affirme même qu’ «il se pourrait que la constitution foncière de l’existence implique qu’on ne puisse en avoir une pleine connaissance sans périr…». C’est donc la lucidité qui rend fou. L’homme intelligent confronté à l’absurde du monde, lequel est une «histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien...» s’affranchit des convenances sociales et assume pleinement le tragique d’être homme. Le créateur inconsciemment ou non se révolte et tente d’évincer Dieu et de refaire le monde à sa convenance. «Nous savons comment sont faits les dieux. Il est temps de refaire le monde», disait Jack London.

On pourrait aussi concevoir que la folie  naisse du travail de la pensée. On sait que les créateurs ne sont pas nombreux parce que leur travail est titanesque ; celui-ci mobilise fortement l’esprit, exige une tension du corps et sollicite beaucoup d’énergie psychique. De sorte qu’il peut altérer la santé mentale. On pense à Rimbaud, malade pendant l’écriture d’Une saison en enfer : «Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes. J’étais mûr pour le trépas et, par une route de dangers, ma faiblesse me menait aux confins du monde…». Et à James Joyce de confesser, à propos de son livre Ulysse, qu’une «feuille transparente le sépare de la folie»

Il est certain, au regard de témoignages de quelques artistes, que la folie est un ferment qui accroît les potentialités du créateur. Comme si la folie en abattant les cloisons exiguës de la raison ouvrait au créateur d’immenses et de riches territoires où l’esprit puisait des vigueurs et du nouveau qu’il redéployait dans l’œuvre. Nietzsche reconnaît que «c’est la démence qui fraye la voie de la pensée neuve, qui lève l’interdit…». Et Nerval, parlant de sa période de crise, dit : «Il me semblait tout savoir, tout comprendre ; l’imagination m’apportait des délices infinis».

De sorte qu’il est légitime de se demander s’il y aurait eu œuvre s’il n’y avait pas eu folie chez Lautréamont, chez  Nerval, chez Van Gogh, chez Nietzsche et chez Edvard Munch.

En effet, c’est enfermé entre les quatre murs de l’asile et de sa folie que Lautréamont prend d’assaut la citadelle du langage avec son œuvre iconoclaste Les chants du Maldoror. Il s’installe au cœur du langage, dynamite son architecture et avec les débris de l’édifice réinvente une écriture consciente de son pouvoir et se déployant selon ses propres lois. Sans l’audace qu’autorise la folie, aurait-il pu écrire  : «Deux piliers, qu’il n’était pas difficile et encore moins possible de prendre pour des baobabs, s’apercevaient dans la vallée, plus grands que deux épingles. En effet, c’était deux tours énormes» ? Ici la comparaison et la métaphore deviennent de simples artifices littéraires.

Et Nerval composa aussi Aurelia pendant ces deux séjours à l’hôpital en 1853-1854. Cette œuvre forte est selon son auteur le rendu d’un épanchement du rêve dans la vie réelle. La maladie mentale devient donc «l’élaboration poétique et mystique d’un journal intime».

Il est avéré que la peinture de Van Gogh amorça un tournant lorsque sa santé mentale se mit à décliner. Ses champs de tournesols où le jaune et le vert tournoient jusqu’au vertige, son autoportrait où Artaud, un autre génie fou, décèle «le moment où la prunelle va verser dans le vide» doivent beaucoup à la fureur démente qui poussa le peintre à se couper l’oreille et finalement au geste contre nature de se supprimer.

Que dire de Nietzsche, le philosophe aux yeux de braise et à la parole ignée qui devint complètement fou un automne 1888 ? N’est-ce pas la folie qui fait de lui un penseur à nul autre pareil ? Il déploie une pensée neuve qui brise tous les systèmes philosophiques antérieurs et leur substitue la fraternelle compréhension du chant du monde. C’est pourquoi il ne fut pas philosophe au sens où l’entendait Musil : «Les philosophes sont des violents qui, faute d’armée à leur disposition, se soumettent le monde en l’enfermant dans un système».

Enfin, le tableau le plus connu de Munch, Le Cri, fut peint au cours d’une dépression. L’artiste était soigné par des électrochocs. Ainsi, ce personnage asexué qui se tient la tête des deux mains, et se fend d’un cri sourd et interminable qui perturbe le monde et déforme l’atmosphère est sorti tout droit d’un cerveau malade et électrocuté. La représentation picturale qui rend le mieux compte de l’angoisse existentielle doit beaucoup à la folie !

Les plus grandes beautés naissent très souvent des souffrances les plus effroyables. Ceci est surtout vrai dans l’art. Il semble que les cordes des violons sont faites de tendons d’animaux. Pour notre ravissement devant un solo de violon, il y eut auparavant les hurlements des bovins et les déchirants hennissements des chevaux aux tendons sectionnés. Ce sont aussi des esprits malades qui accouchent dans la douleur  des chefs-d’œuvre de l’humanité. On peut donc, sans craindre le ridicule, dire qu’en chaque fou sommeille peut-être un grand artiste. On arrive finalement à souhaiter que certains bourgmestres, au lieu de vouloir débarrasser leur cité des fous, «de ceux qui ont usé à la tâche leur dernier grain d’esprit», aient la folle inspiration de leur offrir des chevalets de peintres et des calepins d’écrivains. Combien de peintres et d’écrivains en sortira-t-il ? Hi ! Hi ! Hi ! Parbleu, refaisons l’Eloge de la folie !

 

Barry Alceny Saidou

L’Observateur Paalga du 4 octobre 2007



03/10/2007
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