L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Quelle réforme pour l'enseignement supérieur ?

Débat

Quelle réforme pour l'enseignement supérieur ?

 

Tchalla Kodjo, l'auteur de ce texte que nous vous proposons, est contre la généralisation du système Licence - Master - Doctorat (LMD) dans les universités africaines. Une réforme qu'il juge hasardeuse, inadaptée et surtout imposée par nos partenaires du Nord. C'est en tout cas sa conviction et il ouvre ici le débat sur la réforme de l'enseignement supérieur en Afrique.

 

Depuis un certain temps, quelques institutions universitaires africaines s'entichent de manager autrement l'enseignement et l'évaluation par l'introduction du systéme licence - master - doctorat (LMD). Comme toute révolution, elle a pu être motivée par des impératifs de remodelage d'un systéme précédent devenu inadapté. Elle n'a surtout pas à se réclamer d'un aménagement suivant ce qu'il y aurait de pratiques dominantes même à titre prévisionnel dans les modèles occidentaux. Les principaux acteurs des universités et autres premiers responsables de l'éducation ont, à l'annonce de la trouvaille, été attendus sur une communication plus ouverte pour faire créditer la thèse de l'opportunité de la chose ; il n'en a rien été puisqu'en fait d'explications au risque de nous tromper, on n'a eu droit à rien de consistant comme justificatif. Et s'il s'en est trouvé pour en dire un mot à ce sujet depuis cinq années que la question est à l'ordre du jour entre conférences de recteurs d'universités par-ci, conciliabules du Conseil africain et Malgache de l'enseignement supérieur (CAMES) par-là, sous la férule des responsables en charge de l'enseignement supérieur jusqu'à la réunion ministérielle de Koudougou au Burkina Faso en juillet 2007, c'est comme une logique de se conformer à ce qui se fait ailleurs qui a transparu. 

Il convient d'aller au-delà des interviews auxquelles nous avons eu droit et dont la brièveté ne peut suffire à entretenir sur le bien-fondé d'un tel projet pour ne pas donner l'impression qu'une politique d'orientation de l'enseignement supérieur qui se voudrait être crédible ait été de la sorte simplifiée, d'autant qu'il ne pouvait suffire que l'on ait affirmé que le passage est nécessaire voire indispensable pour que nous mordions à l'hameçon des chimères. Que les politiques africains excellent dans l'art de copier sans discernement, passe encore, mais que les sommités du savoir en fassent autant, qui semblent y croire elles-mêmes, a soulevé notre inquiétude là où nous étions en droit d'oser orienter comme bon nous semble notre propre devenir intellectuel.

 

L'éternel assistanat

 

S'agit-il ici de renfermement sur soi, d'un rejet de l'apport extérieur comme le souhaite une certaine frange des aspirants à l'autodétermination de l'avenir du continent, mystérieux conservateurs de leur état? Certes non, mais ne serait-il pas tout autant insensé de se jeter à vau-l'eau sous prétexte que l'on doit se mettre aussi dans l'air du temps ? Puisque ni les premiers, émoulus d'égocentrisme puéril, ni les seconds, gros avaleurs de couleuvres, ne rendent service à notre leitmotiv commun qui est de passer à un grade supérieur à celui auquel les tenants de l'ascendance colonisatrice tiennent à nous reléguer. Nos systèmes d'enseignement se devraient d'emprunter aux autres simplement ce qui a été prouvé nécessaire parce qu'utile, on n'en irait pas jusqu'à prétendre ériger un système d'enseignement original quand bien même il pourrait y avoir de la matière à défendre dans un tel projet ; vouloir de  surcroît en faire une exigence serait un brin ridicule. Qu'importe, mais de là à se laisser aller à cette sorte de complexe - car en fait de complexe le conformisme aveugle en est -, on peine tout autant à comprendre en quoi cela profite à la connaissance et à la compétence. Par contre il est facile d'admettre que l'on y ait été tenu par l'éternel assistanat qui nous tient la barbichette par la besace et alors on s'épanche d'amertume d'observer que l'Afrique continue son périple forcé, bradant comme toutes ses autres ressources, son intelligentsia dans les marché de dupes. Car déjà que nous souffrons du cruel manque d'autonomie, il ne restera plus qu'à enterrer le rêve d'indépendance réel si l'intelligentsia africaine doit aussi continuer de faire allégeance au monde en des partenariats peu glorieux. Que perdraient nos universités en ne cédant pas à ces partenariats, autre que des subsides, alors que dans ces conditions-là, c'est tout l'édifice de connaissance de l'univers qui se construit subrepticement sans nous. Et ce n'est un secret pour personne que la bourse dessert au bout du compte tout ce qui est du projet pour ne servir que les préposés à la gestion de la belle affaire, hypothéquant notre développement qui attend beaucoup de nos apports jusque-là maintenus dans une interminable germination s'ils ne sont méconnus, faute de caution de qui de droit. Histoire de rappeler que les  arrimages infantilisants sont lourds de conséquences et que de ce point de vue aucune expérience ne témoigne en faveur des défenseurs des initiatives du genre.

Sur le plan académique il est vrai qu'on ne voit pas le drame aussi aisément que pour les enjeux monétaires ou financiers, mais à moins d'ignorer l'impact du savoir et de l'élite dans la transformation des sociétés, il est fort à parier que le déficit induit par les dispositions académiques et professionnelles hasardeuses et pour le moins bancales a bien plus compromis l'essor du continent que tout autre manque à gagner : c'est connu de Jean Bodin, il n'y a de richesse que d'hommes.

 

Mutualiser les efforts

                   Et si comme dit plus expériences passées témoignent pour apprentis sorciers, c'est de bon droit que l'on devrait demander davantage d'explications aux parties prenantes de ce nouveau projet. Puis, que l'on ne vienne surtout pas nous dire que cela fait ses preuves ailleurs, ce serait donc au-delà de la situation aggravante d'abus d'autorité la preuve que la formation universitaire est tombée en panne et qu'il faut songer à sauver nos ressources intellectuelles. Ici  c'est l'Afrique ; que l'Union Européenne s'invente alors un procédé d'harmonisation des systèmes de formation qui augmente les chances d'insertion professionnelle en son sein si le cœur leur en dit ; libre à elle également que ses responsables de l'enseignement y réfléchissent comme bon leur semble et en autant de fois qu'ils voudront. Notre admiration pour l'initiative devrait s'arrêter là.

Car comment un système qui, dans sa conception, n'a rien de près ni de loin concerné l'Afrique, tout comme ne prévoit rien pour elle dans son aboutissement pourrait-il nous tenter à ce point ? Les cadres africains ont-ils vocation à être formés sur commande des réalités professionnelles des communautés d'Outre-mer. On suppose que la réponse est non. D'autre part dans l'hypothèse que les mêmes causes produisent les mêmes effets, n'aurait-on pas dû s'assurer qu'on était dans des hypothèses analogues. Ceci nous amène à demander davantage, que par exemple ceux-là nous fournissent des précisions sur les contraintes qui y obligent, dispensés qu'ils sont encore de devoir nous présenter le brevet "d'assurance de pouvoir trouver du travail", et pour être plus exigeant encore, pourquoi pas une étude systématique. Dans le cas contraire pourquoi alors a-t-on eu ceci : «Il permet aux onze pays membres du réseau de mutualiser leurs efforts afin d'entrer dans le nouveau système avec des chances de réussir, des chances de donner aux étudiants les meilleures chances de pouvoir rentrer dans la vie active avec une assurance de pouvoir trouver du travail et de se positionner dans le monde» ? Interview du professeur Nicoué Gayibor, Président du REESAO «Réseau pour l'excellence de l'enseignement supérieur en Afrique de l'Ouest» et président de l'Université de Lomé-Togo, reçu par le premier ministre Ernest Paramanga Yonli  Ouagadougou le 25 janvier 2006.

 

Le LMD, la prétendue pierre philosophique

 

L'élite intellectuelle en serait-elle à l'école de la langue de bois des politiciens dans la problématique de la productivité de nos universités qu'elle ne pouvait mieux faire. Car l'antienne bien usitée dont on excipe de sa bonne foi en face de l'échec, nourrie sous nos tropiques par la culture de l'à peu près, loin de l'exigence de rationalité, est une habitude consacrée par les dirigeants politiques, dont les élucubrations même grandiloquentes ne pourront être affranchies de la nécessaire preuve et de la pertinence dans l'approche méthodologique. Cela a été déjà dit, il ne s'agit guère d'être réactionnaire au motif que ce qui vient de l'ancien maître est facteur d'aliénation et nuisible. Que nenni, il s'agit simplement de cesser de faire passer l'à priori occulte pour une évidence lorsque manque le courage d'affirmer qu'on se jette à l'eau comme les fois précédentes dans l'espoir que dame fortune nous accordera sa clémence.

Du reste, quel respect attendons-nous de la jeunesse quand elle nous observe nous désolidariser ainsi, sans élan et sans raison valable d'un système d'enseignement de quatre décennies qui lui a été administré et duquel personne n'a pris le soin de dresser un bilan, ne serait ce que partiel, pour user aujourd'hui de l'enchère des titres et conférences pour justifier le chômage sous le fardeau duquel ceux-là ploient sous prétexte qu'ils n'auraient pas été formatés suivant le modèle adapté à leur temps ; comment ne pas y voir une imposture ? Celle par laquelle on veut en effet hiberner encore ses angoisses dans une nouvelle illusion de systéme dont il n'est rien établi ni en bien ni en mal, et pour lequel - comble de méprise - il faudra attendre le terme minimum nécessaire pour avoir des arguments critiques ex post. Bien entendu, les vendeurs d'illusions auront disparu de la circulation, laissant un probable autre passif à l'élite dirigeante du moment, laquelle n'aura à son tour sa crédibilité sauve qu'en inventant son stratagème "universitaire". Et le jeu d'ombres chinoises continue.

Certes la critique est facile dira-t-on mais osons reconnaître que l'orientation du système LMD a émané sous d'autres cieux de nouvelles exigences de compétence requises par leur niveau de développement et des besoins du marché de l'emploi. Il ne sied donc même pas d'en débattre ici avant que l'on nous ait répondu si la France, principal agent d'entraînement du vortex, a jamais cru devoir se requinquer d'une camisole du genre quand elle en était encore à "l'état nature" comme chez nous, et Dieu sait qu'il y a bien longtemps. Et là on passe du fallacieux à l'inconséquence si l'argument doit être mis en rapport avec notre niveau de développement. D'ailleurs pendant qu'on y est, qui s'est il chargé d'évaluer le potentiel et la technicité de nos cadres en rapport avec les besoins du terrain pour oser se targuer de l'argument de désuétude. Quand on a réussi à ranger les ingénieurs agronomes dans l'oubli du chômage ou la reconversion en des sots métiers dans un continent qui a le plus besoin de leur service, avec ou sans culture de rente, quand on forme des énarques et des enseignants certifiés qui se retrouveront avec des emplois aux statuts ambigus et alambiqués dans des pays où l'administration est moribonde, l'éducation à sacraliser, qu'on vienne à vouloir faire croire en un certain LMD prétendue pierre philosophale relève de la mythologie moderne. Comment ceux là qui ne savent que faire de leurs généralistes emploieront-ils leurs spécialistes ? L'Afrique dispose-t-elle d'autant de compétences qu'on se doive coûte que coûte de les affiner pour soi disant démultiplier les possibilités de l'emploi ou répondre aux impératifs des mutations tout azimut ?

 

Nous avons besoin de gens bien formés

 

L'intelligentsia est compagne de l'élite dans la matérialisation des projets de développement initiés par les leaders des nations. A défaut de la lune de miel indispensable entre les deux, la première ne devrait pas être serve de la seconde. Et si les gouvernants africains refusent d'ouvrir le champ au débat sur l'autonomie et l'indépendance réelles, nos institutions universitaires ne devraient pas les suivre dans leur égarement. Car si c'est vraiment de développement qu'il s'agit, ces mouvements convulsifs repoussent l'échéance de la thérapie urgente à rechercher qui doit être réfléchie dans un cadre intellectuel véritable, au grand dam des prestidigitateurs parfois hélas universitaires. Nous avons besoin de gens bien formés et compétents dans tous les domaines où nous avons des besoins et nous avons besoin de promouvoir des secteurs professionnels qui emploient nos cadres et notre main d'oeuvre. Mais il aura fallu au préalable qu'on songe à élaborer des projets de sociétés intégrateurs de tous ces intrants et non de cataloguer de bonnes intentions dans des réformes sans fil conducteur, des cadres stratégiques de lutte et autres initiatives sans suite. Sinon on n'a plus qu'à reporter nos espoirs sur la prochaine initiative, mais laquelle donc ?

 

Tchalla Kodio

L’Observateur Paalga du 25 septembre 2007



25/09/2007
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