L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Retour d’Abidjan : Carnet d’un voyage au pays natal

Retour d’Abidjan

Carnet d’un voyage au pays natal

 

Plus de quinze ans après mon dernier séjour dans la capitale économique ivoirienne, je retrouve Abidjan. Venu pour m’y faire établir un visa pour le Cap, en Afrique du Sud, je renoue le fil avec la ville où, comme bien d’autres compatriotes burkinabè, j’ai vu le jour il y a trente-huit saisons.

Malgré les vagues sociopolitiques qui ont troublé les eaux paisibles de la lagune Ebrié, Badjam, comme on désigne là-bas la métropole d’éburnie  dans le jargon nouchi, est toujours au faîte de sa splendeur et de sa grandeur d’antan : population chaleureuse, rues grouillantes, interminables embouteillages et nuits envoûtantes.

Après la nuit des cinq longues années de crise, tous attendent l’aube nouvelle promise par les accords de Ouagadougou. Et même si ça tangue, le tango continue.

Carnet d’un retour au pays natal.

 

Aéroport Félix Houphouët-Boigny à Port Bouet.  11 juin 2007 peu après 18 heures. Une fraîcheur vespérale, en provenance de la mer, caresse les passagers du vol 2J  0320 T de la compagnie Air Burkina. «Akwaba», (1) semble nous murmurer le courant marin. Comme je venais d’une contrée où la température à l’ombre, selon le commandant de bord Amadé, avoisinait les 40°, mettez-vous à ma place et vous aurez toute la mesure du plaisir exquis  qui était le mien.

 

Un gaou à Abidjan

 

Les formalités de débarquement accomplies sans couacs, excepté la longue attente due au nombre de voyageurs  des différents vols, me voilà à l’assaut de la première cabine téléphonique, du moins du premier marchand d’unités hertziennes comme il en pullule partout à Abidjan. «Cent cinquante francs CFA la minute», me dit le petit ganguenèga (2), se pourléchant les babines à l’idée de gruger le bognordjan (3) que je suis et qu’il a vite reconnu par l’accent.

Quelque trente minutes après, un interlocuteur avec qui j'ai conversé par téléphone arrive en trombe à bord d’un taxi. Accueil cordial. Florent tient à régler le coût de l’appel que je viens de lui passer. Il se rend compte alors de la supercherie dont j’ai été victime. Embarrassé, le jeune filou empoigne son butin et se fond rapidement dans la foule. Un gaou (4) à Abidjan, ça laisse forcément des plumes. Et la leçon, je l’ai retenue. 

Mon baluchon déposé au Touraco, un petit hôtel de Kumassi, quartier populaire d’Abidjan, cap sur une ruelle longeant l’ancien marché du coin. Le flair en alerte, l’œil fureteur, les babines déjà luisantes de salive, me voilà me faufilant, tel un forcené, au milieu de cette grappe humaine, à la recherche du succulent garba. Humm ! L'attièkè, accompagné de poisson salé et vendu par des Haoussa, constitue le régal  de bien de femmes et d’hommes ; des petites gens comme des personnes nanties. «Trois cents francs, poisson deux cents», ai-je lancé (comme d’habitude à Ouaga), enivré par l’agréable senteur émanant du hangar. Des regards médusés me mitraillent de la tête aux pieds. Le vendeur se saisit d’un plat peu ordinaire, le remplit d’un monticule de garba sur lequel il dépose précautionneusement deux morceaux de poisson frits. Me tendant mon bol, il ajoute : «Pour la tomate, adressez-vous à la vendeuse assise à côté». Surpris par la quantité qui m’est servie, je voulus revoir ma commande à la baisse. Trop tard. «Votre monnaie, monsieur». Je compris tout de suite pourquoi les autres clients m’ont dévisagé, tel un martien, au moment de ma transaction avec le vendeur. «Le gaou a encore gaffé», me suis-je dit, un tantinet honteux.

A chaque jour suffit sa peine. Après avoir partagé avec soulagement mon repas avec deux compatissants élèves du collège le Néophyte, retour à l’hôtel, à la chambre 301.

De quoi sera fait demain ? Je me suis endormi, l’esprit hanté par la question.

Le compteur n’arrêtait pas de tourner. Le taxi, lui, est continuellement pris dans les embouteillages. Le conducteur fait mine d’être lui aussi contrarié. Au fond de lui-même, le gai luron sifflote. Les yeux rivés sur le maudit appareil, je ne remarque pas la présence, à chaque carrefour, de policiers, de CRS et de gendarmes armés pour la plupart de kalachnikovs. «Vos papiers, s’il vous plaît», me demande, courtois, un agent de sécurité, fusil d’assaut en bandoulière. Ma carte d’identité burkinabè en main, il rétorque, d'une nervosité très perceptible : «ça n’a aucune valeur chez nous. Votre carte de séjour et votre carte consulaire». «Je viens d’arriver, tenez, voici mon ordre de mission», ai-je répliqué à brûle-pourpoint, le cœur battant la chamade. Lorsque je voulus fournir d’autres explications, le taximan me fit signe de me taire. Motus et bouche cousue donc. Un coup d’œil furtif sur le compteur qui poursuit sa  course folle : 2860 francs. «Tant que le moteur n’est pas arrêté, le compteur tourne», dit le chauffeur, devinant mon désarroi. «Bon séjour à Abidjan», lâche enfin l’agent, en guise d’autorisation de continuer notre chemin.  A destination, c’est-à-dire devant le portail de l’ambassade du Burkina Faso, au quartier chic du Plateau, le taximètre affiche 3380 francs CFA. Sans doute le record de la journée, voire du mois et pourquoi pas de toute l’année ? L’équivalent d’une semaine de consommation de carburant de mon char à Ouagadougou.

Abidjan est vraiment grave.

Mes dossiers diligemment acheminés à la représentation diplomatique du pays de Nelson Mandela, une seule envie tournoyait dans ma tête : regagner mon gîte, m’y enfermer à double tour tout le temps que durera le traitement de ma demande de visa. Le garba ? Je n’en veux plus. L’APF (attièkè poisson fumé) ? Ça ne m’allèche plus. Les  taxis-compteurs ? Y en a marre. Les gratte-ciels du Plateau ? Ça me donne le tournis. «Abidjan est doux», entend-t-on résonner dans tous les maquis. Mais moi, je m’en fous. Mais que faire, moi qui ai promis de ramener des paquets d’informations aux fidèles lecteurs de mon journal ? Cette dernière question me redonne le goût de l’aventure abidjanaise. Surtout que l’actualité du moment charrie des faits et des gestes qui forcent l’optimisme, mais également, hélas, un brin de pessimisme sur le dialogue direct.

Je sors de ma chambre, fonce à pied, sur plus de deux kilomètres, vers le kiosque à journaux le plus proche. Y sont amassés, nez littéralement collés aux manchettes, les «titrologues», «ces experts» qui, à la seule lecture d’un titre, vous commentent l’article tout entier. A la une de tous les quotidiens  l’arrivée à Yamoussoukro, la capitale politique, du facilitateur du dialogue direct, Blaise Compaoré. «Yamoussoukro s’attaque aux obstacles», titre Fraternité Matin, presse officieuse d’Etat ; «Comment Compaoré a déjoué les pièges de Gbagbo», affiche 24 heures ; «Evaluation de l’accord de Ouaga : le CPC se fourvoie», s’indigne, pour sa part, Notre Voie, journal proche du FPI, parti au pouvoir ; «Le FPI veut tout gâter», constate le Nouveau Réveil qui décèle, dans sa même livraison, de «réelles menaces sur l’accord de Ouaga».

 

La Côte d’Ivoire entre espoirs et inquiétudes

 

Dans l’ensemble, les médias ivoiriens fondent de réels espoirs sur l’accord de Ouagadougou, saluent les principales conclusions de cette première réunion du cadre permanent de concertation (CPC) et regardent désormais le président burkinabé comme le démiurge qui va apaiser la tempête au- dessus de la lagune Ebrié. Une page de l’histoire est ainsi fermée.

Les protagonistes de la crise ont, à l’unisson, professé leur bonne foi. La Côte d’Ivoire tout entière semble guidée par la feuille de route tracée dans la capitale burkinabé.

«La paix est à notre portée, ne faisons rien qui puisse l’éloigner de nous», a déclaré Laurent Gbagbo à l’issue de la rencontre. Même disposition d’esprit chez Guillaume Soro, qui conclut de son côté : «La paix est proche. L’accord de Ouaga est un bon compromis politique». Et sur les élections repoussées, au grand dam  de certains représentants de forces politiques, il a ajouté : «Ne faisons pas de fétichisme de dates».  Ah, qu’il sait bien dire les choses. 

La première Dame, naguère réputée faucon parmi les faucons du camp des refondateurs, esquissant des pas de danse en compagnie de Sidiki Konaté, porte-parole des Forces nouvelles, au stade municipal de Yopougon, la scène semble surréaliste. Pour peu que chaque cheminot joue sa partition, la locomotive de l’Afrique de l’Ouest arrivera enfin en gare. Peu importe si ce n’est pas à l’heure initialement prévue.

En effet, restent quelques obstacles à lever. Sont de ceux-là la reprise des audiences foraines, l’opération d’établissement des pièces électorales, le désarmement effectif des milices (le CPC a ordonné la reprise du démantèlement à l’Ouest et l’opération est désormais placée sous la conduite du Premier ministre, Guillaume Soro), le problème des grades des ex-combattants et la réactivation des conseils d’administration des médias d’Etat. 

 Concernant le retour du haut représentant des Nations unies pour les élections, Gérard Stoudmann, les positions, au-delà des apparences, demeurent clivées. Lisez plutôt ce qu’en pense Notre Voie : «Il y a de fortes chances que le bateau n’arrive plus à bon port. L’accord de Ouagadougou vient de recevoir un sérieux coup de boutoir avec l’introduction, dans ses sept mètres, d’un nouvel élément qui n’est pas moins démobilisateur que ceux qui ont été jetés à la mer. Il s’agit du poste de haut représentant des Nations unies pour les élections, le poste de Gérard Stoudmann. La réunion de Yamoussoukro, poursuit le journal proche du FPI, demande à l’ONU de garder ce poste en l’état. Ce que n’avait pas prévu l’accord de Ouagadougou. Au-delà du viol qu’il vient de subir, c’est sa mort certaine que l’on vient de programmer à Yamoussoukro». Frissons.

 Laurent Gbagbo, dans une lettre adressée au sous-secrétaire général des Nations unies le 18 avril dernier, n’avait-il pas demandé le départ du haut représentant de l’ONU ? Même si formellement la voix de Notre Voie n’est pas celle du président ivoirien, entre les deux, il n’y a que de simples nuances.

A ces notes dissonantes il faut ajouter le ressentiment des Baoulés face à ce que d’aucuns considèrent comme une provocation gratuite du président. Au moment de dire au revoir à son homologue burkinabè à Yamoussoukro, Gbagbo a eu en effet ses mots : «Je vous donne toute la route. Ceux qui donnent la moitié de la route sont des avares». L’expression originelle étant «Je te donne la moitié de la route, pour que tu utilises l’autre moitié pour revenir», la communauté baoulé, à qui l’on attribue la paternité du proverbe, s’est vite sentie visée par les propos du chef de l’Etat ivoirien.

L’actualité à Abidjan, durant mon séjour, c’est également le délitement continue du RHDP (Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix), coalition de partis regroupant le RDR d’Alassane Ouattara, le PDCI-RDA d’Henri Konan Bédié, le MFA d’Anaki Konéna et l’UDPCI de feu le général Guéi.  Zémogo Fofana, secrétaire national chargé des affaires extérieures et Kouamé Oi Kouamé, petit frère aîné du président du FPI, Pascal Affi N’Guessan ont rompu les amarres avec le leader du RDR, Alassane Dramane Ouattara. Si le premier démissionnaire n’a pas précisé son nouveau point de chute, le second, lui, a migré au Gbagboland, où il a été reçu avec les honneurs dus à …sa filiation. Auparavant, c’était le MFA qui enregistrait le départ de deux de ses poids lourd, le vice-président Joël N’Guéssan et Stéphane Kipré.

 

Un sorcier vaudou crée l’émoi

 

Abidjan ces derniers temps, c’est aussi l’émoi que suscitent dans les milieux politique, religieux, sportif et du show-biz, les «révélations» d’un ancien prêtre  vaudou béninois. Dans un CD vendu dans les rues, Armand Béhanzin, aujourd’hui en fuite, accuse de hautes personnalités de pratiques de sacrifices rituels humains. Lors  d’un point de presse animé le mercredi 13 juin à l’hôtel Ivoire,  le président du Mouvement d’appui au réveil international et du salut (MARINS), l’apôtre Séraphin Balo, a divulgué les noms des personnes mises en cause par le sorcier vaudou : «80% des pasteurs, l’abbé Abékan Norbert, Laurent Dona Fologo, Henriette Diabaté, Didier Drogba et Aïcha Koné sont accusés d’avoir pratiqué des sacrifices de bébés ou de bossus pour se faire une renommée», a dit le premier responsable du MARINS. L’affaire fait grand bruit, et la justice, interpellée, a clairement exprimé son embarras.

Nous n’allons tout de même pas nous quitter sur cette note de tristesse. Alors sachez que passé les deux jours de vague à l’âme, j’ai réussi la prouesse de m’adapter au style de vie de Badjam. Contre les taxis-compteurs j’ai découvert l’astuce : «l’arrangement», qui consiste à négocier un prix forfaitaire. C’est moins cher, plus rapide et, surtout, en cas d’embouteillage, c’est le conducteur qui subit le manque à gagner. Pour le garba j’en ai tellement acheté la même quantité que le vendeur, Amadou Yacouba, m’a surnommé : «Comme d’habitude», entendez par là : attiéké 100 francs, poisson 200. Mais pour le nec plus ultra de cette spécialité typiquement côtière, faites un tour la nuit au Vatican, situé au petit marché de Marcory.  Mon seul regret, c’est de n’avoir pas pu me rendre à la célébrissime rue princesse de Yopougou. A deux reprises, mon confrère et ami Moussa Traoré dit MT (lire M Ti) du quotidien Nord-Sud a prévu de m’y emmener. Mais à deux reprises, la pluie était au rendez-vous. La vache ! Mais quel sacré garçon ce MT, à l’instar de son mentor, Alex Bamba, le grand prêtre de la communication en Côte d’Ivoire. Grâce à leurs carnets d’adresses, mon bref séjour a été des plus fructueux au plan professionnel.

Inutile de vous dire que c’est avec du plomb dans les jambes que je me suis rendu à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny ce lundi 18 juin. A bord du Boeing sud-africain (quelle coïncidence) affrété par la compagnie du bon voisinage non pas pour le Cap mais pour le retour au Burkina, mon visage est resté collé au hublot. Une force irrésistible retenait mon regard vers l’extérieur.

Abidjan, c’est tout de même ma ville natale, vous ai-je dit.

Demain, vous lirez un entretien exclusif avec Alpha Blondy.

Comment perçoit-il l’action du président Compaoré dans la résolution de la crise ivoirienne, quelles sont ses relations avec celui-ci depuis le jour où il a chanté «les imbéciles» devant le chef de l’Etat burkinabè ? Dans la foulée, le rasta ivoirien dévoile sa compréhension de l’affaire Thomas Sankara, de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo ; il évoque aussi ce qu’il a dit, en son temps,  à l’ONG Reporters sans frontière…

Interview à lire absolument.

 

Alain Saint Robespierre

L’Observateur Paalga du 25 juin 2007

 

 

 

Notes :

 

(1)  Bonne arrivée en baoulé

 

(2)  Mot moaga désignant tous ceux qui ne parlent pas le mooré

 

(3)  Etranger en dioula

 

(4)  Villageois en jargon nouchi



25/06/2007
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