L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Tous les morts sont égaux, mais certains morts sont plus égaux

Humeur

"Tous les morts sont égaux, mais certains morts sont plus égaux que les autres"

 

A Dissin, il est une loi qui suspend la célébration des funérailles en période d'épidémie. Une loi vite bafouée lorsque vient à mourir le père d'un ministre de la  République. Le lecteur comprendra donc aisément la frustration de l'humeur suivante, qui fustige la politique des deux poids, deux mesures.

 

Voilà la pilule que les autorités administratives et peut-être politiques du Ioba et particulièrement du département de Dissin devront faire avaler par leur population afin qu'en 2007 on puisse suspendre la célébration des funérailles.

Car pour le salut de leurs ressortissants, les autorités administratives du Ioba avaient coutume de suspendre la célébration des funérailles pendant les épidémies de méningite afin d'en limiter la propagation. Or qui sait la place qu'occupent les funérailles dans la société Dagara, il faut reconnaître que nos frères acceptent ce moindre mal - célébrer les funérailles du parent défunt en différé - pour un plus grand bien : leur santé et leur survie. Même si concomitamment marchés et messes continuent d'avoir droit de cité, ils comprennent que les funérailles sont certainement les lieux privilégiés où la transmission des germes est plus facile, vu la manière dont on manipule le corps, vu l'environnement général de cette célébration. Et comme en temps d'épidémies on ne sait jamais trop ce dont meurent les uns et les autres, le Dagara a toujours accepté cette mesure de bon cœur. En février 2006 il n'a pas dérogé à cette règle jusqu'à ce qu'il y eut un mort, pas comme les autres.

En effet en mars 2006, pendant que la population de Dissin continuait d'enterrer les morts en attendant la fin de l'épidémie de méningite pour en célébrer les funérailles, le vieux Métuolé Bélida s'éteignit.

Oui ! La rivière de Kokoligu venait de tarir ; centenaire ou plus. Et que pensez-vous que la famille Mètuolè fit ? A mort exceptionnel, traitement exceptionnel. Ce n'était plus le vieux Bélida, ressortissant du département de Dissin qui venait de mourir ; c'était le père de monsieur le ministre qui venait de s'éteindre. Et alors ???           

Et alors, en tant que père "ministériel" il fut décrété par les fils que les funérailles se célébreraient hic et nunc en dépit de la loi locale en vigueur. N'en déplaise aux pères dont les enfants ont refusé d'être ministres et députés. Et comme le ministre est le supérieur hiérarchique du préfet, que pouvait bien faire monsieur le préfet ?

Et tout le monde d'accourir à Kokoligu à commencer par le préfet, d'y verser torrent de larmes plus que les fils charnels du défunt (un ministre ne pleure pas, fût-ce la mort de son père); d'emplir les mains du ministre de leurs derniers billets de banque (même si c'est pour aller pleurer après), et d'y oublier ou faire semblant d'oublier qu'il y avait une loi suspendant la célébration des funérailles jusqu'à nouvel ordre. Ne pas aller aux funérailles du père "ministériel" ? Qui est fou ?

 

La fête aurait été plus belle...

 

Le commun du Dagara lui-même alla pour s'assurer de la véracité du défi lancé à la loi et voir comment ministres et ex-ministres célèbrent les funérailles de leur père. On en parle et ou en parlera des années plus tard. Et pendant qu'on parlait du mort qui n'était pas comme les autres, chacun mijotait sa petite idée.

Dès le lendemain, tout le monde ressuscita ses morts pour en célébrer les funérailles- malgré la loi en vigueur.

Et lorsque dans ma naïveté habituelle je m'inquiétais de leur acte, ils me répondirent : "un mort est un mort ; tous les morts sont égaux". Alors je paniquai et m'interrogeai : "qu'adviendra-t-il demain ? En 2007 ou 2008 ?...

Le préfet pourra-t-il encore décréter la suspension des funérailles en temps d'épidémie ? Ses administrés le suivront-ils ? N'ont-ils pas vu célébrer des funérailles au moment où c'était interdit ? Lui-même n'y est-il pas allé ? L'administration étant une continuité, pourra-t-on faire croire à nos parents que c'était l'autre ? Autant de questions qui m'assaillent et qui me font penser que nos autorités devront user de diplomatie pour convaincre nos frères que "Tous les Morts sont Egaux, mais certains morts sont plus égaux que d'autres", si elles veulent que la pilule passe sans grand dommage. Et pourtant !!

La famille Métuolé pouvait éviter cette bourde sociale qui, sous d'autres cieux, leur aurait valu leur notoriété politique. S'ils nous avaient demandé conseil, nous leur aurions montré le bon chemin à suivre, qui n'aurait frustré personne-pas même eux.     

Nous leur aurions conseillé de se plier à la loi en vigueur et d'enterrer le vieux Bélida, sans funérailles. Ainsi ils auraient montré non seulement leur appartenance à la région, mais aussi leur solidarité à la souffrance de leurs frères ; car ce n'était pas de gaieté de cœur que les funérailles avaient étés suspendues.

A la reprise des célébrations, nous serions allés avec des fleuves de larmes ponctués de cris d'allégresse pour les aider à célébrer le départ de leur monument. Nous aurions fait venir sponsors et parrains, et la fête aurait été plus belle. Hélas ! En voulant montrer au Dagara que "certains morts sont plus égaux que les autres", ils ont privé le vieux Bélida de tout le faste que méritait son départ. Pauvres Métuolé ! !

 

Békuoné Somda Kuuceti

L'Observateur Paalga du 6 avril 2007



06/04/2007
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