L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Vers une lecture prophétique et thérapeutique croisées du 15-Octobre

Anniversaires du 15-Octobre au Burkina Faso

Vers une lecture prophétique et thérapeutique croisées

 

Le 15 octobre 2007, nous autres, Burkinabè, avons vécu un événement inédit, ambigu et dual. La date du 15 octobre ne laisse personne indifférent, à commencer par notre génération, qu'elle soit montante ou  descendante (pas décadente !). Les uns portent le deuil pendant que d'autres festoient et certains se reconnaissent dans les lamentations, d'autres dans les  manifestations festives, pour un même événement. Une société divisée et fissurée sur toute sa longueur est en train de rechercher ses repères, à tâtons.

Qui nous délivrera de cette sourde guerre qui nous rend schizophrènes ? Qui de nous le premier jettera la pierre à l'autre, pour défendre quoi ? Où sont les thermostats et autres régulateurs de nos passions, de nos espoirs et de nos convictions déchaînées ?

Pour une première fois, nous voici coincés entre le deuil et la fête, incapables de jouir pleinement de l'un comme de l'autre, de l'un ou de l'autre, donc incapables de vivre et d'élaborer l'alphabet de la vie. Privés de l'un comme de l'autre, nous voici malheureux et confus, en face même des mets les plus exquis, réchauffés et servis dans des couverts où coulent toutes les souillures du monde. Aussi longtemps que durera le temps des confusions et des conflits, nous pourrons craindre pour les générations à venir, selon le proverbe qui dit que : «Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants sont agacées».

Face aux antagonismes sans cesse nourris, il doit y avoir un espace et une place pour ceux qui savent écouter et voir, justement à la jonction du deuil et de la fête, qui tous deux passent, l'un comme l'autre. Sommes-nous devenus subitement affolés, pris de délire, au point de confondre le deuil et la fête, alors que nous devons simplement passer à travers ?

En tant que peuple et en tant que personne humaine, la date du 15-Octobre est pour nous un miroir. Nul n'a le droit, ni de fêler le miroir, ni de le briser, encore moins de céder à la tentation du narcissisme étroit. L'endroit et l'envers du miroir nous appartiennent. Le deuil et la fête peuvent se muer en sources d'aveuglement, d'assourdissement ou d'assouplissement. Deux décennies après le 15-Octobre, le trauma est loin d'être résorbé. Certes, la vie tout entière oscille entre deuil et fête, mais elle ne s'y limite guère ; invariablement, l'un finit par l'emporter sur l'autre. Au summum de la vie, le deuil se métamorphose en fête rituelle. La politisation du 15-Octobre nous dessert énormément, mais peut-on faire autrement ? La réponse est affirmative, parce que notre génération n'est pas composée que de personnes coincées. Que ceux qui ont aimé et qui aiment Thom Sank et sa vie poursuivent ses combats, en silence. Que ceux qui l'ont haï et le haïssent toujours ne se réjouissent guère de son expérience qui est aussi la nôtre, et qui demeure une source d'inspiration.

 

Ni fête ni deuil

 

Tous ceux qui rôdent autour de la date du 15-Octobre, qu'ils soient fêtards ou porteurs de deuil, ne sont tous ni des immaculés, ni des anges aux ailes coincées...

Face aux échecs des politiciens du deuil et des politiciens de la fête, nous avons besoins d'autres choses, d'une vision nouvelle et novatrice, pour vivre les grands défis du moment que commande une lecture autre que politique, une lecture à la fois prophétique et thérapeutique.

Dans la Bible, l'exemple du prophète Jérémie (689 av. JC à 588), qui a écouté Dieu, constitue un exemple digne d'intérêt, en ce qu'il nous libère à la fois de la fête et du deuil, sans que nous soyons neutres pour autant. Des temps comme ceux-ci, nous invitent davantage à l'écoute et à la prudence plus qu'à la fête ou au deuil infini. Chapitre 16 v 5 «...N'entre pas dans une maison de deuil, ne vas pas à des funérailles, ne les plains pas....».

V8 : «...N 'entre pas non plus dans une maison de festin, pour t'asseoir avec eux, manger et boire...».

Le résultat de cette fine écoute n'est nullement une invite à la neutralité. Pour les questions de vie ou de mort, il n'y a pas de neutralité, et le 15-Octobre n'est ni neutre, ni banal. Un proverbe de chez nous dit que : «Bag sâ boug foo, bif bug fo menga».  Les recettes du devin doivent être validées par la personne qui le consulte avant d'être appliquées à la lettre. Ou encore : Lorsque tu consultes un devin, tu dois savoir que tu es ton propre devin.

Le sens premier du 15-Octobre se retrouve moins dans le deuil que dans la fête. Le sens de cette date se trouve davantage dans notre capacité d'écoute, de résistance et de domination des événements : sur le front de nos espoirs et de nos rêves, un héros est tombé, au crépuscule, les armes à la main. Une balle folle a transpercé la figure mythique de notre histoire contemporaine. Malheur à nos ennemis qui rient, car nous ne sommes guère zéro. Un autre héros s'est levé. Les ceintures trempées de nos pères, comme les pagnes et les genoux de nos mères portent d'autres héros que leurs seins bercent, indomptables, immortels. Taisez-vous.

Sur le front de nos espoirs brisés, de nos actes manqués, de nos mille pourquoi, un héros s'est mis debout, les armes à la main, la main sur le cœur, jurant de venger les saints, les humains. Car le héros tombé et le héros debout ne sont que des héros du peuple qui demeure, qui reste. Taisons-nous.

Des ni ni (ni fête, ni deuil), il se dégage une autre voix, faite d'autres choix qui incluent tous les Burkinabè dans un travail d'écoute active qui intègre tous les aspects de notre histoire, sans exclure quiconque. Des Burkinabè sont exclus du deuil, pendant que d'autres sont exclus de la fête. Nos décideurs ont-ils conscience de cette situation ? Par le deuil, nous avons un devoir sacré de pleurer le fils, le père, l'époux, le frère, le président, le chef d'Etat. Pleurer le fils, le père, l'époux, le frère, le président, le chef d'Etat, en apprenant à accepter l'inacceptable.

Après les pleurs et les larmes, il nous revient tous d'apprendre à vivre avec nos 15-Octobre, qu'ils soient derrière nous ou devant nous, au-delà du deuil ou de la fête. C'est à ce prix seulement que nous pouvons avancer.

Les psychanalystes nous ont appris que dans le traitement individuel ou collectif des traumas, le refoulement des larmes se métamorphose en refoulement des armes, qui se mue en énergie négative en attente. Les larmes qui coulent le long des joues jeunes ou vieillies constituent le symbole par excellence d'une résilience, de la survie et de la vie possible. Lorsque tu as perdu ton père, ta mère, ton enfant, ton conjoint, ton frère, ta sœur,... oh !!! ton ami : "As-tu pleuré" ? C'est simple et tragique. Heureux, ceux qui ont compris qu'il s'agit plutôt de pleurer, avant de parler de pardon. Au travers de tels évènements qui modèlent et régulent les destins de l'humanité, il n'est aucune place pour les convictions affichées, qu'elles soient pour le deuil ou pour la fête. Pour que le progrès soit possible, il est nécessaire que la parole prophétique et la parole thérapeutique se rejoignent et que les radicaux du deuil et les radicaux de la fête se donnent rendez-vous devant le tènpeleem du Burkina Faso, pour s'inscrire à l'école du donner et du recevoir. Alors, tous et toutes, nous pourrons enfin pousser notre cri primal, civilisateur.

 

Kenfo

L’Observateur Paalga du 16 octobre 2007



16/10/2007
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