Bagarre autour d'un gâteau "toxique"
Indemnisation des victimes de la pollution du Probo-Koala
Bagarre autour d'un gâteau "toxique"
On se souvient encore comme si c'était hier seulement de l'affaire du Proba-Koala à Abidjan et de l'épilogue qui a inquiété, surpris et même déçu beaucoup d'observateurs nationaux et internationaux, à commencer par le peuple ivoirien lui-même. C'était en février dernier où le président L. Gbagbo concluait un accord amiable et définitif avec la multinationale Trafigura qui s'était alors, en contrepartie de ce "silence", engagée à lui payer la coquette somme de 100 milliards de F CFA à titre d'indemnisation des victimes et de réparation des torts et dommages subis par la Côte d'Ivoire, populations et environnement y compris. Un tel dénouement, extrajudiciaire, est paru suspect, voire criminel, pour plusieurs personnes au point que déjà, on y voyait un "deal" ignoble conclu contre les intérêts du peuple ivoirien au bénéfice presqu'exclusif de L. Gbagbo et de ses protégés, sous le couvert de l'Etat de Côte d'Ivoire. Depuis, plusieurs événements ont donné raison à ceux-là qui, déjà, avaient condamné l'"accord" qui semblait manifestement trahir un autre accord précédent. Ce qui prouvait qu'il ne s'agissait pas d'un accident, que les autorités ivoiriennes étaient bel et bien informées de l'arrivée de la cargaison, de la nature de son contenu et du plan d'évacuation d'un produit dont elles n'ignoraient rien de la toxicité ni des conséquences sur la santé des populations et sur l'environnement. L'"Affaire du Probo-Koala", dont on ne finira pas de parler de sitôt (car tôt ou tard le peuple ivoirien reviendra dessus), est de plus en plus reconnue comme une affaire "juteuse" que les autorités ivoiriennes ont inventée, sinon créée pour se faire de l'argent au mépris des retombées macabres sur les populations et l'environnement national et même sous-régional. Car on n'a pas encore mesuré l'étendue probable du désastre ni jusqu'où les régions voisines ont pu être affectées. Une des preuves manifestes serait la rapidité surprenante avec laquelle le président Gbagbo, sans craindre de blesser l'amour propre de son Premier ministre d'alors, a réinstallé dans leurs fonctions les hauts cadres ivoiriens impliqués dans la transaction. L'enjeu du deal était donc plus important à ses yeux que le retour de la paix pour son pays, alors qu'a priori, sa responsabilité n'était pas forcément engagée. En empêchant la justice nationale ou internationale de faire son travail, les bénéficiaires de cette arnaque cherchaient à prolonger le silence, l'opacité dont ils ont besoin pour gérer, qui le pactole, qui l'image de sa société. Sinon, sur quelle base a-t-on déterminé l'amende à payer (152 millions d'euros) ? Qui l'a déterminée ? Pourquoi payer 100 milliards de F CFA tout en affirmant que "Trafigura n'a aucune responsabilité" ? Pourquoi la Cour d'appel ivoirienne a-t-elle décidé de libérer les deux dirigeants de Trafigura ? Pourquoi ? .... Pourquoi ? S'agit-il in fine d'un "dysfonctionnement" des services en Côte d'Ivoire ou purement et simplement d'une corruption en règle ?
La tournure prise pour les événements et les réactions depuis le versement effectif d'une grande partie de la somme arrêtée semble accréditer la deuxième éventualité : il s'agit d'une corruption d'Etat savamment orchestrée en toute connaissance de cause et pour les besoins de l'autorité ivoirienne. Besoin d'argent frais pour financer la guerre... besoin d'argent frais pour s'enrichir et, pourquoi pas, se préparer en vue des probables élections à venir, au cas où la guerre s'arrêterait. Après le bracage de la BCEAO à Abidjan et à Bouaké d'où d'importantes sommes d'argent ont disparu, et la ponction jusqu'à l'extrême des caisses de péréquation du cacao et du café, il fallait une autre et inédite source d'enrichissement. Une autre affaire en Côte d'Ivoire est en train de se refermer sans que les coupables ne paient rien pour leur crime ! Sauf que, au regard de ce qui se passe en Côte d'Ivoire, le peuple semble ne pas se laisser conter plus longtemps encore. Il ose dénoncer l'irrégularité, l'iniquité et l'injustice qui entourent la "distribution" de la manne si gracieusement offerte. En effet, la clé de répartition de 100 milliards de F CFA versés par Trafigura aux autorités ivoiriennes est refusée par les victimes à travers leur association qui y voit une supercherie pour les spolier de leurs droits. Selon la Présidence, qui semble avoir pris sur elle la responsabilité du "partage" du gâteau toxique" (puisqu'aucune juridiction compétente n'a été associée), deux-tiers du butin reviendront à l'Etat et aux collectivités locales et l'autre tiers à la construction d'une usine de traitement des déchets ménagers. Les principales victimes seront, une fois encore, lesées dans leurs droits et intérêts, chose d'autant plus insupportable que les circonstances dans lesquelles l'accord du 13 février a été conclu, excluant notamment toute poursuite judiciaire, laissent penser que "l'Etat et les collectivités locales" peuvent se réduire à Gbagbo et ses hommes. Sinon comment peut-on gérer avec "rigueur" et "transparence" les fruits d'une opération opaque, "clandestine", montée et exécutée de bout en bout sans qu'aucune institution de l'Etat ne soit intervenue ?
Les principaux témoins et/ou coupables-suspects sérieux sont soit "renvoyés" (le Premier ministre par exemple), soit réhabilités par le président (les hauts cadres de la douane et du port autonome d'Abidjan). En clair, les supputations faites dès le début de l'affaire en août-septembre 2006 se confirment, hélas ! Les principales victimes risquent de n'avoir que la portion congrue ! L'Etat, s'il était innocent dans cette affaire, devrait avoir honte de participer à ce partage macabre et de se tailler la part du lion ! C'est vrai qu'en soi, cela n'a rien d'inédit sous les tropiques africains. Combien d'Etats se sont nourris du malheur, de la misère, voire de la mort de leur peuple ? L'espoir n'est toutefois pas perdu. La conscience des peuples s'aiguise chaque jour davantage tandis que la solidarité internationale n'hésite plus à traquer les coupables... même longtemps après leur règne.
Le Pays du 27 juin 2007
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