L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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"Thomas Sankara avait donné l'ordre d'arrêter ma grande soeur"

Blandine Sankara, soeur cadette du président Sankara

"Thomas avait donné l'ordre d'arrêter ma grande soeur"

Blandine Sankara, la soeur cadette du président Thomas Sankara qui vit à Genève en Suisse, nous raconte dans l'interview qui suit, quelques anecdotes sur la vie de son grand frère. Elle nous parle également de l'organisation de la caravane mondiale Thomas Sankara, initiée à l'occasion de la commémoration du 20e anniversaire de l'assassinat de l'ancien chef d'Etat, et dont elle a été la coordinatrice en Suisse.

Comment avez-vous vécu la journée du 15 octobre 2007 ?

En tant que soeur de Thomas, je suis émue. Ce fut un moment d'intense émotion, de souvenir et en même temps de réflexion. Je voyais Thomas si loin et en même temps si près. C'est une grande satisfaction pour nous qu'après 20 ans, il y ait eu une aussi grande mobilisation pour Thomas. Et je remercie tout le monde, en particulier les Burkinabè.

Comment vous est venue l'idée d'organiser une caravane Thomas Sankara?

C'est depuis quand même un moment que nous est venue l'idée de la caravane. Nous l'avons initiée en vue de mobiliser, dans le cadre de la commémoration du 20e anniversaire de la mort du président Thomas Sankara, le plus grand nombre de personnes, afin de mettre en exergue tout ce qui reste encore d'actualité de l'oeuvre de Thomas avec le peuple burkinabè. La caravane a quitté Mexico depuis le 9 septembre, est passée par la France avant d'arriver à Genève le 24 septembre, et après Genève, elle s'est retrouvée en Italie, ensuite au Sénégal, puis au Mali et enfin au Burkina. Partout où nous sommes passés, il y a eu des personnalités qui nous ont manifesté leur soutien; parmi ceux-ci, je citerai par exemple Jean Ziegler (ndlr, rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation) qui nous a appuyés pour la conférence, ainsi que Jean Philippe Rapp (ndlr, journaliste), notre ami; ils estiment qu'ils ont tous des devoirs de mémoire envers Thomas. Il y a aussi le député Jean Rossiaud, qui est au grand parlement à Genève, qui nous a beaucoup soutenus. Ce qui me paraît aussi assez remarquable, c'est le soutien de la mairie de Genève.

Est-ce que tout s'est bien passé? Avez-vous entre-temps rencontré des difficultés dans l'organisation de cette caravane?

Bien sûr que nous avons eu des difficultés, notamment financières. Il est vrai aussi que nous avons reçu des propositions de financement de certaines personnes, dont je tais les noms, mais que nous avons refusées. Car, nous tenions à garder notre idéal. Comme difficulté, je regrette également qu'on n'ait pas pu contenir des fois les invités; nous avons été surpris par la mobilisation dans certaines localités. De même il y a eu des villes, au Ghana et au Canada par exemple, qui avaient souhaité que la caravane vienne chez elles, mais malheureusement, nous ne pouvions pas passer dans toutes ces villes en seulement un mois.

Quel commentaire faites-vous de la participation de votre belle-soeur, Mariam Sankara, à la commémoration ?

Disons que c'était nécessaire. D'abord pour elle-même, pour la famille, ensuite pour le peuple burkinabè. Au nom de ses enfants, elle a tenu à faire le déplacement, parce que ça fait quand même 20 ans.

Quel âge aviez-vous lorsque le président Sankara a été assassiné ?

J'avais déjà la vingtaine. Mais je suis la dixième, donc l'avant-dernière, sur les 11 enfants que comptait la famille. Thomas était le troisième.

Comment viviez-vous avec Thomas ? Comment était-il avec ses frères en famille? Etait-il simple, taquin, rigoureux envers vous?

Il était tout cela à la fois. Il était comme tout le monde. Et ce qu'il voulait inculquer au peuple burkinabè, il le faisait en même temps appliquer à la maison. On ne pourrait parler de Thomas en une journée. Il vivait vraiment le plus simplement possible. Je le revois arrivant ici (ndlr, l'interview a été réalisée au domicile paternel, au quartier Paspanga à Ouagadougou), un soir, tout seul, avec une guitare en main, alors que nous, nous étions en train de suivre la télévision. Il demande à la maman de chanter pendant qu'il joue à la guitare. La maman, toute confuse, se met à chanter le grégorien, et après, comme lui non plus ne pouvait pas bien jouer le grégorien avec la guitare, il n'arrivait pas à suivre, et, en définitive, tous les deux s'accusent mutuellement d'avoir mal chanté ou joué...

Etant président ou avant ?

Etant président. Il venait comme ça nous rendre visite à l'improviste dans ses moments de solitude. Je le revois aussi, les fois où il venait très tard dans la nuit, avec un air triste; il venait s'asseoir tout seul, de côté, n'adressait mot à personne. Sauf lorsque la maman lui demandait ce qu'il avait, et qu'il répondait qu'il avait des soucis, tout simplement. Lorsque la maman lui conseillait d'en parler à ses amis, il répondait en ces termes : "Vous ne comprenez pas, vous ne pouvez pas comprendre." Et puis, il repartait. Donc avec le recul, je me rends compte qu'il pouvait être heureux, dans la solitude. Des anecdotes, il y en a plein. Je me rappelle aussi lorsqu'il a envoyé arrêter ma grande soeur Pauline, parce qu'elle avait eu une histoire en ville, et qui avait été rapportée à Thomas.

Quelle leçon tirez-vous finalement de tout cela? Quel est l'héritage de Sankara, selon vous ?

La leçon que nous tirons de tout cela, c'est que c'est une bonne éducation que nous avons reçue de lui. Sa rigueur nous a préservés de pas mal de choses, et jusqu'aujourd'hui, nous avons une façon de vivre qui ne diffère pas tellement de celle que nous avions du vivant de Thomas. Il disait toujours que nous ne devions pas nous servir de son nom, que la carte d'identité était toujours individuelle et non familiale. L'héritage de Thomas, ce n'est pas qu'à la famille, mais à l'ensemble du peuple burkinabè, parce que ce qu'il a fait l'a été au nom de tout le peuple burkinabè. Je dirai tout simplement que nous, nous sommes par obligation, parce que nous sommes du même sang, liés à Thomas, mais ses héritiers, c'est tout le peuple burkinabè.

Avez-vous un appel particulier à l'endroit des adeptes du président Thomas Sankara ?

Si j'ai un appel, c'est de penser à ce qu'il avait toujours dit: "Oser lutter, oser inventer l'avenir." Toute sa vie se résume à cela.

Propos recueillis par Lassina SANOU

Le Pays du 17 octobre 2007



17/10/2007
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