Accident d’avion présidentiel à Garango : 22 ans après, aucune indemnisation
Accident d’avion présidentiel à Garango
22 ans après, aucune indemnisation
Une marche de protestation avait été organisée le 12 avril 2007 à Tenkodogo par les victimes de l'accident survenu en 1986 dans la localité de Garango. Plus d'une année après cette descente sur le gouvernorat du Centre-Est, tout semble indiquer que le bras de fer se poursuit entre les 2 parties.
Bourgade située à 20 km de Tenkodogo, Garango est une commune urbaine de 30 000 âmes. Les habitants de Garango se souviendront encore pendant longtemps de cette journée dramatique du jeudi 29 mai 1986. Ce jour-là, en effet, une délégation présidentielle conduite par le président du CNR (Conseil national de la révolution), Thomas Sankara, est chaleureusement accueillie à la piste d'atterrissage de Garango.
Thomas Sankara, qui avait à ses côtés Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani (fils de la localité) et les autres membres du CNR, était vêtu d'un costume traditionnel (Faso Dan Fani).
Une véritable marée humaine tout en liesse envahit l'aérodrome. Brusquement, et au moment où l'avion s'apprêtait à décoller, un accident se produisit. Le bilan est plus que macabre : 22 morts sur-le-champ et plusieurs blessés, selon un décompte officiel. Mais, aux yeux de nombreux habitants de Garango, le nombre non précisé des victimes ce jour-là était beaucoup plus important. Une main sur la hanche et l'autre sur sa canne, le vieux Lingani s'en souvient :" J'étais juste derrière le policier Ambga Robert Yamba qui a tenté de ramener dans les rangs un élève de CE2. Et c'est là qu'il sera heurté par l'aile droite de l'avion. C'était le sauve-qui- peut."
Selon certaines sources, cet accident malheureux avait fait l'objet d'une réunion des membres du CNR, à l'issue de laquelle l'Etat avait pris l'engagement de dédommager toutes les victimes (blessées et décédées). Parmi la première catégorie de victimes, on compte des bras et des jambes amputés, des sourds muets, des borgnes, des aveugles et des malades mentaux.
Quant aux personnes succombées plus tard suite à leurs blessures, elles avoisinaient une quinzaine. Algérie, Libye sont 2 pays qui, à l'époque, ont reçu des blessés à cause de la gravité de leur cas. Soulymane Zaré N°1 et Soulymane Zaré N°2, tous nés en 1967, sont d'ailleurs surnommés à Garango, respectivement, Alger N°1 et N°2 pour y avoir séjourné en 1986.
A 29 ans, Inoussa Bambara est orphelin depuis la date fatidique du 29 mai. Il dit avoir perdu son père qui a eu un choc au niveau du cou. Transporté à l'hôpital de Tenkodogo, il y meurt quelques heures après.
Des veuves, des veufs et des orphelins attendent le dédommagement promis par l'Etat. La durée de l'attente les a conduits à saisir un avocat depuis 2005 pour défendre leur cause.
Maître Zacharie Sorgho, puisque c'est de lui qu'il s'agit, s'est saisi du dossier afin que ces ayants droit soient indemnisés par l'Etat. Ils étaient alors loin de douter que les choses allaient encore traîner. En juin 2006, ils adressent une lettre ouverte au président du Faso avant d'envahir le gouvernorat en avril 2007 alors dirigé par Jacob Ouédraogo, qui, entre- temps, a rejoint l'Assemblée nationale.
Le DACR réclame des pièces justificatives
L'administration étant une continuité, le successeur de Jacob Ouédraogo, Siméon Sawadogo, prend contact avec maître Sorgho pour prendre connaissance du dossier. Celui-ci lui fournit les détails possibles. Nous sommes le 22 janvier 2008, un conseil de cabinet s'est réuni ce jour-là, sous la présidence de Tertius Zongo, Premier ministre, pour se pencher sur le dossier dit" Indemnisation des victimes de l'accident d'avion du 29 mai 1986 à Garango" .
Dans une correspondance datée du 23 janvier 2008, le Directeur des affaires contentieuses et du recouvrement s'adressait à Zacharie Sorgho en ces termes : "Comme suite au conseil de cabinet qui s'est tenu le 22 janvier 2008, sous la présidence de Son Excellence Monsieur le Premier ministre, chef du gouvernement, autour du dossier cité en marge et en vue de me permettre de procéder à une évaluation du préjudice réellement subi par les victimes dans le cadre de cette affaire, j'ai l'honneur de vous demander de me communiquer dans vos meilleurs délais les pièces..."
Accusant réception de ladite lettre, Zacharie Sorgho répond : "Des soins ont été administrés sans reçus. Certains blessés n'ont même pas réclamé de reçus, d'autres les ont égarés compte tenu de la précarité de leurs moyens, certains se sont soignés à l'indigénat. Exiger à tous ces blessés des pièces justificatives de leurs soins revient à leur refuser l'indemnisation."
Dans une lettre "confidentielle" datée du 2 juin 2008, signée gouverneur de la région du Centre-Est et adressée au haut-commissaire du Boulgou, on pouvait lire : "J'ai l'honneur de vous demander de prendre toutes les dispositions nécessaires en concertation avec le préfet et le maire de Garango pour convoquer les victimes et ayants droit de l'accident d'avion survenu à Garango en 1986 à une séance de travail le jeudi 12 juin 2008 à Tenkodogo." Aussi, la liste des personnes concernées par cette rencontre ne souffre d'aucune ambiguïté: haut-commissaire et Secrétaire général / Boulgou, préfet, maire, police et gendarmerie/Garango, blessés et ayants droit (liste exhaustive).
Dès réceptions dudit courrier, le préfet informe le dernier groupe de personnes citées.
Ces dernières prennent attache avec leur défenseur qui dit ne pas être au courant d'une telle rencontre initiée par le gouverneur. De ce fait, elles refusent de prendre part à la réunion tant que leur conseil n'y était pas convié. Car, selon eux, ceci n'est ni plus ni moins qu'une volonté manifeste du gouverneur de retirer le dossier des mains de leur défenseur.
En ce 12 juin 2008, pas moins d'une trentaine de personnes avaient pris d'assaut le haut-commissariat. Certains ont dû vendre leurs poulets pour entrer en procession des frais de transport Garango-Tenkodogo.
Une rencontre qui irrite
Devant l'entrée du gouvernorat, ils ont observé une minute de silence à la mémoire de toutes les victimes du fâcheux accident. Mme Bambara née Yabré Awa aura d'ailleurs du mal à retenir ses larmes, elle qui, le jour de l'accident, a perdu son seul et unique fils de 20 ans.
Il est à peine 9h 30 mn, la rencontre prévue pour 9h avec les autorités n'aura plus lieu. Elle est reportée sine die. L'information est donnée par le haut-commissaire.
Raison invoquée : le ministre qui devait participer à ce conclave a eu un empêchement. Quel ministre ? Mystère et boule de gomme.
Un report qui va provoquer l'ire de ce beau monde, qui, sous une fine pluie, a préféré cette réunion que d'aller cultiver. Dispersés dans plusieurs endroits de la cour du gouvernorat, ils tiennent des propos durs à l'endroit des autorités locales. "Nous voudrons que les autorités nous prennent au sérieux et règlent à jamais notre situation. Sinon...", s'insurge une femme assise sous un arbre.
"Nous avons l'impression qu'on est en train de nous endormir. Mais cela ne passera pas comme ça ", tonne une autre.
Il est à souligner que, curieusement, sur la liste dressée par le gouverneur, beaucoup de noms d'ayants droit n'y figurent pas, en commençant par celui de Mme Ambga née Billa que nous avons rencontrée au secteur 1 de Tenkodogo, quartier Goumissi. A en croire cette veuve, des individus l'auraient approchée pour qu'elle signe des documents en vue de bénéficier du dédommagement. Elle y aurait opposé un refus catégorique, préférant s'en remettre à son avocat. Même scénario, même réaction pour l'ayant droit Oubda du secteur 5 de Tenkodogo.
"Nous refusons qu'on nous impose des avocats parallèles qui ne savent pas le fond du dossier", martèle Salif Billa, porte-parole des blessés et des ayants droit.
"Nous n'avons qu'un seul défenseur en la personne de Zacharie Sorgho, qui s'est battu corps et âme pour que nous ayons gain de cause", a-t-il ajouté. D'ailleurs, ils ont décidé de ne plus participer aux rencontres qui n'impliquent pas leur avocat.
Pour le reste, les victimes de retour à Garango n'ont pas été tendres avec le maire à qui elles demandent le remboursement de leurs frais de transport.
Pour l'agent d'affaires judiciaires, Zacharie Sorgho, "trop c'est trop !" "Il faut que l'Etat cesse de tergiverser. Un accident vieux de 22 ans, qui a fait 22 morts sur le coup au cours d'une visite présidentielle, ne devrait pas traîner au niveau des indemnisations. Aussi, je reste inquiet quand le gouverneur touche mes clients sans prendre soin de m'aviser. J'ai comme l'impression que tout n'est pas clair", s'étonne l'homme de droit, avant d'ajouter : "Si l'accident d'avion de 1988 à Lockerbie en Ecosse, qui avait fait 270 morts, a connu un dénouement heureux, celui de Garango doit l'être plus."
Ben Ahmed NABALOUM (Collaborateur)
Le Pays du 23 juin 2008
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