L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Affronter les dangers de la dépigmentation

Burkina

Affronter les dangers de la dépigmentation

 

Médiatiquement hors-la-loi au Burkina depuis juillet dernier, les produits éclaircissants la peau continuent de bien se vendre. Une solution ? Informer les femmes mais aussi les hommes et les enfants sur les dangers de la dépigmentation.

 

Body light, Skin Light, Méti'cée, Clair total, Vit-fée… Au Burkina, ces produits éclaircissants aux noms suggestifs ont disparu des écrans de télé, des ondes et des affiches depuis juillet dernier, mais pas des rayons des magasins de cosmétiques. Chez l'un des plus gros vendeurs de Ouagadougou, les employés ne craignent pas de se retrouver au chômage faute de clientes. "L'interdiction a été brutale et imposée. Dans ces circonstances-là, ça ne peut rien changer. Les gens continuent d'acheter les produits comme si de rien n'était. La fille qui vient de sortir, a payé Rapid clair. Tous les jours c'est comme ça", commente un vendeur. Sa collègue estime qu'elle ne commencera à s'inquiéter que dans cinq ou dix ans, "si l'interdiction tient vraiment". "Pour le moment, dit-elle, on ne sent rien."

                          

  La dépigmentation a souvent des conséquences très fâcheuses pour la peau

 

L'interdiction de la publicité des produits de dépigmentation, adoptée par le Conseil supérieur de la communication du Burkina, faisait suite à la plainte d'une téléspectatrice, choquée par l'invasion des écrans par des "spots dévalorisants pour la femme". Une des publicités incriminées mettait en scène une épouse chassée par son mari, pour cause de "teint non harmonisé". Après utilisation du produit vanté à l'écran, son teint clair lui permettait de reconquérir son mari aux dépens d'une rivale au teint noir. Le Conseil motive aussi sa décision en exhumant un article du Code de la publicité qui stipulait déjà que "les produits dépigmentants ne peuvent en aucun cas faire l'objet de publicité".

 

Décision applaudie

 

De nombreux médecins et leaders d'associations de défense des droits des femmes disent "applaudir des deux mains et avec force" la décision du Conseil. Le Pr Adama Traoré, chef de service de dermatologie du Centre hospitalier national Yalgado Ouédraogo, de Ouagadougou, y voit un moyen d'arrêter la progression de la dépigmentation, dont les débuts au Burkina remonteraient aux années 1985-90. Les adeptes se recrutent dans toutes les couches de la population, mais le profil type de la "femme peinture" comme disent certains, est celui d'une personne de moins de 40 ans, célibataire ou divorcée.

Depuis 1998, le Pr Traoré mène un combat quasi solitaire contre le blanchiment de la peau, arpentant les couloirs des médias pour attirer l'attention de leurs responsables sur la place grandissante de la publicité de ces produits et leurs risques pour la santé. Une étude conduite sous sa direction en 2003 dans les deux grandes villes du pays, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, concluait à une utilisation partielle ou généralisée des produits éclaircissants par respectivement 40 et 50 % des femmes. La même étude indique qu'environ 10 à 15 % de demandes de soins en dermatologie concernent des problèmes liés à l'utilisation de ces substances, telles l'acné, l'atrophie ou mort de la peau. La dépigmentation peut aussi créer des problèmes rénaux, attaquer le système nerveux et favoriser le cancer (voir encadré). 

 

Informer sur les dangers

 

Critiques et supporters de la mesure s'accordent tous sur un point : interdire la publicité ne suffit pas, il faut aussi éduquer le public. Le vendeur de cosmétiques analyse : "Les gens auraient pu être consultés, voire éduqués, pour refuser d'eux-mêmes ces produits. Ceux qui sont contre doivent faire de l'éducation pour le changement de comportement." Mme Madeleine Ouédraogo, de l'association Koom pour l'autopromotion des femmes, conseille : "Nous devons utiliser tous les canaux possibles : théâtre forum, spots télé, radios, etc. pour une vraie campagne de sensibilisation". Elle recommande d'adresser aussi les messages aux hommes qu'elle qualifie de "consommateurs". Leur attirance pour les femmes au teint clair pousserait les femmes au teint sombre à se décolorer. "Pour moi, les choses sont claires : ou tu m'aimes avec ma peau ou tu me laisses avec ma peau", prévient-elle. Mme Mariam Lamizana, de l'association Voix de femmes en appelle à "un travail de fond de l'État et de la société civile". Elle va jusqu'à suggérer d'inclure la question dans les programmes scolaires d'éducation civique, de santé. "Comme les Américains l'ont fait avec 'black is beautiful' (dans les années 1960, Ndlr). Mais il faut mettre davantage l'accent sur les conséquences. Les gens vont arrêter, parce que personne ne veut avoir un cancer de peau, un diabète."

Le Pr Traoré rappelle que la dépigmentation est un phénomène social, dicté par des raisons profondes qu'il faut comprendre. "C'est cette compréhension qui permettra de développer des stratégies idoines", estime le dermatologue. En attendant, il conseille à ses collègues de soutenir leurs patientes sans les juger. "Le professionnel de la santé doit accepter de s'ouvrir et de recevoir les gens qui sont en détresse, leur expliquer les conséquences de leurs actes et leur faire des propositions pour que progressivement cette pratique cesse. C'est donc un travail d'explication, de sensibilisation, d'ouverture, de prise en charge sans jamais faire la morale."

 

Syfia

L'Observateur Paalga du 25 janvier 2008



25/01/2008
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