L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Assassinat de Pierre Gemayel au Liban

Liban

Cadeau ensanglanté pour un anniversaire

 

La litanie macabre se poursuit à Beyrouth où la violence et l'élimination physique sont en passe de s'imposer comme les moyens préférés par les pro- et antisyriens pour résoudre leurs contradictions. Et fait tout à fait curieux, c'est toujours chez ces derniers, sauf erreur de décompte de notre part, que l'on déplore les victimes. A croire que les prosyriens, dans le débat politique, ne manient mieux que l'argument de la force.

 

Le dernier fait d'arme de ce terrorisme politique, c'est l'assassinat dans la banlieue Beyrouthine, ce mardi 21 novembre 2006, de Pierre Gemayel, député phalangiste et ministre de l'Industrie. Agé de 34 ans, marié et père de deux fils, Gemayel a été abattu à bout portant au volant de sa voiture. Son garde du corps a aussi péri dans cette attaque.

 

Un travail, semble-t-il, signé par des professionnels du crime. Et ce n'est pas du menu fretin que les barbouzes ont frappé, mais bien un gros poisson, car, mises à part ses responsabilités politiques actuelles, la victime est surtout issue d'une grande famille maronite, qui garde encore une influence certaine sur la scène politique libanaise.

 

Pierre est en effet le fils de l'ancien président Amine Gemayel et le neveu de Bachir Gemayel, lui aussi président comme son frère Amine, mais assassiné en 1982. Les obsèques de Pierre Gemayel sont prévues pour se tenir aujourd'hui même.

 

A l'annonce de cet assassinat, les autorités du pays ont décrété un deuil national de trois jours et l'annulation, dans le monde entier, des festivités marquant la célébration du 63e anniversaire de l'indépendance du Liban(1). C'est le moindre geste que Beyrouth pouvait faire face à ce mauvais cadeau d'anniversaire offert sur un plateau sanglant.

 

Comme il fallait s'y attendre, en pareille circonstance, c'est un chœur de désapprobations qui s'élève des quatre coins du globe. Et comme dans les précédents assassinats, beaucoup n'hésitent pas à y voir la main manipulatrice et meurtrière de la Syrie.

 

C'est le cas en Occident, mais aussi au Liban où Saad Hariri, le fils de l'ancien Premier ministre assassiné le 14 février 2005, pointe ouvertement un doigt accusateur contre Damas qui «veut tuer tout homme libre au Liban». Sincérité, duplicité ou cynisme froid, la Syrie, pourtant suspecte sérieuse, condamne elle aussi ce qu'elle appelle «un crime qui vise à déstabiliser le Liban». Avec tous les soupçons qui pèsent sur elle, beaucoup voient en cette sortie de Damas la tactique de la sorcière qui vient compatir à la douleur des parents de sa victime. Pour l'ONU, en tuant Gemayel, les assassins ont porté atteinte à «un symbole de l'indépendance politique du Liban».

 

Indépendance politique. Le mot est lâché, et c'est dans cette problématique que se trouve l'essentiel des malheurs du pays du Cèdre qui, on ne le sait que trop, offre à tous les pays de la région l'abcès de fixation pour leurs rivalités de tous ordres. Contrainte sous la pression de la communauté internationale et par le courant libanais antisyrien, Damas n'a pas digéré la perte de son influence sur son voisin d'où le soutien que Bachar El Assaad apporte à l'opposition libanaise, notamment au Hezbollah. Cette liaison dangereuse n'a fait qu'exacerber les rivalités sur l'échiquier politique entre les pro- et les antisyriens.

 

L'assassinat de Pierre Gemayel intervient dans un contexte déjà des plus tendus où le parti majoritaire et antisyrien au pouvoir est en passe de perdre la main face à une opposition chiite du Hezbollah revigorée par le combat dont il est sorti grandi dans le Sud-Liban contre Israël en août dernier.

 

Et c'est forte de cette position que l'opposition réclamait un partage du pouvoir. Dans cette lancée, elle avait poussé à la démission, le 11 novembre 2006, six de ses représentants du gouvernement du Premier ministre, Fouad Siniora.

 

Cette stratégie permettait également d'entraver l'adoption du projet de tribunal international chargé de juger les présumés assassins de Rafic Hariri. Un projet qui n'a pas du tout l'assentiment du Hezbollah encore moins de ses protecteurs syriens dont plusieurs ont été clairement mis en cause par un rapport d'étape commandité par l'ONU.

 

On ne connaît pas encore les meurtriers de Pierre Gemayel ni leurs mobiles. Mais une chose est certaine, cette nouvelle donne, qui embarrasse l'opposition, va la contraindre à adopter un profil bas pour ne pas s'attirer les foudres de la communauté internationale.

 

De plus, ce meurtre favorise l'adoption et l'application du texte créant le tribunal spécial sur l'affaire Hariri. D'ailleurs, quelques heures après la commission de ce forfait, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté le texte fondateur de cette instance judiciaire.

 

A l'évidence, la mort de Gemayel dessert plus qu'elle ne sert l'opposition chiite libanaise pour les raisons évoquées ci-dessus. De plus, il est certain que le Hezbollah et son mentor syrien, qui savent bien qu'ils sont dans la ligne de mire de Washington et de Tel Aviv, ne vont pas prêter ainsi le flanc aux Américains qui en profiteront pour en découdre avec eux.

 

Dès lors, on peut se poser la question, et ce n'est pas saugrenu,  de savoir qui a bien pu tuer Pierre Gemayel. Il est vrai que l'évidence accuse la Syrie, mais l'histoire nous enseigne qu'il faut se méfier des évidences. Des puissances occidentales ou Israël peuvent être derrière tout cela pour se donner une bonne raison d'en finir avec la Syrie de Bachar El Assaad. Et outre-Atlantique, les Etats-Unis, notamment, ont suffisamment montré que des raisons, ils savent en fabriquer pour justifier des frappes non fondées.

 

Le cas de l'Irak avec les prétendues armes de destruction massive est encore vivace dans les esprits. Il en est de même du dossier nucléaire iranien au sujet duquel des voix, et pas des moindres, accusent de plus en plus ouvertement Washington de trop grossir la menace et les capacités nucléaires du pays des Ayatollah. Cette accusation serait vraie que cela n'étonnerait personne. Nous sommes en politique et tous les coups, hélas, sont permis.

 

Finalement, l'holocauste de Gemayel devrait éviter, dans l'immédiat, l'implosion tant redoutée du Liban qui, jusque-là, semblait au bord du gouffre au regard des tensions sociopolitiques qui le minent. Cet assassinat, on l'imagine aisément, vient en effet confiner l'opposition, du moins pour un temps, dans ses petits souliers. N'a-t-elle pas par exemple sursis à ces manifestations de rue contre le gouvernement Siniora ?

 

Mais cela, ne nous voilons pas la face, ne fait que retarder les échéances car tôt ou tard, il faudrait que la Nation choisisse définitivement son propre statut : être un pays manipulé ou un pays indépendant. C'est sur cette question en tout cas que se joueront et le devenir et l'avenir du pays du Cèdre.

 

San Evariste Barro

NB : (1) Au Burkina Faso, la réception que devaient donner à cette occasion à l'hôtel Silmandé de Ouagadougou, le consul honoraire du Liban, Hage Joseph et Madame a été effectivement annulée.



24/11/2006
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