Biya au Conseil des ministres : Yaoundé est-elle en train de brûler ?
Biya au Conseil des ministres
Yaoundé est-elle en train de brûler ?
Au Burkina Faso, tous les mercredis, beaucoup de téléspectateurs ont le regard rivé sur le journal télévisé de 20 h de la Télévision nationale (TNB) pour suivre le compte-rendu du Conseil des ministres, présidé par le chef de l'Etat, Blaise Compaoré. Si dans notre pays, ce fait est presque banal, il n'en est pas de même au Cameroun où les membres du gouvernement ne se réunissent presque jamais en présence du président de la République. A quand remonte le dernier Conseil des ministres avec Paul Biya ? Il faudrait avoir une bonne mémoire pour répondre à cette interrogation ou, à défaut, parcourir les archives des journaux camerounais pour le savoir. En effet, c'est le 29 septembre 2006, soit il y a 10 mois, que le Conseil de ministres du Cameroun s'est réuni pour la dernière fois, jusque-là, sous la présidence effective de Paul Biya si bien que le grand événement dans ce pays cette semaine, c'est ce conclave annoncé entre le chef de l'Etat et son gouvernement. C'est une histoire bien banale ailleurs, mais là-bas au Cameroun, compte-tenu de la rareté de la chose, c'est tout un événement.
Mais, à bien y réfléchir, on se demande quelle mouche a bien pu piquer le chef de l'Etat pour qu'il convoque un Conseil des ministres ! Rome ou, du moins, Yaoundé est-elle en train de brûler ? Ainsi va le pays d'Ahmadou Ahidjo, le père de la Nation, qui en a été le président du 5 mai 1960 au 6 novembre 1982, date à laquelle il a quitté volontairement la magistrature suprême. Sa démission de la tête de l'Etat, qui, du même coup, laissait le pouvoir à son Premier ministre d'alors, Paul Biya, fut considérée comme un modèle de transition politique et donc salué à travers le monde. "Seul le pouvoir révèle l'homme", a dit Machiavel : tant qu'un homme n'a pas de pouvoir (économique, politique, religieux), gardez-vous de dire que vous le connaissez. Seul le pouvoir l'amènera à révéler sa personnalité, ce qu'il est réellement. Il ne s'est aucunement fourvoyé, Machiavel, car sous nos cieux, nous avons des ministres, des présidents d'institutions, de prospères hommes d'affaires qui, une fois aux affaires et détenant les pleins pouvoirs économiques et politiques, sont devenus hors de portée.
Et pourtant hier seulement, ils mangeaient les brochettes au coin de la rue avec nous et critiquaient à tout rompre les nouveaux riches avec leur manière hors de saison.
Et Biya, le gentil commis de l'Etat avec sa voix nasillarde et sa démarche de quelqu'un qui n'a rien à se reprocher, ne fait pas exception à la règle.
Ainsi, le peuple camerounais, qui s'était rangé du côté du nouveau président après l'ère Ahidjo, a vite déchanté : il avait affaire à un dictateur scotché à son trône. Sous ses dehors de bon démocrate, Biya n'a été, n'est et certainement ne restera qu'un homme d'Etat à la main de fer dans un gant de velours. Sa gestion du pouvoir a même engendré une sanglante et mémorable mutinerie en 1984 au sein de la garde présidentielle, qui a vu la victoire des loyalistes.
Depuis, Paul Biya a durci davantage le ton et s'est érigé en maître absolu et incontestable du Cameroun. Et les élections, présidentielle, législatives ou municipales sont toujours remportées par son parti, le Rassemblement du peuple camerounais (RDPC), sur fond de fraudes massives, d'achats de consciences et de contestations. Mais "Le chien aboie, et la caravane passe". Aussi, la démocratie de façade fonctionne à merveille à Yaoundé ; ce qui permet à Paul Biya d'être régulièrement réélu avec des scores records. Le comble dans cette République, c'est que son magistrat suprême ne semble pas avoir du temps pour son pays, puisque trop occupé à autre chose : à faire ce qu'il veut.
Il se moque ainsi éperdument des affaires du pays, pourvu que sa part des recettes pétrolières et minières lui revienne. Pour la petite histoire, le Cameroun n'est aucunement reconnu comme un émirat pétrolier, pourtant il semble que bon an mal an, environ une centaine de milliards de CFA sont générés par ce secteur, et ceux-ci sont, sans détour, envoyés dans les comptes de la présidence de la République, que l'homme fort de Yaoundé gère à sa guise. Du développement du Cameroun Biya a fait son dernier souci. Et il s'occupe autrement. Ainsi entre le golfe et les jeux de société, il ne dédaigne pas chez lui, dans son palais de M'Vo Méka, son village natal, à abuser du bon vin, du whisky et d'autres plaisirs de la vie terrestre sans oublier les voyages à travers le monde pour séjourner sur des îles paradisiaques, laissant son pays entre les mains de quelques hommes forts qui se livrent presque toujours bataille.
En réalité, Biya ne gouverne pas, l'homme règne comme un roi.
Conséquence : le Cameroun, qui a une nature généreuse va à vau-l'eau. Les conditions de vie des populations se dégradent de jour en jour, la corruption gangrène l'économie nationale, les ressources naturelles sont pillées, et les Camerounais végètent. C'est peu dire que de soutenir que le successeur d'Ahmadou Ahidjo est l'incarnation achevée de la mal gouvernance politique et économique qui caractérise l'Afrique. Pourtant, le continent noir a besoin d'une nouvelle race de dirigeants, capables d'incarner la vertu, l'honneur et la détermination à se battre pour sortir de la misère noire leur peuple ; de redonner l'espoir d'une vie de bien-être, de responsabilité et de liberté pour mériter le respect du reste du monde. En attendant, espérons que nos derniers bougres qui sont au pouvoir vont s'assagir à la fin de leur règne. Mais sait-on jamais ! il est à penser que Biya, qui a depuis toujours fait dans la mal gouvernance et qui se plaît à vivre plus en Occident qu'en Afrique, est en train d'amorcer un changement : il fréquente désormais un peu plus ses homologues africains, et, comme on l'a dit, il veut réorganiser les travaux du Conseil de ministres de son pays. C'est dire qu'il est progressivement en train de se débarrasser de ses vieilles habitudes néfastes pour son pays et le continent. Ne dit-on pas qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas ?
Adama Ouédraogo
Damiss
L’Observateur Paalga du 6 juillet 2007
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