Le ministre et le mécano
Adma Kima, peu après sa sortie du commissariat
«Que j’aie raison ou pas, j’aimerais que la torture disparaisse du Burkina Faso. Qu’on me juge et me condamne si je suis en faute ! Avec cette pratique-là, on peut tuer quelqu'un sans savoir s'il a raison ou pas» ; c'est le plaidoyer de ce mécanicien âgé de 32 ans dont la disparition aurait plongé sa femme et sa fille de six mois dans l’affliction les 19 et 20 février 2012 à Ouagadougou.
La voix tremblante, Adma Kima n’arrive pas à retenir ses larmes lorsqu’il raconte son calvaire ; pas même ses paupières, tuméfiées par les stigmates de coups récents, n’y parviennent. De sa main rugueuse, il les écarte et de sa chemise enduite d’huile de moteur d’engins lourds dont il tire sa pitance quotidienne, essaie tant bien que mal d’assécher ses yeux encore rouges et de retrouver son souffle.
Son histoire : «Hier soir vers 19h (Ndlr : dimanche 19 février 2012), je marchais sur la voie de Boinsyaaré (Ndlr : l’avenue 14-54) à quelques mètres de la station Shell. Un véhicule est arrivé et a viré pour entrer dans une cour. Dans son virage, il a failli me cogner et j’ai gesticulé pour manifester mon mécontentement. L’homme au volant a alors baissé la vitre pour me demander des comptes. Je lui ai signifié que sa conduite n’était pas bonne. N’ayant pas apprécié que je lui donne des leçons, il m’a demandé de le suivre ; chose que je n’ai pas faite, bien au contraire, j’ai changé de voie pour continuer ma route. Il a envoyé un homme en tenue me chercher en me menaçant d'un P.A. Nous sommes retournés ensemble dans la cour. Le monsieur qui était dans la voiture en est sorti et m’a demandé de m'asseoir à même le sol. Il a ensuite appelé la police et les GSP (Ndlr : Garde de sécurité pénitentiaire). Les derniers appelés ont été les premiers à arriver sur les lieux. Ils étaient quatre : un chef, un chauffeur et deux agents. Les deux agents m’ont demandé si je savais à qui j’avais affaire. J’ai répondu par la négative et ils ont commencé à me tabasser. Ils m’ont menotté, tapé sur la face avec ma propre ceinture jusque dans leur véhicule, un Land Cruizer de couleur bleue. Mon calvaire a pris fin quand nous sommes arrivés au commissariat central. Des policiers ont signifié aux GSP que ce n’était pas dans leurs prérogatives de me mettre dans cet état et ils ont manifesté leur refus de me garder. Finalement ils se sont ravisés et ont décidé de me garder jusqu’à lundi matin (Ndlr : 20 février 2012), pour que le ministre vienne me faire sortir. C’est là qu’on m’a dit que le monsieur de la voiture est le ministre de la Justice. J’ai alors été interrogé, déshabillé et conduit à l’intérieur du cachot, où j’ai passé la nuit. Le matin, un policier est venu me dire qu’ils vont me libérer sur instruction du ministre. C’est ainsi que j’ai donc quitté le commissariat».
C’est donc le cœur meurtri qu'Adma Kima a fait le déplacement à l'Observateur peu après 12 heures en ce lundi 20 février 2012 pour conter sa mésaventure.
Encore sous le choc, Adma Kima ne sait pas la suite qu’il donnera à cet événement. Mais avant de prendre congé, il a tenu à faire un autre plaidoyer : «Je ne veux plus de problèmes, car au commissariat, on m’a dit qu’il aurait été mieux pour moi d’être pris pour vol que d’avoir affaire à un ministre».
Une source proche du ministre a confirmé l’incident. Cependant, elles indiquent que ce dernier a pris le soin d'en prévenir le procureur et de faire "garder monsieur Kima au cachot pour des propos désobligeants" qu’il aurait tenus à son encontre afin que celui-ci "retienne la leçon". Selon cette même source, "les coups et blessures qu’Adma Kima a reçus ne seraient pas imputables au ministre".
Moumouni Simporé
In L’Observateur Paalga du mardi 21 février 2012
Lire aussi : Un remaniement pour chasser le ministre de la Justice
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