Burkinabè expulsés de Libye : Le paradoxe des relations particulières
Burkinabè expulsés de Libye
Le paradoxe des relations particulières
Les relations entre Libyens et Burkinabè ne cessent de se renforcer. Particulièrement entre les deux chefs d’Etat. Toutefois, l’homme de la rue ne semble pas y trouver son compte si l’on en juge par le nombre incroyable de Burkinabè qui viennent de se faire expulser par les autorités de Tripoli. Ces expulsions inquiètent et révoltent. Par leur soudaineté et leur nombre. Parce qu’elles se situent dans un contexte fort peu approprié pour les immigrants africains. En même temps, elles interpellent la coopération afro-arabe pourtant si pleine de promesses. L’affaire n’est certainement pas banale. Mais elle est presque passée inaperçue car intervenue dans la fièvre de l’installation de la nouvelle équipe gouvernementale et des nouveaux députés burkinabè. Elle pousse cependant à jeter un regard plus critique sur les liens de coopération avec la Libye et au-delà, avec certains pays d’Afrique du Nord.
Nul n’ignore en particulier les efforts considérables investis de part et d’autre pour renforcer les liens de coopération entre le Burkina Faso et la Jamahirya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste. Les amis libyens ont beaucoup investi au Burkina : dans le secteur socio-sanitaire, dans les milieux financiers et hôteliers, entre autres. De leur côté, les autorités burkinabè se sont également beaucoup investies au plan diplomatique pour contribuer à sortir le pays du Colonel Khadaffi de son isolement. Ce sont donc autant d'acquis qu'il convient de sauvegarder et de promouvoir. Ensemble, les deux pays ont travaillé à renforcer la coopération sous-régionale et régionale. Fruit de cette coopération : la CENSAD, une organisation d’intégration africaine qui ne saurait donc travailler à entraver la libre circulation des hommes et des biens si chère aux pays de cet espace. Sans doute bon nombre de Burkinabè avaient-ils misé sur la particularité des liens avec ce pays frère qu’est la Libye. Notamment la solidité des liens entre les deux chefs d’Etat. Les faits récents montrent qu’elle ne semble pas avoir beaucoup pesé dans la balance.
L’on est porté à se poser de sérieuses questions lorsque près de cent cinquante Burkinabè et un certain nombre de ressortissants de pays d’Afrique sub-saharienne se font expulser de Libye et conduire à Ouagadougou dans des conditions peu honorables comme ce fut récemment le cas. Il ne s'agit pas de couvrir les comportements jugés illégaux de concitoyens ayant pris le chemin de l'aventure. Les méthodes libyennes ne paraissent pas pour autant acceptables. Vu la particularité des liens avec certains pays arabes comme la Libye, il apparaît opportun d’envisager sérieusement la suppression de visas d’entrée et de travailler à signer de véritables accords portant sur l’utilisation à tous les niveaux de la main-d’œuvre burkinabè.
Sur un autre plan, l’opinion publique burkinabè comprend difficilement pourquoi le Burkina Faso continue à souffrir des hausses incontrôlées du prix du pétrole alors que la grande amie, la Libye, fait partie des pays producteurs et exportateurs de pétrole? N’est-il pas envisageable de mettre au point un système de coopération bilatérale bien ciblée qui mette le Burkina à l’abri de l’arnaque à laquelle le soumettent les multinationales du pétrole ? Si le président Chavez du Vénézuela peut ravitailler directement en pétrole certains pays d’Amérique latine, le président Khadaffi pourrait tout aussi bien le faire pour des pays amis d’Afrique comme le Burkina Faso.
L'intention n’est point de ternir ici les acquis d’une coopération afro-arabe au demeurant fort exemplaire. Cependant, il semble important de relever les paradoxes d’une telle coopération. Par exemple dénoncer le climat de haine inexplicable dans lequel végètent parfois les négro-africains dans certains pays arabes. Bien souvent, leur seul crime est d’avoir osé observer une halte, demandé l’hospitalité sur le chemin de l’aventure. Gare à ceux qui choisissent de s’y établir et même de convoler en justes noces avec la gente feminine de ces pays.
Par ailleurs, on ne peut ignorer le racisme aveugle qui habite certains individus lors des contrôles et des prises de décisions à l’égard de négro-africains qui ont failli par mégarde, ou tout simplement par ignorance. Les sans-papiers et les sans-domicile fixe ne sont pas forcément des inconnus ou des délinquants. A moins d’être inconscients, rares sont les africains qui se déplacent aujourd’hui d’un espace à l’autre sans pièces d’identité, étant donné les contrôles intempestifs dans les républiques bananières. Beaucoup d'immigrants sont parfois les victimes de situations malencontreuses : étudiants et travailleurs en règle, convoyés manu militari lors de rafles soudaines; victimes de vols ou d’extorsions ou encore de rétention abusive de papiers d’identité ou de documents légaux par des fonctionnaires zélés ou corrompus.
Le temps semble venu pour les autorités des pays arabes d’observer un minimum d’égard à l’endroit de négro-africains partis loin de chez eux en quête du pain quotidien ou tout simplement de liberté. Comme ils le réclament eux-mêmes des pays occidentaux au profit de leurs propres compatriotes. Les nouvelles générations de leaders africains ne leur pardonneront certainement pas une quelconque faiblesse à ce niveau. Encore une fois, s’il y a des chefs d’Etat, c’est bien parce qu’il y a des peuples. Cela doit se ressentir en termes de cohésion et de coopération mutuellement avantageuse. En tout état de cause, le caractère particulier des relations entre deux chefs d'Etat, doit déteindre avantageusement sur leur peuple. Dans le cas contraire ce ne sont que duplicité et mépris.
Le Pays du 25 juin 2007
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