Jeux de hasard et publicité : Une autre vie est vraiment possible, mais...
Jeux de hasard et publicité
Une autre vie est vraiment possible, mais...
Si vous vous demandez ce qu'est la publicité, un conseil : allez fouiller dans les réflexions de Paul Valéry sur le sujet, et vous vous apercevrez que pour lui, elle "insulte nos regards, falsifie les épithètes, gâte les paysages, corrompt toute qualité et toute critique". Trouvez-vous cela trop excessif ? Eh bien, Blaise Cendrars est là pour en donner une autre lecture : la publicité est "la fleur de la vie contemporaine, une affirmation d'optimisme et de gaieté". Sans doute Paul Valéry et Blaise Cendrars sont-ils excessifs dans leurs propos, mais, en fait, c'est dû à la nature même de la publicité : elle ne laisse point indifférent.
Comment nous laisser indifférents quand elle interpelle notre subjectivité, secoue notre émotivité, séduit notre affectivité, tente de convaincre notre raison et aménage, sans notre avis, une place dans notre subconscient ?
Ainsi, aujourd'hui, dans notre environnement social, professionnel, économique et temporel, la publicité est omniprésente. L'Etat, les entreprises de production de biens et de services, les associations, les ONG, les communautés de base, les organisations internationales, etc., l'utilisent afin d'informer leurs publics cibles à propos des causes qu'ils défendent, des produits et des services (existence desdits produits, prix, dimensions...)dans le but de changer le comportement de ces publics (adhésion à la cause, achat du produit et son utilisation ou sa consommation).
On comprend donc pourquoi la nationale des jeux de hasard, la Loterie nationale burkinabè (LONAB), pour ne pas la nommer, a entrepris depuis sa création au milieu des années 60 de faire la publicité. En tant qu'un des aspects de la communication commerciale, c'est-à-dire un des quatre éléments d'action sur le marché ou marketing-mixte (produit, prix, distribution, communication), elle ne peut que convenir aux objectifs de vente de la LONAB.
Dans ce domaine, cette dernière s'est toujours très bien fait remarquer par la qualité artistique des produits de sa publicité : que ce soit le choix de ses animateurs (cf. l'exemple de feu Inoussa Sankara dans les années 70), les chansons célébrant le jour du tirage des tickets classiques de la LONAB ou les spots radio et télé de la tombola minute, du PMUB, et récemment du jackpot TV, il n'y a vraiment rien à dire.
D'aucuns diront qu'avec les moyens dont dispose l'entreprise, elle ne pouvait pas faire moins que ça, oubliant que les moyens financiers et matériels sont une chose, et le génie une autre.
Une stratégie jusque-là payante pour la LONAB...
"Les gains aux heureux gagnants, les bénéfices à la nation entière", "Les honneurs et l'argent du millionnaire", "La fortune en fin de course" et "Avec le jackpot TV, une autre vie est possible" : ce sont là des messages vantant les produits de la LONAB que sont le ticket classique (et en fait tous les autres produits nés après), la tombola minute, le PMUB et le jackpot TV.
Dans les spots télé consacrés à ces produits (il en est de même pour les émissions télévisuelles), le scénario est presque toujours le même : une ou des personnes visiblement fauchées comme du blé achètent un produit de la LONAB, gagnent un gros lot et, le lendemain, se retrouvent dans une villa et/ou dans une voiture haut de gamme rutilante, par exemple.
Evidemment, rien de criminel ou de délictueux dans tout ça, car nous rêvons tous de posséder ces biens qui nous procurent un bien-être psychologique et une reconnaissance sociale.
De plus, lesdits biens correspondent à nos attentes : rien d'étonnant que, "pour conduire à l'achat, la publicité présente au consommateur, à des fins d'identification, une image de lui-même conforme à ses attentes ; celles-ci étant fonction de l'environnement socioculturel et par là-même normatives, elle doit, en première analyse, s'y conformer". (B. Cathelat : Publicité et société, coll. "PBP" Ed Payot 1976).
Peut-être parce que la LONAB a compris cela, son chiffre d'affaires et ses bénéfices n'ont cessé de croître, et la nation n'a cessé d'en profiter. C'est tant mieux.
...mais une relecture des messages s'impose pour le bien des gagnants et de l'économie nationale
Que le gagnant "investisse" son lot dans la construction de sa maison d'habitation, c'est son choix, et la LONAB n'a rien à y voir (encore que des conseils puissent et doivent lui être prodigués si ce n'est déjà fait) ;
qu'il décide de s'acheter enfin la voiture particulière de ses rêves pour oublier les années et les années de galère qu'il a endurées, c'est chose normale et compréhensible même si on n'est pas forcément du même avis ;
qu'il choisisse d'épouser une deuxième ou une troisième femme, c'est certainement son affaire, car cela relève des questions de liberté individuelle.
Cependant, que la LONAB fasse, à travers les spots télé et les encarts, la publicité de la consommation, par les gagnants, de biens et de services qui ne rapportent rien à ces gagnants mérite qu'on s'y attarde un tout petit peu. En d'autres termes, la voiture 4x4 dans laquelle se trouve la famille dont le chef a gagné au jackpot TV n'est pas productive : elle n'est ni un tracteur pouvant servir à une exploitation agropastorale, ni un véhicule de transport en commun à même de rapporter régulièrement des ressources à la famille concernée, ni un outil capital pour le travailleur, susceptible de stimuler sa production. Les trois cas que nous avons cités comportent d'autres avantages : les emplois qu'indubitablement ils créeraient seraient générateurs de richesses et contribueraient à la lutte contre la pauvreté en même temps qu'ils renforceraient le tissu économique du pays. Tout le monde le sait : il n'est point de développement sans production de richesses, et il n'est point de richesses s'il n'y a pas un secteur primaire et un secteur secondaire suffisamment solides pour générer et entretenir le secteur tertiaire.
Certes, il ne faut pas aliéner la liberté des citoyens au nom de la promotion du développement économique, mais il est souhaitable que le message "Une autre vie est possible" soit incarné par la création d'entreprises et non par l'acquisition d'une voiture ; quitte à ce que le gagnant choisisse de s'offrir la voiture et de se retrouver, quelques années après, si désargenté qu'il ne peut même pas renouveler les pneumatiques de ce qui faisait sa fierté.
Z.K.
L’Observateur Paalga du 8 août 2007
A découvrir aussi
- L'anniversaire sanglant de Gaza
- Mort de Raul Reyes : Poussée de fièvre en Amérique latine
- Kadhafi met les pieds dans le plat de couscous (Union pour la Méditerranée)
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 1021 autres membres