"Cris d'alarme noyés, signes avant-coureurs banalisés"
VIE CHERE
"Cris d'alarme noyés, signes avant-coureurs banalisés"
La Coalition des organisations de la société civile pour un développement durable et équitable (CODDE) se prononce, dans cette déclaration, sur la vie chère consécutive à la flambée des prix des produits de première nécessité.
"Dans une déclaration datée de juillet 2007, la Coalition des organisations de la société civile pour un développement durable et équitable (CODDE), tout en saluant l’avènement des nouvelles autorités politiques (4e législature et gouvernement du Premier ministre Zongo), émettait le souhait de voir le viima yaa kanga devenir leur préoccupation centrale… "Pour permettre à tous ceux qui contribuent d’une manière ou d’une autre à la création de la richesse de goûter aux fruits de la croissance".
Elle appelait en outre le pouvoir "à prendre en compte la réalité, à concilier théorie et pratique, à conformer discours et actions, à recréer et entretenir l’enthousiasme collectif pour la construction/consolidation d’une démocratie respectueuse de la dignité humaine".
Malheureusement, le constat est là : notre pays, le Burkina Faso, continue de s’enfoncer inexorablement dans le classement du PNUD sur l’indice du Développement humain durable (176e sur 177) et les autorités elles-mêmes reconnaissent que les produits de première nécessité ont vu leurs prix flamber de 10 à 67% en un temps record.
Aujourd’hui, force est donc de reconnaître que les cris d’alarme ont été noyés dans l’indifférence générale, et les signes avant-coureurs banalisés. En effet, la preuve nous a été donnée les 20 et 21 février 2008 à Bobo Dioulasso, Ouahigouya et Banfora par des manifestations violentes avec saccage de biens publics et privés pour "exorciser" la vie chère.
Pendant qu’on s’attendait à ce que le gouvernement, qui semblait avoir pris la juste mesure et sondé la profondeur du malaise, applique à une telle situation un traitement approprié (conservatoire et préventif), l’explosion survenait à Ouagadougou, une semaine après, avec autant d’intensité, comme si tout le monde venait d’être pris au dépourvu. Le gouvernement, lui, poursuivant la série des rencontres incantatoires, s’entretenait au même moment avec les responsables des partis et formations politiques. Le Burkina Faso qui se vantait d’être un havre de paix depuis deux décennies et qui mettait un point d’honneur à exporter son expertise en règlement de conflits venait de se réveiller avec une gueule de bois.
Un tissu social en lambeaux difficile à recoudre
Si, comme l’ont souligné les organisations syndicales, "la flambée des prix des produits de grande consommation est la conséquence des choix politiques de ceux qui nous gouvernent", d’autres faits ont contribué à fermenter la situation pour l’amener à ébullition. Il s’agit, entre autres, de :
- la campagne agricole désastreuse tant pour les céréales que pour le coton du fait des caprices pluviométriques (retard, excès, arrêt prématuré) ;
- la grogne répétitive des militaires retraités créant une psychose permanente ;
- une rentrée scolaire et universitaire chaotique ;
- le tout sur un fond de corruption et de fraude généralisées d’impunité et d’insécurité permanentes.
Certes, il y a lieu de reconnaître que le gouvernement n’est pas resté indifférent ; la preuve :
- les déclarations tous azimuts du nouveau Premier ministre et la multiplication des contacts de haut niveau ;
- la vente de céréales à prix social dans quelques provinces ;
- la distribution gratuite de manuels scolaires ;
- le timide contrôle de l’utilisation des véhicules administratifs ;
- la prise de sanctions administratives à l’encontre de quelques fonctionnaires indélicats ;
- l’annonce (sans effet) de la création d’une Autorité supérieure de contrôle de l’Etat (ASCE).
Cependant, la crise est si profonde et a tant duré qu’elle ne pouvait plus se suffire de petites mesures trop insignifiantes pour recoudre un tissu social en lambeaux. Du reste, l’espoir et la confiance qui commençaient à renaître ont malheureusement été rapidement balayés et pour cause, des manifestations somptueuses avec étalage de moyens insoupçonnés ont convaincu les uns et les autres que quand l’Etat veut, il peut. Il s’agit notamment des 20 ans de "Renaissance démocratique" et du 47e anniversaire de l’indépendance.
Les récentes manifestations contre la vie chère démontrent à souhait que la paix sociale, la stabilité politique et la croissance économique dont nos dirigeants se targuent ne sont pas irréversibles. Elles démontrent à satiété que la vraie croissance est celle qui profite à la majorité et non pas à une minorité de plus en plus restreinte ; d’ailleurs, à quoi sert la croissance si elle n’améliore pas les conditions de vie, de santé ni d’ouverture d’esprit des populations ?
Le plus inquiétant est que, malgré leur prestige et leur nombre, aucune institution républicaine (Conseil économique et social, Médiateur, Assemblée nationale, ….) ne soit suffisamment ancrée pour inspirer confiance au peuple qui lui soumettrait ses préoccupations en vue de solutions. Serait-ce la preuve de leur totale inefficacité hormis le besoin de servir de vernis démocratique ? Or, une société en manque de repères ne peut que dériver vers l’anarchie.
En outre, lorsque la boulimie des nouveaux riches crée l’inflation et pousse les petits commerçants, les consommateurs et les laissés-pour-compte dans la rue, le pouvoir recourt aux leaders d’opinion pour qu’ils aident à éteindre un feu qu’ils n’ont pas allumé ; c’est le lieu de saluer la hauteur d’esprit et le courage de certains d’entre eux pour le langage de vérité qu’ils ont tenu.
Reconnaître les nouveaux impôts et mieux expliquer leur bien-fondé
Depuis la déclamation du discours de Politique générale du nouveau Premier ministre devant les honorables députés le 4 octobre 2007, la faim, la soif et les épidémies ont été exacerbées par la valse continue des prix des denrées de première nécessité. Le climat actuel n’est peut-être qu’une accalmie et nos gouvernants doivent être davantage conscients (oser regarder en face) des dures réalités que vit au quotidien la population et y apporter les solutions adéquates dans des délais soutenables. Pour ce faire, ils gagneraient à reconnaître la création de nouveaux impôts pour mieux expliquer leur bien-fondé et éviter de jeter en pâture les agents chargés de leur collecte.
Et au-delà des mesures ponctuelles et immédiates, le gouvernement serait bien inspiré en nous présentant des projections rassurantes sur le moyen terme, car dépendre de pays tiers pour les produits de grande consommation est la pire forme d’assujettissement.
La CODDE qui se veut un mouvement citoyen pour l’éradication de la pauvreté et la promotion d’une justice sociale :
- Constate avec regret la dissolution de la cohésion sociale entamée depuis longtemps par ces mites que sont l’arrogance, la suffisance, le népotisme, la côterie ;
- Déplore les casses et autres destructions de biens qui ne font que nous ramener en arrière, tout en comprenant la colère de leurs auteurs ;
- Appelle à la vigilance contre l’amalgame, la récupération et la victimisation car la faim, la soif et la misère ne sont d’aucun parti politique, d’aucune ethnie, ni d’aucune région ;
- Invite les organisations de travailleurs, les associations de consommateurs, les commerçants à s’associer à la campagne de plaidoyer lancée le 7 décembre 2007 pour soutenir la production et promouvoir la consommation du riz de production locale dans le cadre de la souveraineté alimentaire ;
- Salue la mise en place, à l’initiative des organisations syndicales, d’un vaste mouvement citoyen contre la vie chère et pour l’amélioration des conditions de vie, d’études, de santé et de travail des populations burkinabè.
Comprendre pour agir est notre principe. A cet effet, la responsabilisation et la conscientisation des citoyens dans tous les domaines, particulièrement concernant l’amélioration de leurs conditions d’existence, est un de nos objectifs."
Ouagadougou, le 16 mars 2008
Coalition des organisations de la société civile pour un développement durable et équitable (CODDE)
Le Pays du 25 mars 2008
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