Crise politique en Belgique
Un tribalisme à visage européen
La fédération de Belgique n’aura jamais aussi eu mal à son unité, depuis les résultats des élections législatives du 10 juin, qui ont vu la victoire du CD&V, le parti des chrétiens-démocrates flamands. Voilà cinq mois que la montée des chrétiens-démocrates séparatistes en Flandre et le maintien de la gauche en Wallonie complique la mise sur pied d’une coalition de gouvernement. Cinq mois que coteries politiques flamandes et wallonnes ne parviennent toujours pas à s’accorder sur l’essentiel pour enfin mettre un terme à la longue crise politique et institutionnelle qui secoue la fédération. Sans doute, un nationaliste flamand bon teint va-t-il diriger la Belgique au cours des quatre prochaines années. Quant à savoir si ses idées passeront, rien ne le garantit d’autant que la nouvelle configuration politique devrait être fortement plurielle. Autant dire que rien ne sera facile. Il est clair que si Yves Leterme, responsable chrétien-démocrate, chargé de former le prochain gouvernement de coalition, veut obtenir sa réforme de l’Etat, il faudra qu’il puisse réunir autour de lui deux tiers des voix de la chambre des députés. De fait, entre les partis francophones qui refusent toute idée de "réforme de l’Etat" et les partis néerlandais qui en ont fait pratiquement une fixation, les points de désaccords ne manquent pas. Ils sont tels que la crise semble bien partie pour durer encore quelques temps. Qu’à cela ne tienne, les acteurs politiques qui portent la lourde responsabilité de cette situation, devraient dépasser leurs querelles de clocher, transcender les égoïsmes, pour ne voir que les intérêts du peuple belge. Un peuple qui, du reste, dans sa grande majorité, s’est ouvertement opposé à la nouvelle voie que veulent leur tracer certains politiciens. Les récentes manifestations dans les rues de la capitale, qui ont mobilisé des milliers de personnes, ne montrent sans doute pas autre chose que leur profond attachement à une Belgique unie et indivisible.
Bien sûr, on dira que la Belgique compte des partisans de l’indépendance dans les deux communautés (12% des Wallons et 38,8% des Flamands). Mais combien sont-ils, à côté des 82,6% de Wallons, qui estiment que le territoire ne doit pas être indépendant, et des 53,6% des Flamands qui partagent le même avis à propos aussi de la Flandre ? Bien que le risque d'une séparation entre francophones et néerlandophones n’ait connu pareil précédent, il est tout de même difficile de croire qu’on aboutira à la grande césure. Un scénario d’autant plus improbable que la Belgique est, quoi qu’on dise, une nation de grande démocratie. Il ne sera pas aisé d’aller contre la volonté des citoyens belges, qui, pour la plupart, rejettent une telle perspective.
Ce contexte démocratique qui caractérise la Belgique est d’ailleurs salutaire, car il devrait permettre que les divers points de désaccords soient réglés par des mécanismes démocratiques et républicains. Ailleurs, on aurait tout de suite recouru aux armes et créé alors un cycle de violence sans fin, comme on en voit en divers endroits du continent africain. Pour autant, la Belgique n’offre pas une bonne image d’elle, par la paralysie de ses institutions, d’autant qu’elle abrite le siège de l’Union européenne. Les politiciens belges auront l'air de quoi, en parlant de l’Europe et de ses idéaux si, par leur faute, la Belgique continue d’offrir le visage de la division et de la désunion ? Les conflits armés qui éclatent en Afrique tirent généralement leurs racines des profondeurs nauséabondes du tribalisme, du régionalisme et d’un ethnocentrisme de mauvais aloi. Avec ce qui se passe aujourd'hui en Belgique, on peut désormais affirmer que tribalisme et régionalisme ne sont pas des spécificités africaines. Quelle leçon la Belgique pourra-t-elle encore donner à ses anciennes colonies si elle se laisse prendre au piège tribal ? Le tribalisme africain serait-il un héritage colonial ? En tout cas, le Rwanda et la RDC peuvent légitimement se poser aujourd'hui cette question. Tout ce passe comme si, dans la Belgique d'aujourd'hui, le tribalisme et le régionalisme étaient des valeurs à exploiter à des fins politiques. Et si tel est le cas, certains Etats africains auraient certainement des leçons de cohabitation entre communautés linguistiques, à donner à la Belgique ; ces pays africains qui, malgré leur diversité linguistique, n'en sont pas moins des pays stables à l'instar du Burkina Faso qui compte plus de 60 langues.
A un moment où des efforts sont faits un peu partout sur le continent européen pour éteindre les foyers de tension et concilier des frères ennemis (Irlande du Nord, Balkans, etc.), le cas belge sonne, en ce 21e siècle, comme un anachronisme et une survivance du tribalisme à visage européen.
Le pays du 20 novembre 2007