Des visages contre l’oubli
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Des visages contre l’oubli
Philippe Guionie, historien et photographe, expose au CCF ses portraits d’anciens combattants africains. Cette exposition itinérante, qui s’est arrêtée au Burkina Faso, participe d’une démarche militante qui rend hommage aux tirailleurs sénégalais et vise à lever la chape de plomb qui pèse sur ces hommes, lesquels ont défendu la France au prix de leur vie.
En 1998, Abdoulaye N’Diaye meurt à 104 ans à la veille de la réception de sa Légion d’honneur. Il était le dernier survivant des 200 000 Tirailleurs engagés dans la Première Guerre mondiale. C’est à la suite de cela que Philippe Guionie décide d’entreprendre un travail de mémoire sur les anciens combattants africains ; ces hommes qui ont été enrôlés de force dans les armées françaises et qui ont défendu «la mère patrie» dans les deux Grandes Guerres, engagés plus tard en Indochine et en Algérie pour mater leurs frères dans leur combat anticolonial ; et ségrégés, moqués et oubliés par la France.
L’historien photographe dit : «J’ai voulu inscrire en photos cette histoire humaine et l’inscrire dans le temps». Pari gagné par l’artiste, car il réussit à faire des ces anciens combattants des hommes tout court. Ces immenses photos en noir et blanc interpellent et interrogent. Devant la réclame «y a bon banania» qui exsude le racisme primaire et qui avait irrité le conciliant Senghor, «Je déchirerai les rires banania sur tous les murs de Paris», écrivait-il, le visiteur de l’expo aussi sent sourdre la colère en lui. Surtout devant les stèles peintes en blanc du cimetière de Thiaroye, photographiées par Philippe Guionie. Ces tombes blanches avec des coquillages sont celles des combattants noirs morts sans combattre. Pourquoi alors la France retourne ses armes contre eux ?
Suivent une galerie de portraits d’hommes du Sénégal, du Bénin et de la Guinée. Celui D’Adiouna Barry, un vieil homme en boubou, le keffieh autour des épaules et les yeux fermés sur quelque douleur indicible. Une auréole de lumière lui donne un air christique. Et celui de Mariama Sané, veuve de tirailleur, et de son fils. On est touché par la tristesse du regard de cette femme emmitouflée dans une gaze blanche, son fils surgissant dans son dos comme une ombre aux contours indéfinis. Un fond noir de deuil leur donne une allure fantomatique et irréelle.
Et la mise en abyme de certaines photos, comme celles d'Ousmane Kassé et de Boniface d’Olivera. Dans ces deux photos, deux mains noires et parcheminées tiennent entre les doigts des photos de jeunes recrues. On devine que ces éphèbes noirs et ces mains sont une même personne à deux époques différentes. Plongeon dans le temps, aller-retour entre le zénith et le crépuscule d’une vie. A voir ces doigts arthritiques et ses mains décaties brandir des photos de jeunesse, on se dit qu’ils méritent le respect et la considération de ce pays à qui ils ont donné la meilleure part de leur vie : leur jeunesse. Et leurs enfants aussi doivent fouler librement le sol de France pour la dette de sang.
Philippe Guionie réussit à travers ces photos à devenir un passeur de mémoire et à transmettre à travers cette expo la tragédie des hommes et des femmes oubliés de la France et abandonnés par les politiques de leur pays.
Mais on regrettera qu’aucun ancien combattant burkinabé ne figure dans ces portraits. Un oubli qui vexe les fils d’anciens combattants passés voir l’exposition.
Barry Alceny Saidou
L’Observateur Paalga du 27 septembre 2007
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