L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Du coq gaulois aux moutons burkinabè

 

Variables démocratiques 

Du coq gaulois aux moutons burkinabè

 

Une date, deux élections et deux regards critiques différents. Le 6 mai dernier, les Français élisaient  leur président et les Burkinabè, leurs représentants du peuple. Si dans la "Patrie des droits de l'homme", le scrutin est jugé conforme aux règles démocratiques, "au Pays des hommes intègres" par contre, "c'est sur fond de mascarade" qu'ont été choisis les 111 députés, constate Iterre Somé qui s'interroge : "Sommes-nous en démocratie ou jouons-nous à la démocratie" ?

 

Alea jacta est.  La messe est dite, pour parler comme nos «ancêtres». Les urnes ont rendu leurs verdicts :  un taux de participation record pour un peuple réputé volontiers râleur et frondeur et une majorité plutôt  flatteuse pour un «Hongrois» ; les Gaulois ont donc choisi Nicolas Sarkozy pour présider aux destinées de la France pour les cinq ans à venir et peut-être plus.

Pour de vrai et pour avoir joué à Renaud, à Coluche ou à Gainsbourg, notre compatriote Zêdess se trouve désormais avec un moustique sur les bijoux de famille. Pour la suite et la quiétude de son séjour en bordure de Seine, y a intérêt à ce que son titre soit en béton. Autrement, toute star qu’il soit devenu en Hexagone avec et à cause d’une certaine chanson, il risque fort de se retrouver un de ces quatre matins dans un charter de luxe.

Dans le choix cornélien qui paraissait se poser à lui (au regard du moins des profondes mutations de la société et de la culture contemporaines françaises) entre un identitarisme frileux et un pragmatisme fondateur, le peuple français a choisi avec une très nette et surprenante clarté.

Quoique puisse en «pâtir» (chose qui reste malheureusement à vérifier…) une certaine politique africaine paternaliste de la France, Nicolas Sarkozy président, pour peu que le volontarisme rénovateur de l’individu ne s’émousse à l’épreuve du pouvoir, pourrait  être, last but not least, ce «mal» nécessaire qui rompra ce cordon ombilical qui, un demi-siècle après les indépendances, noue l’Afrique francophone à l’ancienne puissance coloniale, restreint ses horizons et l’étouffe politiquement, économiquement et culturellement.

Même si rien n’est moins sûr au regard des manifestations «zimbabwéennes» d’après-élection, tout le mal qu’il faut souhaiter à la France et à son nouveau Président, c’est de réussir ensemble l’ambitieux programme de refondation sociopolitique sur la base duquel ce couple atypique a pu se mettre en ménage.

 

Cet animal qui chante, même dans la merde

 

Leurs cousins belges, qui les connaissent mieux que quiconque, disent des Français qu’ils se sont choisi comme emblème le coq parce que c’est le seul animal qui chante, même quand il a les pieds profondément trempés dans la merde. Courage donc au nouveau coq gaulois, bon vent à la France et bonne chance nous tous, comme dirait Missié Goama.

Autre pays, autre démocratie, autre élection. Le même jour, les Burkinabè votaient pour élire les députés de la IVe  législature de leur IVe République. Chez nous aussi, en attendant l’étape de la validation des résultats provisoires par le Conseil constitutionnel, et sauf improbable tremblement de terre en plein Sahel, le sort en est jeté.

Première et principale leçon à tirer des législatives du 06 mai 2007 : le CDP a repris sa «chose». Ce qui tient lieu d’opposition politique au Pays des hommes intègres n’a plus que ses yeux pour pleurer ; elle a été laminée et réduite à sa plus simple expression républicaine pour les cinq ans à venir. D’ores et déjà, s’élèvent les mêmes conjectures. Dans les jours et semaines à venir, par colonnes de journaux interposées, l’opinion publique en aura plein la coupe des sempiternelles récriminations. «Fraudes massives» par-ci, «utilisation abusive des moyens de l’Etat» par-là, «menaces, intimidations, trafics d’influence et achats de consciences» par là-bas, j’en passe, et des meilleures sur le registre lassant des arguments déculpabilisants de «l’opposition». 

 

Je ne porterai pas le deuil de cette démocratie

 

Que nul en tout cas ne compte sur moi pour porter le deuil d’un processus démocratique qui, plutôt que, à prix coûtant, de se bonifier en appliquant stricto sensu les lois et principes du modèle, se «bananièrise» au fil du temps à travers certains complaisances et arrangements de caste au gré et service des intérêts de circonstances des acteurs de premier plan,  j’ai nommé les partis politiques toutes chapelles et tendances confondues.

Il est plus que jamais temps que les animateurs de la vie politique nationale dans notre pays arrêtent de prendre les Burkinabè pour des moutons. Le devenir de notre processus démocratique commande que le débat postélectoral de ces législatives 2007 transcende les fanfaronnades et les pleurnicheries habituelles, pour se poser en questions de fond sur les principes, les fondements et les mécanismes du mode de gouvernance que notre peuple s’est choisis.

Je n’ai pas inventé le sujet. Le président de la CENI, dans sa déclaration liminaire à la proclamation des résultats et dans les limites du langage que lui imposent les charges de ses fonctions, n’a pas dit autre chose lorsqu’il a invoqué, entre autres remarques sur la qualité des acteurs et les limites de notre processus démocratique : «l’impérieuse nécessité d’un toilettage en profondeur de la loi régissant les élections au Burkina».

Invité du direct de couverture de la cérémonie, un éminent juriste a, de son côté, déclaré à l’occasion sur les antennes de la télévision nationale qu’en démocratie le choix du mode de scrutin relève d’une volonté politique. En l’état actuel des choses, a-t-il ajouté, le mode en vigueur lors du scrutin législatif 2007, à savoir la proportionnelle au plus fort reste, lui parait être le meilleur. Dont acte.

Quelques questions de profane cependant, pour éclairer ma lanterne et soulager la rancœur de milliers et de milliers d’électeurs frustrés de victoire ici ou là, du fait de la recherche, vaille que vaille, d’une pluralité au sein de l’Assemblée, qui sous-tend le mode de scrutin à la proportionnelle. Une pluralité du reste introuvable dans le cas d’espèce, en dépit du mode de scrutin et au regard des résultats…

1.  Sommes-nous en démocratie ou jouons-nous à la démocratie dans ce pays ?

2.   Par définition, la démocratie est-elle ou non le règne de la majorité ?

3.  A partir de quel seuil et pour quelle raison a-t-on tort et devrait-on avoir honte d’être majoritaire ?

4.  Quelle garantie apporte une poignée de «restes» de députés  à la diversité d’opinions et à l’équilibre du débat parlementaire ?

5. Quel sort fait-on de la représentation de proximité du double, triple, voire quadruple nombre comparatif d’électeurs dont les voix et les choix ont été sacrifiés sur l’autel d’une proportionnelle au plus souvent insignifiant que fort reste ? 

 

Arrêtons la mascarade

 

J’en passe et des plus incisives. Sous réserve de réponses convaincantes, je dis "arrêtons la mascarade". Déjà que nous peinons à intéresser nos populations au processus électoral, méfions-nous de galvauder leurs choix en noyant leurs voix sous les effets pervers de connivences démocratiques de façade pour plaire.

Sous l’analphabétisme de l’électorat national, sommeille le bon sens paysan.  Il y a fort à craindre  que lassés des choix politiques, inaccessibles aux règles de base de la logique cartésienne un désintérêt irréversible et préjudiciable de ceux-là mêmes qui donnent à la politique sa raison d’être, à la démocratie son essence et dont la participation donne au mode électif et au suffrage universel la légitimité et la crédibilité dont se prévalent les hommes et les femmes en charge des affaires communes.

Si tant est qu’à armes «inégales» l’opposition burkinabè se sent incapable de se mesurer au CDP, qu’elle arrête d’abord de se diviser en mille morceaux. Le néologisme plaisant de «partis informels» lui sied à merveille et traduit une situation partisane iconoclaste dans laquelle, sur autant sinon davantage de formations politiques que de nombre de sièges à l’Assemblée, moins de la moitié (47) ont osé franchir le pas de la candidature, avec 13 à l’arrivée et la misérable représentativité de «l’opposition» que l’on sait. La loterie électorale a assez duré.

Dans la phase transitoire d’interscrutin qui s’ouvre, ayons le courage, dans une perspective de consolidation de notre démocratie, de la réflexion et de l’adoption de mécanismes de mise en œuvre autres que cette sorte de «qui perd gagne» de proportionnelle au plus fort reste qui ne fait honneur à personne ; surtout pas à l’opposition, qui ne peut se faire et être respectée qu’au travers d’une digne et juste représentativité conquise plutôt que concédée.

Le mal de la gouvernance en Afrique ne se trouve pas que du côté du pouvoir. Ma conviction personnelle est faite que la politique sur notre continent tend malheureusement et dangereusement à être perçue comme une manne existentielle, à laquelle s’accrochent les opportunistes et arrivistes de tous poils, sans autre projet ni idéal que leur propre survie alimentaire.

Les artifices électoraux ne serviront qu’à entretenir à travers eux une opposition factice, sur laquelle on ne peut fonder l’espérance crédible d’aucune alternance paisible. Il est souhaitable et salutaire pour le devenir de notre démocratie et la préservation de la paix sociale dans notre pays que «l’opposition» forge ses armes et mesure sa force électorale en parfaite égalité avec le parti au pouvoir plutôt que, infiltrée à l’hémicycle par des fenêtres taillées sur mesures, de venir se «gaver» sans aucun compte à rendre à un peuple qui ne l’aura élue en quelque sorte que par défaut.

La vérité est bonne à dire. Elle rougit les yeux, mais ne les crève pas.

 

Iterre Somé

L’Observateur Paalga du 18 mai 2007



18/05/2007
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