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"Etats-Unis d'Afrique" : Ce n'est pas par des mots qu'on va soigner nos maux

"Etats-Unis d'Afrique"

Ce n'est pas par des mots qu'on va soigner nos maux

 

Depuis hier et pour 72 heures se tient à Accra, le 9e Sommet ordinaire de l'Union africaine (UA) qui, il y a quelques années a succédé à l'Organisation de l'unité africaine (née en 1963) pour mieux consolider le rassemblement du continent noir et booster davantage son développement. On n'en a pas encore vu les résultats tangibles, le moteur de l'UA n'est pas encore rodé que déjà, certains des 53 pays membres veulent passer à la vitesse supérieure au risque de gripper dangereusement la machine.

Comme plat de résistance au menu de cette conférence des chefs d'Etat et de gouvernement, on sert en effet le projet de la constitution des "Etats-Unis d'Afrique" ou, à défaut, la formation d'un gouvernement panafricain dont les contours sont encore flous.

Qu'une telle entreprise prenne corps au Ghana est sans aucun doute symboliquement très chargé. N'est-ce pas le premier pays subsaharien à s'être libéré, en 1957, du joug du colonialisme en accédant à la souveraineté internationale ? N'est-ce pas la patrie de Kwamé N'Krumah, l'un des pères fondateurs de l'OUA et chantre, s'il en est, du panafricanisme ? De ce fait, c'est un bel hommage posthume, le nième, que les dirigeants africains, tels des saumons qui, pour se reproduire, reviennent toujours là où ils sont nés rendent à l'Osagyefo, entendez le Rédempteur.

Mais si on excepte cette mystique de l'unité, que retiendra-t-on de cette grand-messe panafricaine ? Pas grand-chose si ce n'est le folklore et les facéties habituelles de Mouammar Kadhafi. Le "Guide" (ne dites surtout pas président sous peine de blasphémer) de la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste est, on le sait, arrivé dans la capitale ghanéenne après une randonnée terrestre ouest-africaine qui l'a successivement conduit au Mali, en Guinée, en Sierra Leone et en Côte d'Ivoire.

Un impressionnant cortège d'une centaine de véhicules, de moyens sécuritaires et de communication ainsi que de toutes les commodités, qui a drainé sur son passage des milliers et des milliers de personnes. Sans qu'on ne sache véritablement si elles étaient attirées par cette espèce de curiosité bédouine, par son argent qu'il est réputé distribuer à tire-larigot ou par le discours panafricaniste aux accents électoraux de ce périple qui avait des allures de campagne. Kadhafi, qui se verrait bien à la tête de ces "Etats-Unis d'Afrique", qui rêve de gloire et de grandeur, s'érige ainsi en nouveau N'Krumah même si, à l'évidence, il y a loin de la coupe aux lèvres, et peu de gens prennent encore au sérieux ce fantasque leader qui ne fait d'ailleurs plus rire grand-monde.

Le fait même que ce soit lui qui porte aujourd'hui le rêve panafricain est pour le moins cocasse voire incongru.

Voici quelqu'un qui renvoie régulièrement chez eux (1) les négro-africains indésirables dans sa douce et généreuse Libye. Voici quelqu'un qui est souvent suspecté de menées subversives pour déstabiliser d'autres Etats même s'il semble s'être assagi depuis quelques années. Voici quelqu'un qui est aux affaires depuis 1969 (bientôt 40 ans de règne) et qui se fiche de la démocratie et des droits de l'homme comme de sa première barbotteuse. Voici quelqu'un qui, faute de pouvoir réaliser l'Union du Maghreb arabe avec ses frères d'Afrique du Nord, a préféré se tourner vers le Sud du Sahara et qui rêve maintenant de grands espaces comme dans le désert où il semble prêcher.

Non, il faut sans doute plus sérieux pour incarner cet idéal panafricain. Ce mot "idéal" veut du reste bien dire ce qu'il signifie, c'est-à-dire un modèle d'une perfection absolue qui répond aux exigences morales, esthétiques, intellectuelles de quelqu'un ou d'un groupe ou qui n'existe que dans la pensée et non dans le réel.

Pour tout dire, l'unité de l'Afrique est une longue quête, et ce n'est pas par des gesticulations politico-médiatiques qu'on y parviendra.

S'il faut sans doute réfléchir sur "la voie du futur" de l'UA, il importe cependant d'aller lentement mais sûrement au lieu de confondre vitesse et précipitation. A-t-on fini de consolider l'organisation, notamment la Commission qu'il est question d'auditer et de réformer en vue de rendre l'exécutif panafricain plus performant et son chef plus fort ?

A-t-on déjà atteint les 600 millions de dollars de budget annuel (2) que le président de la Commission réclamait  alors que les mauvais payeurs sont encore légion ? C'est certainement impuissant de ne pouvoir réaliser les ambitions qu'il nourrissait pour l'Organisation et blasé devant les forces d'inertie qu'après un mandat de quatre ans, l'ancien président malien a décidé de ne pas solliciter un deuxième même s'il n'est pas exclu, aux dernières nouvelles, qu'il joue les prolongations au moins jusqu'au prochain sommet en janvier 2008 à Addis-Abeba.

Ils n'ont donc même pas encore fini de faire de l'UA un véritable instrument au service de la démocratie, du respect des droits de l'homme, de la bonne gouvernance qu'ils parlent des "Etats- Unis d'Afrique" et d'un "grand débat sur le gouvernement de l'Union". Comme si c'est avec  des mots que ces dirigeants insouciants et parfois prédateurs de leur propre peuple allaient soigner nos maux, qui ont pour noms : sous-développement, pauvreté, maladies, analphabétisme, malgouvernance, conflits, corruption...

En vérité, aux rêveurs il faut préférer les réalistes et les prudents, à Kadhafi il faut préférer M'Beki comme jadis beaucoup avaient préféré Senghor à N'Krumah.

Car, finalement, l'approche senghorienne du panafricanisme, qui prônait l'unité par cercles concentriques, est toujours d'actualité.

Réussissons d'abord les ensembles politico-économiques sous-régionaux tels l'UEMOA, la CEDEAO, la CEMAC, la SADC... Faisons-en des espaces viables, et elles fédéreront par la suite tout naturellement, sur des fondations solides, pour former ce qu'on veut s'empresser de bâtir précipitamment aujourd'hui sur du sable. Simple question de bon sens et de sagesse.

Quand on voit par exemple qu'en Afrique centrale, pour passer d'un pays à l'autre il faut un visa, on se dit qu'il doit y avoir plus urgents à réaliser que de proclamer un "gouvernement de l'Union" qui mourra, sitôt né, de sa belle mort, faute de moyens et de volonté politique réelle. Comme cet avorton qu'est le NEPAD dont l'un des concepteurs s'en est lavé les mains.

Pour se mettre, dans la foulée, à poursuivre une autre chimère sous le prétexte qu'il est gravé dans le marbre de la Constitution sénégalaise que le pays d'Abdoulaye Wade, pour l'impératif d'unité du continent, est prêt à renoncer immédiatement à tout ou partie de sa souveraineté.

Il en est en effet qui pensent que c'est seulement une affaire de belles lettres alors que c'est bien plus sérieux, et donc plus difficile à réaliser que cela.

 

La rédaction

L'Observateur Paalga du 2 juillet 2007

 

(1) La dernière fournée burkinabè, forte de 150 expulsés, est arrivée pas plus tard qu'il y a deux semaines.

 

(2) De l'OUA à l'UA, le budget est passé de 40 à 70 millions de dollars, mais il couvre à peine les charges de fonctionnement.



02/07/2007
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