L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Fraudes au BEPC : C’est une vraie marée noire

Fraudes au BEPC

C’est une vraie marée noire

 

Une fois encore, le fameux pétrole, entendez par là la divulgation des sujets d'examen ou de concours, a coulé à l’occasion des épreuves du Brevet d’études du premier cycle (BEPC). La vigilance des surveillants a permis le 15 juin dernier de démasquer sur l’ensemble du territoire national une quarantaine de tricheurs, sans doute la partie visible de l’iceberg.

Face à l’ampleur de cette nauséabonde “marée noire”, les flots du pétrole, les autorités compétentes ont décidé de la reprise des épreuves de mathématiques et de physique-chimie ce matin même dans les centres de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso.

Une de nos équipes de reportages, composée de San Evariste Barro et d’Assane Ouédraogo, a vécu parfois en direct l’interpellation des fraudeurs dans divers centres d’examen et a pu recueillir des témoignages. Voici son compte rendu.

 

C’est peu après 8 heures que nous avons été alertés par coup de fil : des fraudeurs auraient été démasqués au lycée Bogodogo de Ouagadougou lors de l’épreuve de mathématiques. La police serait sur place en train de procéder à l’interpellation des fraudeurs.

C’est donc ayant cette information au conditionnel que nous prenons la direction dudit lycée où nous arrivons vers 9 heures sonnantes. Dans la cour, c’est presque le calme plat, aucun attroupement anormal. Les candidats sont dans les salles en train de composer. Est-ce à dire que notre tuyau est percé ? on verra bien.

Au parking où on cherche à garer notre fourgonnette, voici qu'un policier passe. Sans hésiter une seconde, nous descendons pour l’aborder. Il confirme l’information, mais nous conseille d’aller voir le commissaire si nous voulons en savoir davantage. C’est ce que nous faisons pour étancher notre soif de savoir plus sur cette affaire de fraude.

Nous contournons donc par la droite le premier bâtiment pour nous retrouver nez à nez avec le commissaire Olivier Sanou, qui était flanqué de deux de ses éléments. A son tour, il confirme aussi notre information de départ : des fraudeurs ont été arrêtés au cours de l’épreuve de mathématiques et ont déjà été embarqués par la police. Face à notre insistance pour en savoir davantage, il nous recommande très gentiment d’aller voir la présidente du centre, Marie Thérèse Soubeïga, vers qui toute l’information remonte.

Nous voici donc au secrétariat de la présidente. On nous informe qu’elle ne pourra pas nous recevoir sur-le-champ, car elle doit faire le point de la situation de fraude et rédiger un rapport à transmettre à sa hiérarchie.

Après avoir fait un peu le pied-de-grue devant son secrétariat, nous décidons de tourner dans la vaste cour pour tuer le temps en attendant la fin de l’épreuve de mathématiques qui ne devait plus tarder.

 

La payante vigilance des surveillants

 

Au cours de nos cent pas, nous tombons sur un léger attroupement. Outre la présidente du centre, il y avait quatre policiers et quelques surveillants ou membres de secrétariat des jurys. Tout ce monde entourait un jeune garçon. Probablement la quinzaine, il était assis sur un banc. Sur ses genoux, un sac dont il vidait le contenu. C’est un candidat qui a été pris quelques minutes plus tôt, juste avant la fin de l’épreuve de maths, en flagrant délit de triche. Tous les documents incriminés ou suspects qu’il avait ont été saisis. La police l’embarque au moment où on sonne la fin de la première épreuve de la journée.

Aussitôt, la cour fourmille de candidats sortis pour se dégourdir les jambes, prendre un peu d’air, se changer les idées ou aller se soulager avant d’entamer la seconde épreuve du jour, à savoir l’histoire-géographie.

Nous en profitons donc pour échanger avec quelques surveillants grâce à la vigilance desquels des fraudeurs ont été démasqués.

Enseignant de français de son état, Ali Zèba est surveillant à la salle n°7 du jury n°7. Il affirme que c’est fortuitement et par curiosité qu’il a pu découvrir le fraudeur dans sa salle. Voici son récit : “La police interpellait des fraudeurs. Je suis sorti suivre un peu la scène. A mon retour j’ai été attiré par un cahier qui était posé à l’angle de la porte un peu à l’écart des autres effets des candidats. J’ai pensé à un cahier oublié par un élève sans doute la veille (jeudi). Je l’ai ramassé, et en le feuilletant, j’ai trouvé les données du corrigé de l’épreuve de maths. J’ai demandé à qui appartenait le cahier, et naïvement il s’est présenté. On l’a conduit donc chez la présidente du centre. Et c’est là qu’en fouillant davantage dans le cahier, on a trouvé des ébauches de corrigé de physique-chimie, matière prévue dans l’après-midi”.

Mais est-on vraiment sûr  que ce corrigé de maths avait un lien avec l’épreuve qui se déroulait ? Réponse du surveillant : “Très exactement puisqu’on a fait la confrontation”. A entendre notre interlocuteur, le candidat fautif a expliqué qu’en fait c’était un devoir qu’il avait traité en classe. Soit ! Mais selon Ali Zèba, “le problème, c’est que ça a été traité sur des feuilles de brouillon de l’Office central des examens et concours du secondaire (OCECOS). Nous savons tous que cette structure ne distribue pas les brouillons dans les établissements au cours de l’année scolaire”.

Du reste, le surveillant a sa petite idée sur cette histoire de feuilles de brouillon se baladant en ville. La tactique serait la suivante : “Pendant l’épreuve d’hier (jeudi), l’élève pouvait prétexter avoir besoin d’un ou de deux feuilles de brouillon. Mais au finish il ne les utilise pas et les garde par-devers lui. Une fois dehors, s’il a le pétrole, il fait traiter le sujet sur les brouillons. Et si par chance il arrive à déjouer la vigilance des surveillants pour avoir ces feuilles comme sous-main, le tour est joué”.

 

«Nous ne cherchons à protéger qui que ce soit»

 

Au niveau de la salle n°5 de ce même jury, un autre surveillant, qui a requis l’anonymat pour des raisons qui lui sont propres, a pu confondre un fraudeur. L’enseignant nous a confessé avoir eu des soupçons sur ce candidat qui, depuis le début de l’épreuve de maths, avait des agissements très suspects : “Il était assis et n’écrivait pas grand-chose. Entre- temps, il a demandé à aller se soulager. Je l’ai accompagné aux toilettes tout en lui interdisant de refermer derrière lui la porte, puisque c’était juste pour uriner. J’ai trouvé qu’il gesticulait beaucoup et que ça durait plus que de normal. Quand il est sorti, je lui ai dit de vider ses poches. C’est là que j’ai trouvé qu’il avait tout le corrigé de l’épreuve sur des feuilles photocopiées”.

Puisqu’ils n’étaient que deux en ces lieux, est-ce que l’élève n’a pas tenté de corrompre son surveillant ? De l’aveu de notre interlocuteur, il n’en a rien été. Le fautif se serait borné à demander  la clémence afin qu’on laisse tomber l’affaire surtout qu’il n’avait pas pu utiliser les documents frauduleux.

Pendant que le surveillant nous contait cette aventure, la cloche a retenti. C’était l’heure de l’épreuve d’histoire-géographie.

De là où nous étions, nous repérons  la présidente du centre, Marie Thérèse Soubeïga. Peu diserte, elle se borne à nous préciser que le nombre de fraudeurs pris dans la nasse au lycée Bogodogo est de sept personnes et que parmi elles il y avait des filles et des garçons, des candidats régulièrement inscrits dans un établissement, et des candidats libres. Il faut souligner que les corrigés pris sur les fraudeurs étaient, soit manuscrits sur des feuilles, soit photocopiés.

Du Bogodogo, cap sur le lycée Nelson Mandela où le pétrole a aussi coulé. Là un candidat a été pris la veille (jeudi) en flagrant délit de fraude lors de l’épreuve des sciences de la vie et de la terre (SVT). Mais concernant l’épreuve de maths, à notre passage, quatre personnes étaient aux arrêts.

Dans ce centre, on peut dire que pour ce qui concerne l’épreuve de maths, les fraudeurs ont tenu compte des variables genre et parité homme/femme. Car, parmi les quatre personnes, on comptait deux filles et deux garçons. Un fraudeur a même tenté de s’évader, mais il n’a pu aller loin à cause de la vigilance des agents de sécurité.

Vers 11 heures, un véhicule de la police est passé embarquer les “cuits” de la matinée.

Pour le président du centre, Jean Pierre Korsaga, c’est un sentiment de frustration qui domine. Parce que, soutient-il, “on a mis le maximum pour préparer les élèves, et on constate que des élèves honnêtes risquent d’être pénalisés (ndlr : la reprise des matières où il y a eu fraude massive) par les adeptes de la courte échelle. Quand la fraude est avérée, nous ne cherchons pas à protéger qui que ce soit. S’il y a quelqu’un à protéger, on ne protège que les candidats honnêtes”.

 

Pas de bonne prise au Zinda

 

Dans le plus grand lycée du Burkina, le Zinda, curieusement, il semble qu’à notre passage vers 11 h 15, c’était un seul fraudeur qui était démasqué. Est-ce à dire que les autres ont pu passer entre les mailles du filet déployé par les surveillants ? Nous ne le savons trop. Toujours est-il que ce n’était pas jour de bonne pêche au Zinda, puisque l’unique poisson pris est parvenu à se faire la belle et que la police n’avait pas encore pu remettre le grappin sur lui.

Ici, le président du centre, Ali Sawadogo, à qui sa secrétaire nous a annoncés, n’a pas voulu nous recevoir, car semble-t-il, il était en entretien. Avec qui ? Nous ne le savons. Ce qui est certain, c’est que le maître des lieux ne voulait pas nous recevoir puisqu’à travers  sa secrétaire il nous a conseillés de partir. Et c’est ce que nous fûmes. En quittant d’ailleurs cet établissement, des informations qui nous parvenaient faisaient état de cas de fraudes dans plusieurs lycées de la capitale  du Pays des hommes intègres.

De retour au journal, ne sachant pas le sort réservé aux candidats indélicats, nous passons un coup de fil au procureur du Faso. Au téléphone, Adama Sagnon nous avoue avoir eu vent de cas de fraudes, mais n’en être pas encore “officiellement saisi” par les éléments de sécurité sur le terrain ou les autorités qui ont en charge l’organisation du BEPC.

Le procureur nous fera savoir que si la police ou la gendarmerie lui adressent un rapport, il statuera et décidera ou non de décerner un mandat de dépôt contre les fraudeurs. Mais il a précisé que dans cette situation, il ne s’agira pas d’une décision globale, mais que ça se fera au cas par cas.

Mais puisque c’est la police qui a procédé à l’interpellation des fraudeurs, au moment où nous étions au téléphone avec le procureur, ceux-ci étaient toujours entre les mains des hommes du commissaire Paul Sondo.

Après le break de 12h à 15h, nous nous sommes rendus au QG de l’organisation du BEPC, à savoir l’OCECOS. Le directeur général, Didace Gampiné, nous a reçus dans son bureau en présence du directeur des examens et concours, Francis Yelkouni. Ils nous ont communiqué les données qu’ils avaient en leur possession sur la situation (voir encadré). Ainsi, à notre passage vers 16h30, des cas de fraudes avaient été signalés à cette structure qui avaient eu lieu dans les centres de Ouagadougou (les lycées Bogodogo, Nelson Mandela, Vénégré, mixte de Gounghin, Marien N’Gouabi, Zinda, Morel, Réveil, Marie-Curie, Saaba, EGSK Tampouy) de Bobo (jury n°7), de Ouahigouya, et de Kongoussi. Les épreuves les plus fraudées étant naturellement celles de maths et de PC, deux matières qui sont la bête noire de nombre d’élèves. Au total, une quarantaine de candidats auraient été mis au frais pour fraude.

 

«Un système extrêmement poreux»

 

A l’OCECOS, on ne nie pas qu’il y ait eu des fraudes, mais on dit que l’opinion doit savoir  que les documents trouvés sur les candidats fautifs ne seraient pas exactement les mêmes que les épreuves administrées. Et Didace Gampiné est clair : “Nous n’avons pas encore sous nos yeux des documents qui font référence ni en maths ni en PC à l’épreuve type qui a été proposée. Mais il faut avouer que des exercices présentent des similitudes”.

Ces propos du DG jurent avec ce que des surveillants nous ont dit. Difficile de savoir donc des deux versions laquelle est plus véridique. Qu’à cela ne tienne, ces similitudes sont tout de même curieuses, et on ne peut que penser que les fraudeurs ont été en tout cas bien tuyautés.

Selon D. Gampiné, à cause de la forte propension de certains candidats pour le “pétrole”, des escrocs ont trouvé un filon, celui de reprendre d’anciens sujets du BEPC pour les vendre à des élèves à qui ils font croire que ce sont les épreuves de l’examen du moment.

Ce n’est pas l’avis d’Ali Zèba qui, lui, incrimine tout le système d’organisation des examens et concours dans notre pays ; un système qui, selon lui, serait “extrêmement poreux”. Il accuse aussi “les parents d’élèves, qui achètent les sujets pour leurs enfants, parce qu’en la matière, on parle de deal, c’est-à-dire que ça ne sort qu’en contrepartie d’argent”.

A vrai dire, la marée noire à touché toutes les épreuves sauf l'EPS. En effet, même àl'oral d'anglais, on a fait état de fraude. Si bien que l'OCECOS a été bien obligé de procéder  en urgence au remplacement des épreuves de cette discipline. C'est la raison pour laquelle les oraux ont débuté samedi avec plus de 2h de retard à Ouaga et Bobo.

La reprise des épreuves de maths et de PC concerne uniquement les jurys relevant de Ouaga et de Bobo.

L'enquête serait en train de progresser, à en croire le DG de l'OCECOS. Il a annoncé hier lors d'un point de presse que la police à interpellé une cinquantaine de personnes : des candidats, des non-candidats, des parents d'élèves et des personnels du ministère des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche  scientifique.

Parce que certains ont empoché de l’argent, c’est le contribuable qui va trinquer, lui dont on utilisera encore les impôts pour assurer la prise en charge des frais de la reprise des épreuves de maths et de PC ce matin à Ouaga.

Espérons que la justice fera son travail et que les délinquants seront châtiés à la hauteur de leur forfait afin de décourager toute velléité de récidive.

 

San Evariste Barro

L’Observateur Paalga du 18 juin 2007

 

Encadré 1

 

Ali Zéba

“De la triche dès le berceau”

 

C’est un malaise national. La tricherie est aujourd’hui un sport favori au Burkina. Et ça fait très mal parce qu’on se demande à quel genre d’individus on aura à faire demain. Si dès le bas âge l’enfant sait que sa vie est basée sur la triche, si tout le monde croit que c’est le raccourci qui construit sa vie, comment voulez-vous qu’on puisse bâtir une Nation forte ? C’est extrêmement dangereux. Si demain on a des brigands et des malfrats de toutes sortes, ça ne serait pas surprenant, parce que c’est dès le berceau qu’on leur apprend tout ça.

 

Encadré 2

 

Jean Pierre Korsaga

“Des cadres incompétents”

 

Je me dis que notre société doit évoluer dans le sens de l’honnêteté et du travail. Seul le travail paie. Quand on veut passer par la courte échelle, on n'aboutit à rien, car on aura des élèves qui ont des diplômes qu’ils ne méritent pas. Alors, plus tard ils seront des cadres incompétents. Quand on réfléchit sur le long terme, on a un sentiment de découragement.



18/06/2007
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