L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Gouvernance démocratique : Une chimère en Afrique

Gouvernance démocratique

Une chimère en Afrique

Pour cet enseignant de CEG, la démocratie en Afrique demeure un mirage parce que les facteurs constitutifs de cette démocratie ne sont pas réunis.

Dans une république où il n'y a pas de conscience civique, la chose publique est considérée comme "une chose populaire". Les gens agissent dans des coalitions d'intérêts particuliers au détriment des intérêts généraux. Ceux qui ont la charge de veiller sur le bien public ne sont pas issus d'une race intègre d'extraterrestres mais émanent du peuple dont ils ne sont pas forcément les meilleurs. Si le peuple est politiquement mûr pour exercer un contrôle sur ses représentants, il peut constituer un Etat démocratique.

La séparation théorique des pouvoirs d'un Etat républicain en trois pouvoirs indépendants (exécutif, législatif et judiciaire) n'est pas un gage de démocratie. En réalité, ces trois pouvoirs ne sont que des sections d'un même pouvoir. [Certains ajoutent la presse comme quatrième pouvoir indépendant]. Dans un pays, si la démocratie ne tient que dans la séparation fictive de ces institutions, il reste encore beaucoup à faire. Nous avons déjà ce schéma classique du pouvoir dans presque tous les pays, mais peut-on dire qu'il y a une gouvernance démocratique dans les Etats africains ?

La politique étant la gestion des affaires de la nation (de la cité), comment faire pour que cette gestion se fasse à l'avantage du plus grand nombre de citoyens ? Le problème de la bonne gouvernance se pose en ces termes.

Dans la politique des partis, toutes les institutions de l'Etat sont animées par le parti vainqueur à l'élection présidentielle. Imprimant sa philosophie à la marche générale des affaires du pays, ce parti exécute son programme qui est le contrat qui le lie à ses électeurs. Il prend toutes les grandes décisions politiques de la nation. C'est le pouvoir.

Au même moment, les militants des partis ayant des conceptions différentes de l'idéologie du parti dominant se trouvent réduits à jouer des rôles très secondaires dans la vie politique du pays. Ces militants "des partis d'opposition" qui luttent pour un autre modèle de société se mettent dans une position d'observation dans le but d'exploiter les erreurs du pouvoir. Ils travaillent pour la construction nationale tant qu'on accepte leur participation et aspirent à renverser la situation en prenant la magistrature suprême aux élections à venir. C'est le contre- pouvoir, communément appelé opposition.

Le peuple, source du pouvoir, préoccupé par son quotidien, n'a pas le temps (ni la possibilité) de surveiller ses mandataires. Juge des faits et gestes des partis et des hommes politiques, il est instruit par la presse et délibère en dernier ressort. C'est l'opinion publique.

"Parti unique de fait"

Avec les progrès extraordinaires des moyens de communication, les informations voyagent plus facilement et plus rapidement que l'avion. Une inondation à Kankan (Guinée Conakry) est regardée avec compassion à Niamey (Niger) et à Wellington (Nouvelle-Zélande) en même temps. Les événements politiques de tout pays sont appréciés diversement à travers le monde grâce à la presse et engendrent des méfiances et des prises de position. C'est l'opinion internationale.

Alors, les forces concourant à la vie politique d'un Etat démocratique ne sont pas, comme on le dit habituellement, l'exécutif, le législatif, le judiciaire ni la presse, mais le pouvoir, le contre-pouvoir, l'opinion nationale et l'opinion internationale. La bonne gouvernance résulte de l'équilibre de ces quatre forces.

Il se trouve qu'en Afrique, dans la plupart des pays, on traduit le mot président dans les langues locales par les mots: empereur, roi, tyran ... Au lieu que la démocratie soit "le règne du droit", elle est devenue "le règne de la confusion". Tout le monde veut être du côté du président. Sa formation politique devient le parti principal du pays dont les autres ne sont que des satellites. On n'a pas beaucoup de chances de gagner contre le chef, dit-on. Les prétendus militants des partis, non mus par un idéal politique, sont généralement guidés par leur instinct de domination qui ne peut facilement se satisfaire, pensent-ils, que dans le parti du président-roi. Ainsi, on tombe dans le parti unique de fait.

Les candidats à la représentation nationale, au lieu de chercher la légitimité au niveau de leur base électorale, se voient obligés de mener une lutte diabolique pour prouver leur fidélité au parti et au président-roi. Une fois élu représentant d'une population qui a bazardé ses voix électorales pour un repas de midi, il n'y a plus de contrat avec les électeurs, il faut travailler à enraciner le parti dans la localité par des méthodes antidémocratiques et demeurer à son poste pour toujours.

Les populations africaines, ayant tour à tour connu des régimes politiques de rois dictateurs, de tyrans, de la colonisation, n'ont jamais été éduquées aux valeurs de la démocratie. Les Africains ont gardé des mentalités de sujets et ils se comportent toujours comme tels. D'ailleurs, la démocratie n'est pas un état de connaissance où il faut savoir définir des termes et comprendre la marche des institutions républicaines, mais un état de comportement où il faut savoir vivre par des attitudes légales et exiger cela aux autres.

Sans liberté de la presse, il ne peut pas y avoir de démocratie. Mais la liberté de la presse ne garantit pas la démocratie si le peuple n'est pas formé à réagir à l'information. La presse est la voix de l'opinion nationale pour dénoncer les manquements à la loi, les atteintes aux libertés individuelles et collectives, les abus des dirigeants ... Mais tout cela n'est d'aucune importance si les gens ne s'indignent pas activement devant l'injustice.

Vers la fin du 19e siècle, l'Europe connaissait une montée de l'antisémitisme. En 1894, un officier français, le juif Alfred Dreyfus, fut accusé et arrêté sur la base d'une simple ressemblance d'écriture, d'avoir livré à un attaché militaire allemand des renseignements militaires. La même année, il fut jugé par un conseil de guerre et condamné à la dégradation militaire et à la déportation à vie à l'île du Diable (en Guyane). En 1898, l'écrivain Emile Zola publia un article "J'accuse" dans le journal L'Aurore prenant la défense du capitaine Dreyfus. La France fut plongée dans une crise politique qui divisait les Français. Peu de temps après, il y eut une révision du procès. En 1906, Dreyfus fut réintégré dans l'armée avec ses grade et fonction.

"Opinion publique agissante"

Des renseignements militaires français avaient été effectivement livrés à un attaché militaire allemand. Le coupable avait imité l'écriture du juif Dreyfus, peut-être par sentiment antisémite. Il fallait trouver la vérité, la presse la trouva et le peuple français a réagi. L'opinion publique française a rétabli le capitaine Dreyfus dans ses droits.

Il ne peut y avoir d'opinion publique agissante dans un pays lorsque plus de 60 % de sa population est analphabète. Si le peuple ne peut pas exercer sa souveraineté en faisant pression sur ses institutions pour faire "régner le droit", il ne peut pas y avoir de bonne gouvernance.

Il faut mettre l'accent sur la scolarisation en Afrique. Les gouvernements l'ont compris, ils s'y emploient. Mais il faut surtout une école où le jeune africain pourrait s'émanciper de tous les complexes qu'il a reçus à travers des siècles d'humiliation que l'histoire nous enseigne. Il faut donner à l'école toute sa place pour la formation de meilleurs citoyens comme le dit M. André Maurois dans le Courrier de l'UNESCO, mai 1961 : "Nous vivons en un temps où tous les hommes, en des pays dont le nombre va croissant, ont des droits égaux, participent au gouvernement et forment cette opinion qui, par son influence sur les gouvernants, décide en dernier ressort de la paix et de la guerre, de la justice et de l'injustice, bref, de la vie de leur nation et de celle du monde tout entier. Cette puissance du peuple, qui est la démocratie, exige que les masses, devenues source du pouvoir, soient instruites de tous les grands problèmes."

Le manque de culture politique chez les peuples africains fait que les gouvernants ne considèrent pas l'opinion publique comme une force politique. De même, la plupart des partis dits de l'opposition sont des partis satellites des partis au pouvoir, ce qui fait qu'il n'y a pas de contre- pouvoir. Les seules forces qui interagissent sur les scènes politiques en Afrique sont finalement le pouvoir et l'opinion internationale. D'ailleurs, tout se passe comme si la source du pouvoir en Afrique était l'opinion internationale, elle-même viciée par une presse impérialiste à la solde de gouvernements avides des richesses d'Afrique.

La coopération entre l'Occident et l'Afrique étant fondée sur l'exploitation des richesses de celle-ci par celui-là sous le regard complaisant des dirigeants africains, y aura-t-il¬ à jamais une bonne gouvernance dans nos Etats ? Nous pouvons seulement répéter avec Joseph Ki-Zerbo : "A quand l'Afrique ?"

Sogoba Tinzanga Professeur au CEG de Bassi (Zondoma)

Le Pays du 12 septembre 2007



12/09/2007
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