Hier au cimetière de Dagnoên : Rendez-vous avec une tombe
Hier au cimetière de Dagnoên
Rendez-vous avec une tombe
Alors que c'était la première fois qu'elle s'inclinait sur la tombe de Thomas Sankara, la veuve Mariam Sankara n'est pas parvenue à adresser, comme il est de coutume, une prière à la mémoire de son défunt mari. Prise au milieu d'une marée humaine venue l'acclamer, elle a juste eu la possibilité de déposer sur la tombe une couronne de fleurs.
Récit d'un rendez-vous avec une tombe.
Ils étaient tous là. Les hiérarques de la grande famille politique sankariste, tous requinqués comme jamais ils ne l'ont été, leurs militants venus des 45 provinces du pays, à en juger par les pancartes, les admirateurs du défunt président, les simples curieux accourus pour voir la veuve, sans compter la presse nationale et internationale. Des photos de l'arrivée de l'ancienne première dame avant hier à l'aéroport de Ouagadougou s'arrachent comme de petits pain. Tous rassemblés à Dagnoên, dans ce cimetière envahi ici et là par des tas d'immondices. Pour y assister au dépôt de gerbes de fleurs que doit effectuer, pour la première fois, la veuve Sankara, rentrée la veille de son exil volontaire de vingt ans. Pour y entendre aussi le message de celle dont la seule présence a apporté un sceau particulier à la célébration du 20e anniversaire de la mort du « camarade Thomas Sankara », comme il est désigné sur l'épitaphe. Sur cette deuxième attente, la foule a vite fait de perdre toute espérance.
"Nous avons été victimes de notre succès ",
regrette un des organisateurs, Jean-Hubert Bazié non moins satisfait de la mobilisation sans pareil au cimetière de Dagnoên.
15 heures 40. L'animateur de radio et musicien « engagé » Sam's K. le Jah fait son apparition. Il se recueille sur la tombe, marmonne quelques paroles. Des fans se bousculent pour le voir de près. Le Ditanyen, « l'hymne de la victoire », est entonné en chœur. Les quelques officiels qui avaient confortablement pris place sur des chaises en fer sont noyés par la foule. Les femmes en noir aussi. Des bambins, habillés en jaune à l'instar des pionniers du temps de la révolution, sont conduits à l'écart. La marée humaine ne cesse de déferler. Les tombes des douze compagnons d'infortune de Thomas Sankara sont pris d'assaut par des jeunes en manque d'espace pour s'asseoir. Sam's K. le Jah multiplie les appels à l'ordre. En vain.
« Mariam ! », « Mariam ! »
Devant la tombe de son mari, elle lève les bras en signe révolutionnaire
Le député sankariste Norbert Tiendrébéogo du Front des forces sociales (FFS) est appelé à la rescousse. Rien n'y fera.
Peu après 16 heures, des voix commencent à réclamer celle que tous attendent : « Mariam ! », « Mariam ! », entend-on scander par une partie de l'assistance. L'arrivée d'un lot de gerbes de fleurs apaise les esprits des impatients dont certains auraient déjà bouclé plus de quatre heures d'attente.
16h40. Bousculade au côté Est du cimetière. Un nuage de poussière s'élève au dessus de l'assistance. Mariam Sankara, entourée de sa garde rapprochée que constitue le noyau de quelques membres du comité d'organisation qui l'encadre, est là. Les slogans fusent. La foule avance. La police repousse. Les ceinturons tournoient au-dessus des têtes. Les flashs des appareils photo crépitent. Des portables sortent des poches et fixent des images.
Des jets de pierres
La veuve parvient enfin à atteindre la tombe. La silhouette arrondie, le visage impassible, vêtue d'une tenue en Faso Dan Fani bleu-blanc, avec un collier de perles à l'avenant, elle dépose, pour la première fois, une couronne de fleurs sur la tombe de son mari. A côté d'elle, et visiblement ravi, Me Bénéwendé Stanislas Sankara, président de l'Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (UNIR/MS). Ce dernier vit un instant de bonheur intense. Il arbore un large sourire, fait un signe de croix et soulève le bras de Mariam, le poing fermé. La foule défaille.
Soudain, quelques jets de pierres. Ils surviennent au moment où la veuve est maintenant montée sur la tombe de son mari. Les projectiles ne l'atteindront pas. Mais s'en est-elle rendu compte ? Etait-t-elle la cible visée ? Les conjectures vont bon train. Des organisateurs parlent d'éléments infiltrés pour saboter la commémoration. Vrai ou faux ? En tout cas, c'est sur ces entrefaites que Mariam a regagné sa voiture, toujours sous forte escorte. Sans un mot. La cérémonie est écourtée. Pas de discours. La déclaration des femmes en noir et celle du comité d'organisation ne sont pas non plus prononcées. Norbert Tiendrébéogo entame un speech. Mais sa voix est noyée par la musique du reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly, distillée par de puissants baffles dont le refrain est repris par une foule en délire.
Alain Saint Robespierre
Issa K. Barry
L'Observateur Paalga du 16 octobre 2007
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