«La femme de ménage» a avalé sa serpillière
Mort de Driss Basri
«La femme de ménage» a avalé sa serpillière
Mardi 9 novembre 1999, il est 13 heures au Maroc quand l’agence de presse officielle annonce : «Sa Majesté le roi Mohamed VI a reçu, mardi matin au palais royal de Marrakech, le ministre de l’Intérieur M. Driss Basri, lequel a été déchargé de ses fonctions …S. M. le roi a nommé par la suite M. Ahmed Midaoui, ministre de l’Intérieur en remplacement de M. Driss Basri…». Le même jour, à l'ex-résidence générale de France, siège du ministère de l’Intérieur, la passation de service était faite à 18 heures. Trois mois et 17 jours après la mort du roi Hassan II c’était la fin d’un monde, celui du règne long de 20 ans du «grand vizir» comme le désignaient les Marocains. Mais aussi le parricide du jeune roi qui a voulu ainsi couper le cordon ombilical avec l’ère de son défunt père.
8 ans après cet épisode qui est considéré comme une première mort de Driss Basri puisque c’est de lui qu’il s’agit, ce dernier de tirer définitivement sa révérence ce lundi 29 août à Paris (où il était en exil volontaire) à l’âge de 69 ans. Une vie, notamment vingt ans de politique du bâton au service d’un monarque Hassan II, s'achève ainsi.
En s’engageant dans la police dans les années 60, ce fils de gardien de prison savait-il seulement qu’il allait être un jour le numéro 2 du royaume chérifien ? En tout cas il gravira les paliers du pouvoir pour devenir en deux décennies un homme craint dans tout le royaume : en 1973 il est directeur de la Division de surveillance du territoire (DST), en 1974 il est nommé secrétaire d’Etat à l’intérieur puis sera ministre de ce département en 1979, poste qu'il ne quittera plus jusqu’à sa disgrâce en 1999.
Quelqu’un avait dit qu’un bon ministre de l’Intérieur n’est jamais populaire, entendez qu’il n’est pas aimé des populations. Si véritablement la compétence d’un ministre de l'Intérieur se mesure à l’aune de cette impopularité, alors Driss fut assurément un parfait grand commis de ce département.
Flic, il le resta dans l’âme ; même qu’il trouvera une fierté légitime à brandir son doctorat en droit public de l’université de Grenoble. Pendant des années, il a tissé un réseau sécuritaire redoutable parfaitement bien huilé. L’homme privilégiait l’efficacité sur les méthodes et avait donc mis en service un système de surveillance et de renseignement sur les mokadems, ces sortes de démembrements du Makhzen dont le sommet était coiffé par un petit groupe de collaborateurs brillants. Ecoutes, filatures, manipulations, dérapages et bavures étaient le lot quotidien de ce ministère qui disposait de moyens colossaux pour agir.
Ce n’est pas par exemple l’opposant Abraham Serfaty qui dira le contraire, lui qui fut exilé en 1991 en France par le «vice-roi» qui lui avait collé une nationalité brésilienne. Ironie du sort ou signe de M6 à Driss, un mois avant le séisme du 9 novembre, Serfaty (qui réclame un jugement de Basri pour crimes contre l’humanité) est rentré au Maroc et même est apparu à la télévision ; image insoutenable pour Basri qui aurait maugréé : «c’est une trahison de la mémoire de sa majesté».
Il faut en fait dire que c’est par «le sacrifice» de Driss Basri que M6 a débuté son processus de dialogue national qui débouchera sur la création en 2005 de l’Instance équité et réconciliation (IER). Cet organe a instruit plus de 16 000 dossiers, organisé des auditions publiques et abouti à des réparations financières concernant 9000 personnes. En fait, un procès des années de braise et en même temps un défouloir pour les familles de victimes qui en avaient besoin.
Avec cette mort, celui qui se désignait lui-même comme «la femme de ménage du gouvernement» a avalé définitivement sa serpillière et c’est aussi l’ultime épilogue d’une période, celle de Hassan II, car il trinque pour le père de M6 ; «avec lui vont être enterrées un certain nombre de vérités concernant les violations au Maroc», a affirmé Abdelillah Ben Abdelsalemle, vice-président de l’association marocaine des droits de l’homme. De même, cette disparition rappelle aux puissants du moment que la roche Tarpéienne n’est pas éloignée du capitole. Et lorsqu’on est au summum de sa gloire ou de son règne il ne faut jamais oublier de toujours bien agir dans l’intérêt général, car, c’est connu, plus le sommet est haut plus la chute est rude. Alors pour éviter d’être jeté dans les poubelles de l’histoire...
Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
L’Observateur Paalga du 29 août 2007
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