L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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"La Justice est devenue le tam-tam de tout le monde"

Boureima Badini, Garde des sceaux

"La Justice est devenue le tam-tam de tout le monde"

La Justice burkinabè a été récemment à la Une de l'actualité nationale à la faveur, non pas d'un dossier pendant comme c'est de commune, mais de la passe d'armes entre le garde des Sceaux et le Syndicat burkinabè des magistrats (SBM) qui entendait marcher, le 30 avril à Ouaga, pour revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail pour les hommes en toge. Le bras de fer terminé avec l'interdiction in extremis de la marche en question, nous avons rencontré le 2 mai à son cabinet, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Boureima Badini. En une heure d'entretien, la marche du syndicat, le phénomène de la justice privée, les dossiers pendants de Norbert Zongo et de Thomas Sankara ont été évoqués. Il en a été de même de la réforme de la Justice, de la corruption au sein de la magistrature et de bien d'autres sujets dignes d'intérêt.

Que redoutiez-vous en faisant annuler la dernière marche du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM) ? Est-ce la casse ou l'étalage sur la voie publique des problèmes de la magistrature ? Ou alors est-ce simplement parce que les magistrats n'avaient pas le droit de marcher comme vous l'aviez dit ?

Je vous remercie tout d'abord d'être venus à l'information. Nous avons été informé le 23 avril dernier par le Syndicat burkinabè des magistrats (SBM) par rapport à une marche qu'il devait organiser dans le but de remettre quelques préoccupations à transmettre au chef de l'Etat qui est le président du Conseil supérieur de la magistrature. Informé, nous avons logiquement regardé si cette marche était légale. Selon les statuts de la magistrature, c'est écrit noir sur blanc que les magistrats n'ont pas le droit de grève.

Nous l'avons fait savoir au SBM dans le souci de faire respecter la loi. Si dans le statut spécifique de la magistrature, il est dit que le magistrat n'a pas le droit de grève, faire une marche s'apparenterait à cela, puisque les magistrats prendraient sur le temps du travail pour marcher. Avec le SBM, nous avions eu droit à la première grève dans la magistrature burkinabè. C'était normal à l'époque parce qu'aucun texte ne l'interdisait. Mais maintenant que les textes l'interdisent, il ne faut pas passer outre. Toujours avec le SBM, nous avions frôlé une marche des magistrats en toge dans la rue. Imaginez ce que peut penser le citoyen lamda de cette image qui serait malheureusement collée à la magistrature burkinabè. Le magistrat est l'arbitre impartial qui doit gérer les litiges entre les privés et entre l'Etat et les privés. Ce serait donner une très mauvaise image que d'accepter que la magistrature soit ainsi mise à nu sur les pavés de Ouagadougou. Nous avons donc pensé qu'il était judicieux de faire appel aux textes afin que chacun puisse raison garder dans le but de sauvegarder l'intérêt général qu'est la magistrature et, partant, toutes les institutions républicaines. C'est ce qui nous a conduit dans notre démarche d'écrire au SBM en apportant tous les éclairages nécessaires. Du reste, depuis notre arrivée à la tête de ce département, nous sommes à l'origine de nombre d'initiatives au profit de la magistrature. Pour les indemnités, c'est nous qui avons réussi, avec l'accord du gouvernement, à instituer des indemnités substantielles au profit des magistrats. Nous avons instauré, en plus de cela, une indemnité dite de judicature qui existait dans d'autres pays mais pas au Burkina. Ce n'est peut-être pas aussi consistant qu'ailleurs, mais c'est une grande première.

Même pour la relecture de la grille indemnitaire qui concerne l'ensemble des fonctionnaires du Burkina, l'Etat burkinabè a étalé ces indemnités jusqu'à 2005. Le même Etat avait signifié qu'après 2005 il ferait appel aux différents syndicats pour voir dans quelle mesure rouvrir les négociations. C'est dans cette optique qu'on avait demandé aux syndicats des magistrats de faire eux-aussi des propositions. Ces propositions ont été faites. Seulement, le gouvernement n'a pas encore ouvert les négociations avec tous les syndicats de notre pays. Il n'y a donc pas de raison que sur les trois syndicats de magistrats, un seul s'arroge le droit d'organiser une marche pour cela. En plus du fait que les initiatives pour améliorer les conditions de vie et de travail des agents de l'Etat ne viennent pas du SBM, ce syndicat aurait dû s'entendre avec les deux autres syndicats de magistrats pour voir comment approcher l'autorité pour poser leurs différentes préoccupations.

Du reste, le 3 avril, j'avais reçu le SAMAB et le SMB qui avaient demandé à me rencontrer parce qu'ils avaient des préoccupations à me soumettre. Le SBM n'était pas de la partie. Je puis vous assurer que mon cabinet a toujours été ouvert à tous ceux qui voudraient me rencontrer. Si les gens viennent à l'information, nous sommes disponibles pour les renseigner. S'ils viennent à la discussion et au dialogue, nous sommes prêts à le faire. C'est normal que la république fonctionne ainsi.

Considérez-vous le SBM comme un syndicat rebelle puisque vous aviez eu à discuter uniquement avec les autres syndicats ?

Je constate tout simplement que ceux qui sont venus à moi ont eu leurs audiences. On discute à deux. En 2006, il y a du reste eu une tentative d'audience avec les trois syndicats qui a avorté parce que coïncidant avec la tenue du Conseil supérieur de la magistrature sur les affectations. Après cela, il y a eu les vacances judiciaires et, depuis lors, plus personne n'a évoqué cette audience bien qu'avec les leaders syndicaux nous ayons eu des entretiens privés. Je ne comprends donc pas que, brusquement, le SBM veuille organise des marches qui sont en rupture avec la légalité.

N'est-ce pas une contradiction de la république que d'accorder à des travailleurs le droit de se syndiquer tout en leur ôtant celui de faire la grève ?

C'est la protection de la république qui importe ici. Je ne pense pas qu'il y ait une dichotomie quant au droit de se syndiquer sans pour autant pouvoir faire la grève. Ceux qui sont concernés par cette loi ont la possibilité de se réunir et de présenter leurs préoccupations. Ce n'est pas seulement à travers les grèves que les problèmes sont résolus. Dans notre pays, il n'y a que deux corps qui ont des statuts spécifiques. Il s'agit des militaires et des magistrats. Ce sont, comme on le dit, les gardiens de la république. C'est à ce titre que le président du Faso est le président du Conseil supérieur de la magistrature. Quand les magistrats ont des cahiers de doléances, c'est pour les transmettre au chef de l'Etat. Ils ont également la possibilité de discuter directement avec le chef de l'Etat à travers le Conseil supérieur de la magistrature, et même en dehors. Du reste, quand il y a grève, ce sont les magistrats qui tranchent. Ils ne peuvent tout de même pas être juge et partie. Nous estimons que ce n'est pas normal que les gardiens de la république sortent dans la rue pour manifester. Qui plus est, c'est le Conseil supérieur de la magistrature, donc les magistrats eux-mêmes, qui a arrêté ce principe lors de ses réunions et l'a imposé dans les statuts de la magistrature.



Les magistrats et les militaires sont les gardiens de la république et privés pour cela du droit de grève. Pourtant, les militaires ont déjà marché dans la rue et les magistrats comptaient le faire aussi. Est-ce à dire que l'autorité est à genoux au Burkina ?

Non. Le mouvement d'humeur des militaires n'était pas quelque chose d'organisé pour marcher contre l'autorité de l'Etat et brandir des revendications spéciales. C'était plutôt une expédition punitive et les revendications sont venues par la suite. Il y a une grande différence entre ce mouvement d'humeur et la grève organisée.



Avant ce mouvement d'humeur des 19 et 20 décembre 2006 les militaires ont déjà manifesté hors de leurs casernes !

C'était en 1997 mais ils n'ont pas arpenté les rues. C'était juste devant leur camp, à la Place de la Nation. Là aussi, c'est une situation qui a été bien gérée par les autorités. D'ailleurs, en ce moment, le statut de la magistrature n'interdisait pas le droit de grève aux magistrats. A partir du moment où c'est fait, il faut en tirer toutes les conséquences de droit.

On a entendu dire que vous vous êtes évertué à interdire cette marche parce que c'est une initiative du SBM qu'on considère à tort ou à raison comme un syndicat de rebelles ou encore de magistrats non acquis.


Je suis venu à la magistrature par amour et je ne peux pas admettre que des gens viennent fouler aux pieds tout ce qui a été fait pour construire la crédibilité de la justice; crédibilité que nous avons par ailleurs du mal à maintenir, la justice étant souvent incomprise par la population. Ce n'est pas à moi de juger des syndicats rebelles ou pas. Chacun doit se mettre dans la légalité. Ce qui est primordial pour moi en tant que garde des Sceaux, ministre de la Justice, c'est de faire appliquer la loi. Si vous êtes en rupture avec la légalité, c'est donc normal que je vous rappelle à l'ordre.


Y-a-t-il des magistrats acquis dans la justice burkinabè ? A qui ou à quoi sont-ils acquis?

Vous faites bien de poser la question. Ils sont acquis à qui ou à quoi ? En réalité ce terme a été forgé par votre confrère "L'Evènement". A l'époque, lors de la discussion à bâtons rompus que nous avons eue, j'avais dit effectivement que moi, en tant que ministre de la Justice, si je dois nommer des gens, je choisirai ceux qui sont compétents pour occuper des postes de responsabilité. Mieux, je prendrai des gens avec qui je peux échanger. J'ignore d'où est sorti le terme "acquis". Au niveau de la magistrature, c'est que c'est moi qui nomme les magistrats fonctionnaires qui travaillent au ministère de la Justice. Sinon, en réalité, les magistrats sont nommés par le Conseil supérieur de la magistrature, certains sur proposition du ministre de la Justice. Tous les corps sont représentés au Conseil supérieur de la magistrature y compris les syndicats. Ce n'est vraiment pas possible. Donc, il n'y a pas de magistrats acquis ni de magistrats non acquis. Il n'y a que des magistrats qui font leur travail correctement avec discernement et en toute responsabilité. Et c'est ce que nous souhaitons.

Que des magistrats descendent dans la rue, pour marcher, cela ne traduit-il pas un malaise au sein de la magistrature ? Selon certaines informations, il est dit par exemple que pour bénéficier d'un stage de formation ou être nommé à un poste de responsabilité, il faut être d'un certain bord syndical.

Il faut comptabiliser déjà les militants du SBM qui sont chefs de juridiction. Ils sont partout. Nous ne nommons pas les gens en fonction de leur appartenance syndicale, mais plutôt en fonction de leur compétence. D'ailleurs, sur ce point précis des revendications, sur près de 350 magistrats, sans compter ceux qui sont à l'ENAM, il n'y a eu que 35 qui ont voulu marcher. Parmi ces 35, il y a du reste des chefs de juridiction. Même leur secrétaire général (NDLR, René Bagoro) a été proposé comme président du Tribunal administratif de Bobo Dioulasso il y a deux ans. Mais il a refusé d'y aller. Nous ne nommons pas les gens en fonction de quoi que ce soit.

Où en êtes-vous avec la plate-forme revendicative de ce syndicat ?

Je n'ai pas vu la plate-forme, puisqu'ils ne me l'ont pas remise. Dans la tradition, on la transmet, soit en venant soi même directement au cabinet, soit par courrier. Cette fois-ci, ils ont voulu marcher pour remettre la plate-forme à l'attention du président du Faso, président du Conseil supérieur de la magistrature, et comme la marche n'a eu lieu, je ne l'ai pas encore eue. Donc, je n'en connais pas le contenu.

Le dialogue est-il rompu avec ce syndicat ?

Non pas du tout. Je suis tout à fait disponible. S'il y a une demande d'audience, je suis prêt à les recevoir. Du reste, j'ai eu à le signifier à certaines bonnes volontés qui avaient intercédé comme médiateurs.


Vous avez pu empêcher les magistrats de marcher. Cependant, les gardes de sécurité pénitentiaire (GSP) ont manifesté, jusqu'à deux reprises. Est-ce que, quelque part, il n'y a pas du "deux poids, deux mesures" ?


Non. De toute façon, les préoccupations ne sont pas les mêmes. Le premier mouvement d'humeur des GSP était dû à leurs conditions difficiles de travail au niveau des maisons d'arrêt et de correction. Et c'est lié aux événements qui ont eu lieu en fin d'année, notamment après l'incursion des militaires à la MACO. Les GSP par impatience, ont voulu manifester pour faire comprendre qu'il fallait prendre à bras-le-corps leurs préoccupations. Du reste, ces préoccupations avaient déjà été prises en compte par le ministère de la Justice et par le gouvernement tout entier.

Pour le deuxième mouvement d'humeur, nous avons été surpris puisque le dossier était déjà programmé pour le Conseil des ministres. Il n'y a donc aucune volonté de tergiverser en ce qui nous concerne. Il ne faut donc pas rompre le dialogue. Il faut d'abord aller à l'information avant de poser tout acte. La deuxième fois, les GSP ne sont pas allés à l'information. Comme je l'ai dit, le dossier était programmé mais le Conseil des ministres ne s'étant pas tenu à cause des législatives 2007, il est évident qu'il ne pouvait pas passer. Nous ne pouvons pas être contre les avantages de ce corps puisque c'est nous même qui avons été à l'origine de sa création, de la prise en compte des GSP comme un corps paramilitaire, de la mise en place de la médaille d'honneur militaire, de la formation des GSP au GIEFA et au Centre commando de Pô, etc. Je pense qu'au premier Conseil des ministres le dossier passera.

N'est-ce pas un dysfonctionnement dans le système qui a poussé les GSP à manifester ?

Non, je ne crois pas. C'est seulement parce qu'ils ne sont pas venus à l'information. Cette manifestation, à mon sens, entre dans le cadre général d'une contestation de l'autorité de l'Etat qui ne dit pas son nom et qui est préjudiciable à tout le peuple burkinabè. C'est cela la réalité. Et il faut que nous puissions tirer la sonnette d'alarme afin que l'autorité de l'Etat puisse s'affirmer en toute chose.

Les GSP ont aussi trouvé que la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou est surpeuplée et insalubre. Qu'est-ce qui est fait pour remédier à cette situation ?

Nous avons fait le constat depuis longtemps bien avant eux. Chaque semaine, j'ai dans mon parapheur la situation de toutes les prisons du Burkina afin de trouver une solution à la surpopulation carcérale. D'ailleurs, en attendant l'érection de nouvelles maisons d'arrêt à Ouaga et à Bobo, nos pourparlers avec le ministère des Finances ont déjà amené ce département à donner son accord pour la construction d'un autre bâtiment annexe pour abriter les détenus de ces deux villes. Pour le reste des provinces, je pense qu'avec la construction et la réfection des palais de Justice et des maisons d'arrêt et de correction le problème sera résolu à ce niveau.


De plus en plus les populations ont tendance à se rendre justice elles-mêmes. L'illustration en a encore été donnée à la mi-mars à travers ce qu'on a appelé l'affaire des Kundé. Il y a aussi des cas plus ou moins isolés. N'avez-vous pas échoué, quelque part, dans votre mission d'établir et de maintenir la confiance entre la Justice et les justiciables ?


Je pense que c'est la Justice d'une manière générale qui est interpellée. La réalité est que les Burkinabè ont confiance en la Justice, même ceux qui la dénoncent. Malheureusement, la Justice est vue à travers un ou deux dossiers à partie desquels elle est jugée. Tout est bâti autour de cela pour dire qu'il y a l'impunité, qu'il n'y a pas de justice, etc. Pourtant, la Justice fonctionne tous les jours. Prenez par exemple le Tribunal de grande instance de Ouagadougou. Tous les jours, il y a une audience correctionnelle. Je ne pense pas qu'il y ait un échec quelque part. Dans tous les pays du monde, il y a des exceptions de ce genre où la justice privée s'exprime, mais il faut que la justice d'Etat puisse s'imposer. C'est ce à quoi nous nous attelons. Donc, ne diabolisons pas chaque fois la Justice. Essayons de l'aider dans sa tâche très difficile.

Au cours de la campagne électorale, un candidat a dit qu'il y a au Burkina une justice des pauvres et une justice des riches.

La Justice c'est la justice. Personnellement je ne connais que la Justice, mais chacun a sa manière d'apprécier. Aujourd'hui, la Justice est devenue pratiquement le tam-tam sur lequel chacun tape à son réveil le matin. Mais en même temps, quand il y a des problèmes, les gens ont recours à la Justice. Tous les problèmes sont réglés en Justice.

N'empêche qu'on entend souvent dire que pour avoir raison au niveau de la Justice il faut avoir les bras longs !

Une fois que vous êtes contraint d'aller en Justice, il faut avoir confiance en elle. L'essentiel c'est que la justice soit dite de manière impartiale. Mais ne diabolisons pas les juges.

Il y a toujours ces dossiers qu'on qualifie de dossiers pendants qui ont fait le tour du monde et qui font du Burkina un pays où l'impunité règne. Où en êtes-vous avec ces dossiers pendants ?

C'est ce que je vous disais tantôt. La Justice est jugée à travers ces dossiers, Norbert Zongo et Thomas Sankara, notamment. Mais on ne peut pas juger toute une institution à travers deux dossiers seulement alors que tout le reste du système fonctionne normalement. e sont des décisions judiciaires qui ont été rendues, dans le dossier Norbert Zongo précisément sur lequel le juge d'instruction a travaillé durant un certain nombre d'années en prenant en compte le rapport de la Commissions d'enquête indépendante et dont un des ténors (NDLR, Robert Ménard de RSF) a même dit, par la suite, que c'est un rapport édulcoré. Le non-lieu prononcé par le juge d'instruction est une décision judiciaire. S'il y a des éléments nouveaux sérieux qui puissent faire bouger le dossier et amener le procureur du Faso à demander sa réouverture, on a encore la possibilité de le faire, le dossier n'étant pas bouclé. Pour le dossier Thomas Sankara, une décision judiciaire a été rendue. La veuve de Thomas Sankara et ses ayant droits ont attrait l'Etat burkinabè devant la Commission des droits de l'Homme des Nations unies. La procédure se trouve actuellement à ce niveau.

Pour ces dossiers pendants et compte tenu des suspects qui sont impliqués, il est difficile pour un magistrat qui veut bien faire son travail d'aller jusqu'au bout. N'est-ce pas l'opportunité pour la Justice de pas se surpasser pour prouver toute son indépendance ? En d'autres termes, la Justice a-t-elle les mains libres dans ces différentes affaires ?

La Justice a les mains libres. Que souhaiteriez-vous ? Que l'on dise peut-être que les suspects sérieux sont coupables ? La Justice a rendu une décision responsable qu'elle assume. Je reviens à ce que je dénonçais tout de suite, c'est-à-dire le fait de penser qu'à partir du moment où il n'y a pas eu de procès la Justice a été manipulée, est sous pression, etc. Si vous voulez seulement entendre un seul son de cloche, ce n'est pas la justice que vous cherchez en ce moment. Des gens souhaitent qu'on puisse confirmer que Marcel Kafando, le fameux suspect sérieux, est coupable alors que ceux-là mêmes qui ont forgé cette notion ont dit après que leur rapport a été édulcoré. Que voulez-vous que l'on fasse dans la mesure où le juge d'instruction a fait des investigations ? A quel moment quelqu'un a-t-il mis la pression sur le juge d'instruction ? Ce dernier assume sa responsabilité dans cette affaire (NDLR : Norbert Zongo). C'est lui qui est seul responsable en rendant cette décision de non-lieu qui a d'ailleurs fait l'objet d'appel avec confirmation à ce niveau. Je pense qu'il faut que nous sachons raison garder dans cette affaire. Le non-lieu est une décision judiciaire qui a été rendue et il faut que l'on puisse la respecter. Si, entre-temps, il y a des éléments nouveaux qui apparaissent, il est évident que le dossier ne peut pas ne pas être réouvert. Mais au stade actuel, et dans la mesure où le juge d'instruction a clôturé son dossier, nous sommes obligés d'attendre que des faits nouveaux soient apportés, dans un délai maximum de 10 ans avant de pouvoir faire quoi que ce soit.


Par rapport aux faits nouveaux, vous semblez dire une chose et son contraire puisqu'il y a eu deux témoignages après le non-lieu. Le dossier n'a pourtant pas évolué...

Je suis constant dans tout ce que je dis. C'est vous qui considérez que ce sont des éléments nouveaux. Le procureur du Faso n'en dit pas autant et c'est lui qui a la possibilité de faire actionner le dossier. La première déclaration est issue d'une enquête journalistique qui ne résiste vraiment pas à l'analyse. En réalité, la déclaration est basée seulement sur le fait que François Compaoré aurait souhaité que la famille de la victime (NDLR, David Ouédraogo) n'aille pas en justice. Malgré tout le dossier est allé en Justice et a même été jugé. En quoi est-ce que c'est nouveau ?

De quels genres d'éléments nouveaux la Justice a-t-elle besoin ?

Un crime de cette nature peut se révéler demain. Par exemple, il faut avoir quelqu'un qui a assisté à la commission de l'infraction. C'est un exemple parmi tant d'autres.

Il y en a qui n'hésitent pas à affirmer que tant que le pouvoir de la IVe république sera en place le dossier Norbert Zongo ne pourra jamais être jugé. Vous, en tant que ministre de la Justice, qu'elle est votre réaction quand vous entendez pareille déclaration ?


Je crois que ceux qui affirment cela sont responsables de ce qu'ils disent. Pour moi, aucun dossier n'est tabou dans la IVe république. C'est de la polémique politicienne dans laquelle je ne veux pas entrer.

Quels sont les motifs de la réforme de la Justice en cours ?

Cette réforme est née d'un forum qui a été organisé en 1998 et qui a regroupé plus de 500 personnes. Il est ressorti des recommandations qu'il fallait mener un certain nombre de réformes pour donner à la Justice plus de crédibilité, plus d'allant pour être encore plus proche des justiciables et surtout refléter les attentes du peuple burkinabè. Ce serait illusoire d'affirmer tout de go que la Justice se porte très bien. D'ailleurs, quand on la possibilité d'améliorer, il faut le faire. Et quand on est sévère vis-à-vis de soi-même c'est une bonne chose. Et je crois que le forum a été vraiment sévère vis-à-vis de la Justice en faisant ressortir tous les différents maux dont elle souffre, en vue de leur solutionnement.

A mi-chemin, quels sont les impacts de cette réforme ?

Les recommandations ont amené le gouvernement à instaurer un plan d'actions pour essayer de voir dans quelle mesure donner à la Justice les moyens de pouvoir fonctionner. En amont, nous avons essayé de prendre en compte la police judiciaire et de voir comment lui donner les différents moyens nécessaires pour son fonctionnement. Par la suite, nous avons essayé de voir l'organisation de la Justice elle-même. C'est ainsi que nous nous sommes rendu compte que les palais de justice n'étaient pas adaptés; ce sont des palais construits à l'époque coloniale. Nous avons également essayé d'étendre la Justice à toutes les provinces car à l'époque nous avions 10 ou 11 palais de justice. Aujourd'hui, nous en avons 24. Chaque province doit donc avoir son palais de justice et sa maison d'arrêt et de correction. Nous mettons également l'accent sur la formation et le recrutement des magistrats parce que nous avons fait le constat qu'à l'époque il n'y avait qu'un magistrat pour pratiquement 70 000 habitants. La couverture nationale était donc très faible, le ratio international n'était pas respecté. Alors, nous avons essayé de recruter des magistrats, des greffiers en chef, des greffiers et des secrétaires de greffe et parquet, et mettre l'accent sur la formation continue de tout le personnel. Au même moment, nous avons formé des auxiliaires de justice, des avocats, des notaires, des huissiers et même certains acteurs de la société civile. Il y a eu aussi l'éclatement de la Cour suprême. Aujourd'hui, on peut dire que cette réforme a vraiment porté parce qu'au niveau des hautes juridictions issues de l'éclatement de la Cour suprême, le travail se fait correctement. A mi-chemin donc, pour un plan d'un coût de 22 milliards de nos francs et pour lequel nous avons pu mobiliser des ressources à hauteur de 23 milliards financés par l'Etat et les partenaires au développement tels que l'Union européenne, le Danemark, les Pays-Bas, la France, la Banque mondiale, nous sommes arrivés à des résultats tout à fait satisfaisants qui ont amené à réécrire un autre plan de consolidation. Au cours de l'exécution de ce plan, nous avons aussi vu la part de la Justice dans le budget de l'Etat augmenter. Quand j'arrivais à la tête du département nous étions à 0,47 % ; aujourd'hui nous sommes pratiquement à 2 % du budget de l'Etat. A travers la mise en oeuvre du nouveau plan de consolidation, nous allons essayer de prendre en compte les tribunaux départementaux et les tribunaux d'arrondissement qui constituent la Justice de proximité. Nous allons également adapter le Code de procédure pénale à l'évolution de notre temps.

La réforme a-t-elle pris en compte la lutte contre la corruption ?

Le volet corruption ne constitue pas un volet en tant que tel dans le plan de réforme du ministère de la Justice. En réalité, nous luttons contre la corruption tous les jours. Il faut aussi rendre à César ce qui est à César. Le Conseil supérieur de la magistrature a été le premier organe à réclamer un audit sur la corruption dans la Justice et cela a été fait. Nous avons du reste estimé qu'il y avait effectivement la corruption dans la Justice. A l'issue de l'audit, le Conseil a recommandé un code déontologique et ce code est pratiquement prêt. Mais en réalité toute la Justice n'est pas corrompue. Il y a plus de 98% de magistrats qui ne sont pas corrompus. Cependant, pour ceux qui sont corrompus, qui ont commis des fautes, le Conseil supérieur de la magistrature en connaît des dossiers.

Il y en a qui disent que la Justice n'est pas indépendante. D'autres vont plus loin en disant qu'il ne devrait même avoir un ministère de la Justice. La réforme traite-t-elle également de l'indépendance de l'institution ?

L'indépendance est même l'objet de revendication de la part de certains syndicats. Mais on ne peut pas s'engager dans un tel débat émanant d'une vision manichéenne des choses. L'indépendance de la Justice a été affirmée partout tant dans la Constitution que dans les différentes lois et personne n'ira demander à un juge pourquoi il a pris telle ou telle décision. La seule sanction pour le juge c'est quand le dossier va en appel et qu'il est désavoué au niveau de la Cour d'appel ou de la Cour de cassation. En tout cas, le juge est indépendant dans la connaissance d'un dossier. En guise de conclusion je voudrais dire que c'est vraiment de gaité de coeur que nous acceptons de parler avec les journalistes pour communiquer et donner notre vision de la Justice. Nous souhaitons également être bien compris par les populations burkinabè pour lesquelles nous travaillons. C'est vrai que les gens ont souvent peur de la Justice et c'est pourquoi nous estimons qu'il est bien que la Justice puisse aller vers les justiciables. C'est dans ce sens que nous organisons des journées portes ouvertes pour nous faire davantage comprendre. Nous demandons aussi que les gens fassent confiance à la Justice.

Propos recueillis par Morin YAMONGBE et Séni DABO

Le Pays du 16 mai 2007



16/05/2007
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