Lettre à Alain
Projecteur
Lettre à Alain
La dernière parution de l’écrivain congolais est un essai sous forme épistolaire, Lettre à Jimmy. Cette lettre à James Baldwin est un prétexte pour l’auteur d’asséner ses vérités sur la Condition du Noir, sur l’Afrique contemporaine et l’immigration. On y découvre une pensée qui réchauffe les poncifs véhiculés par l’élite européenne sur l’Afrique et les Africains. Le romancier de talent en se faisant essayiste semble s’être totalement fourvoyé.
Alain Mabanckou est un auteur adorable. Un grand frère rêvé et un gendre idéal. Son parcours est une success story digne du rêve américain. C’est un enfant unique dans une Afrique où les fratries sont si nombreuses que l’on croit que les Africains se reproduisent par scissiparité. Il est élevé par une brave mère dans une Afrique où la femme est mutilée, battue et traitée en bête de somme. Il fera des études de droit pour faire plaisir à Maman Eh ! oui ! Des enfants sages, ça existe en Afrique aussi !). Et la carrière littéraire avec le Renaudot pour son roman «Mémoire de porc-épic». Et la carrière de prof de littérature à UCLA à Los Angeles. Et la grande villa qu’il habite à Los angeles, sa propriété, dont l’ex-proprio, un yankee WASP, est devenu SDF. Vous direz que c’est un conte de fée. Un scénario d’Hollywood. Et alors. «Entre la vérité et la légende, imprimez la légende», recommandait le vieux James Stewart à un journaliste dans le film de John Ford, «L’homme qui tua Liberty Valence».
Alain Mabanckou est devenu un grand nègre aux yeux rieurs et aux dents blanches et…longues. Il a compris que le talent ne suffit pas pour imposer un écrivain. Un livre est un produit qu’il faut vendre et l’écrivain est une marque qu’il faut promouvoir. Comme nous sommes dans la société de l’image prophétisée par MacLuhan, il faut être visible et audible. Donc il faut écumer les télés, hanter les radios et faire parfois l’animateur, écrire quelques papiers dans des journaux à gros tirage, adhérer aux associations d’écrivains et faire partie de jurys de prix littéraires. Devenir une pieuvre et étendre ses tentacules partout pour occuper «une position de pouvoir» comme le recommande son ami Frederic Beigbeder, ancien publicitaire devenu auteur à succès. Etre un écrivain people avec strass et paillettes.
N’allez surtout pas croire que les œuvres de Mabanckou sont de l’étron emballé dans la soie. C’est sans conteste un bon écrivain. Un grand conteur. Avec un humour rare. C’est «Verre cassé» qui le révèle mieux que les autres romans. Une écriture à la ponctuation novatrice, une histoire plaisante narrée par un pilier de bar, et beaucoup de poésie dans la prose de Manbanckou. Une musique cristalline que donne deux verres qui s’entrechoquent, la saveur et la fraîcheur de bière dégoulinante, et une ivresse très dionysiaque traversent cette œuvre. Mabanckou fait des bulles de poésie avec des verres de houblon comme Baudelaire faisait de l’or avec de la boue. Même s’il n’a pas le souffle d’un Sony Labou Tansi, ni l’inventivité langagière d’un Couao N’Zotti ou la poéticité d’un Abderahmane Wabéri, ses œuvres sont vendues dans les Monoprix à côté des rayons «Parfumerie» ou «Confisérie», à portée du caddy de la ménagère. Preuve que c’est un artiste qui marche !
Ce n’est pas le genre d’un écrivain engagé qui prend la parole quand la banlieue s’embrase ou quand les HLM délabrés deviennent des fours crématoires à transformer les familles émigrées en méchoui ou en torches humaines. Ni quand le gnome de Neuilly veut attaquer les émigrés au Karcher ou faire parler leur ADN. Mais on ne peut demander à un prince de la SAPE (société des ambianceurs et des personnes élégantes) de se mêler à la cohue malodorante (rappelez-vous que Chirac l’Africain se plaignit des odeurs) et de hurler dans les manifs comme un charretier. La harangue sur un tonneau à la Sartre ne l’intéresse pas. On ne peut lui reprocher d’avoir de la tenue tout de même.
Et voilà que notre dandy des lettres se découvre sur le tard une fibre de combattant. Ici et là, il glisse adroitement quelques mots qui disent sa volonté d’être un porte-parole : «La fierté de notre solidarité des «damnés de la Terre» venus au monde dire la parole tue, rappeler à l’oppresseur que tant que les scènes de chasse auront le même dénouement : la victoire du chasseur, bien sûr, et la vérité, elle, nous tournera le dos». Il se réclame de Césaire, de Franz Fanon…Chacun fait un jour son chemin de Damas, se dit-on. Mabanckou était écrivain sybarite, il devient intellectuel, cette appellation contrôlée qui désigne tout travailleur de l’esprit qui choisit le camp du faible contre le fort, qui se trouve du coté de celui qui brandit le poing nu face au pandore casqué et ganté qui casse du «marcheur». L’intellectuel est si rare en Afrique que l’on ne peut que sauter de joie lorsque qu’une célébrité de l’envergure de Mabanckou s’affiche tel. Ici, avocats, journalistes, médecins, universitaires, tous se battent comme des chiffonniers pour être l’animal de compagnie du Prince.
Revenons à notre sujet. C’est pourquoi la parution de l’essai «Lettre à Jimmy» était très attendu. On sait toutefois qu’un essai sur un écrivain de l’envergure de Baldwin, deux décennies après sa disparition, attire l’attention des media et permet une entrée royale sur le marché américain. L’ami Beigbeder n’a-t-il pas frappé un grand coup pour avoir été le premier romancier à écrire sur le 11-Septembre ? Son «Window in the world» reçut le Foreign fiction award 2005. Un bon timing et un sujet bien choisi sont gage de succès. C’est de bonne guerre. Une bonne stratégie commerciale n’enlève rien à la qualité d’une œuvre. Un tel essai qui articule une réflexion autour des relations entre africains noirs et africains américains et communauté africaine de l’immigration en France mérite l’attention. Pourtant à la lecture, le poil de l’Africain que je suis se hérisse. A lire cet extrait : «C’est aux anciens colonisés d’Afrique noire que tu aurais parlé en particulier, cher Jimmy. Parce que ce sont les seuls qui, depuis les «soleils des indépendances», depuis le refrain de la chanson du grand Kallé/ indépendances cha cha/ sont restés sur les quais des gares, bernés, leurrés, regardant circuler des trains fantômes, criant à la malédiction de Cham. Comment ne succomberaient-ils pas au refrain de la «concurrence victimaire» ? C’est à eux que tu t’adresserais (…) Non pas pour les «flageller», mais pour leur dire que l’attitude de l’éternelle victime ne pourra plus longtemps les absoudre de leur mollesse, de leur tergiversation. Non pour les houspiller, mais pour leur dire que leur condition actuelle découle de près ou de loin de leurs propres chimères, de leurs propres égarements et de leur lecture unilatérale de l’Histoire». C’est à se demander si Mabanckou n’est pas le nègre de Henri Guaino, le rédacteur du Discours de Dakar. Il y a une telle parenté entre ces lignes et les propos de Sarkozy sur les Africains qui «ne sont pas entrés dans l’histoire», sur ces Africains qui se complaisent dans la «victimisation» ou dans un «âge d’or qui ne reviendra pas parce qu’il n’a jamais existé». Après les muscles de Basile Boly, la voix de Doc Gynéco, Sarkozy a-t-il réussi à vampiriser la cervelle de Mabanckou ? Pourquoi celui qui clamait il y a peu que «le poète tempère les ailes de la renommée, se contente de la richesse du vers et de l’oiseau qui chante le matin devant sa demeure» se fait l’écho des élucubrations du chef de l’UMP ? Pour bénéficier des faveurs du Prince dont les amis détiennent toute la presse et l’édition ? Faire allégeance à Sarkozy en répétant à l’envi ses niaiseries sur l’Afrique est une posture intellectuelle intenable. Il est évident que l’on ne se débarrasse pas de sa peau ni de son passé comme de sa première dent de lait. Ba’al Shem-Tov disait avec raison que «La mémoire est la source de la libération, et l’oubli est la racine de l’exil». Même sur le plan physique, cette posture est difficile d’ailleurs. Par quelles contorsions et acrobaties un géant de la taille de Mabanckou peut se plier pour manger dans la main du petit Nicolas ? A moins de se mettre à genoux ou de se coucher. La génuflexion froisse le pli du pantalon Haute couture et la reptation salit le costard ! L’élégance «so Britich» de l’écrivain en pâtirait.
Peut-être que le romancier s’est affronté à un genre, l’essai, dont il n’a pas mesuré les exigences. Tout simplement. Si dans la fiction on se laisse conduire par les mots, dans l’essai, ce sont les idées qui sont les rênes du penseur. Ecrire que «les Noirs de France n’ont pas connu la même expérience de migration» que ceux d’Amérique, c’est user d’un euphémisme mal à propos. Des millions d’hommes arrachés à leur sol, déportés et réduits en esclavage, ça ne se compare pas à l’émigration clandestine ou «choisie» de France ! On pense que la séduction du mot l’a emporté sur la rigueur de la pensée.
Cette passion de la musicalité du mot fait que l’on trouve dans «Lettre à Jimmy» de bonnes feuilles suintant de poésie. Celles sur la littérature et sur le SDF blanc. On retrouve la belle langue bien travaillée à laquelle nous avait habitué le poète-romancier. Comme quoi, Mabanckou demeure un grand romancier mais pas un brillant essayiste. Barthes jugeant une pièce de théâtre fait remarquer qu’«une belle peau sur un beau creux, cela ne fait en fin de compte qu’un bon tambour…ça résonne, ça fait du bruit, c’est rythmé». On peut en dire autant de Lettre à Jimmy. J’ajoute que ce tambour ne fera pas danser beaucoup d’Africains. Si je devais écrire une «Lettre à Alain», je lui dirais une seule phrase : «Retourne à ce que tu sais le mieux faire : écrire des beaux romans».
Barry Alceny Saidou
L'Observateur Paalga du 18 octobre 2007
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