L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Mai 68 - Mai 2008 : Un ancien pensionnaire de Dakar-Fan se souvient

Mai 68 - Mai 2008

Un ancien pensionnaire de Dakar-Fan se souvient

 

Der Augustin Somda, cadre de banque à la retraite, a notamment été Directeur général de la BICIA-B et de BFCI-B (aujourd'hui SGBB) dans les années 1980-90. Mais dans une vie antérieure, notamment estudiantine, il fut témoin, sinon acteur du mouvement de mai 68 à Dakar au Sénégal. Dans cet entretien, il nous livre ce qu'il retient de saillant de ce mouvement, qualifié de planétaire.

 

Dans les pays du Nord...

 

• J'ai vécu les événements de mai 68 à la Cité universitaire de Dakar-Fan dans l'espace sénégalais, et à l'extérieur avec moins de prise directe sur l'actualité au jour le jour, en raison des moyens de communication limités de l'époque. C'est bien plus tard, à la rentrée d'octobre 68, que nous avons pris la mesure de la révolte des étudiants français.

Après tout ce qui a été écrit et dit à l'occasion du quarantième anniversaire de mai 68, que puis -je ajouter qui ne soit déjà connu. En rappel, l'Université de Dakar a connu une période de repli syndical, consécutive à la dissolution de l'Union générale des étudiants d'Afrique occidentale (UGEAO). La reprise des activités syndicales s'est effectuée après la chute du président Kwamé-N'Krumah du Ghana le 24 février 1966. En effet, compte tenu de l'engagement personnel du président ghanéen, figure emblématique sur le front de la lutte anti-impérialiste, le coup d'Etat perpétré à Accra contre lui, alors qu'il était en route pour Hanoï n'a été possible qu'avec le soutien voire l'inspiration des pays capitalistes. Sur l'initiative des anciens responsables de l'UGEAO, nous avons ainsi organisé le 28 février 1966 une marche de protestation sur les ambassades de Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de France, marche brisée par les forces de l'ordre avant l'atteinte de nos objectifs.

En guise de sanction, cinq de nos camarades (trois Dahoméens et deux Voltaïques en l'occurrence Adama Touré et Issa Tiendrébéogo), taxés de meneurs, ont été déclarés persona non grata, et expulsés du Sénégal et des camarades sénégalais étaient interdits de séjour dans la Cité universitaire.

Les étudiants, à travers leurs associations nationales, ont alors pris leurs responsabilités en boycottant les cours, les non-Sénégalais rejoignant leur pays par leurs propres moyens, pour exiger la réintégration de nos camarades expulsés ; ce qui fut fait au terme de tractations avec les différents gouvernements impliqués, et après plus d'un mois de suspension des cours.

A la rentrée universitaire 1966/67, dans la mouvance du réveil syndical, était créée et reconnue par le gouvernement sénégalais, l'Union des étudiants de Dakar (UED), structure syndicale de lutte, de formation, de conscientisation de la jeunesse africaine aux responsabilités qu'elle est appelée à assumer. Structurée en sections ou corporations des facultés, en collaboration étroite avec les associations nationales, l'UED était le fer de lance de l'activité syndicale sur le campus universitaire.

Si l'animation syndicale était assurée à travers les corporations et les commissions, l'activité a été marquée pour la seconde année par des conférences-débats, ouvertes au public. Parmi les thèmes traités, je retiendrai les suivants :

- la lutte de libération des colonies portugaises d'Afrique ;

- l'exemple de la Guinée : la lutte doit-elle se mener sur le terrain ou en dehors compte tenu de la nature du régime de Sékou Touré ?

- La conférence de la CNUCED (quel enjeu pour l'Afrique ? des APE avant ta lettre ?)

C'est dans ce contexte, particulièrement favorable de grande mobilisation, que s'inscrivent les événements de mai 68 à Dakar.

Tout est parti d'une grève des étudiants sénégalais, regroupés au sein de leur association, l'Union démocratique des étudiants sénégalais (UDES). En réaction à la décision du gouvernement de fractionner les bourses d'études en demie, trois quarts et bourse entière, et de supprimer là bourse de vacances, l'UDES, après une grève d'avertissement sans succès, a lancé un mot d'ordre de grève illimitée le 27 mai avec boycottage des examens de fin d'année, et l'UED, ne pouvant pas rester indifférente, réunissait le 28 mai une assemblée générale, qui décida par acclamations de soutenir la grève de l'UDES.

Dès les premières heures du mercredi 29 mai, nous avons investi les facultés et le rectorat par un sit-in bruyant, bloquant le fonctionnement de l'Université. Avec enthousiasme et dans la détermination (et aussi la naïveté), les camarades de la Faculté des sciences préparaient la riposte en tentant de fabriquer des cocktails molotovs.

Au milieu de la matinée, lorsque les forces de répression ont donné l'assaut, ceux qui ont pu rejoindre en groupes les chambres en ont été délogés sous la menace de grenades lacrymogènes. L'opération a été menée sans ménagement, avec fermeté, dans l'objectif d'enrayer la capacité de nuisance et de contagion, puisque le mouvement de grève était largement suivi par les élèves des établissements secondaires de Dakar. Nous avions ensuite été embarqués et conduits dans des camps militaires (Archinard, Mangin) et au Commissariat central de police de Dakar.

Dès le lendemain, des vols spéciaux (Air Mauritanie pour le premier contingent voltaïque et nigérien le 30 mai) assureront en quelques jours le rapatriement des étudiants dans leurs pays d'origine à la suite de la fermeture de l'université de Dakar.

Avec le recul et contrairement à ce que les autorités sénégalaises ont laissé entendre, notre mouvement n'était pas téléguidé par quelques puissances extérieures en vue de renverser les pouvoirs en place en Afrique ; il ne singeait pas les étudiants européens, dont la révolte avait des fondements internes, qui par la suite, ont été largement expliqués. Nous n'avions même pas envisagé la fermeture de l'université et notre seul objectif était la satisfaction des revendications syndicales de nos camarades sénégalais.

Mon appréciation après 40 ans, c'est que le mouvement de grève a été déclenché dans un contexte de grande mobilisation, de sens de nos responsabilités historiques et de notre solidarité active, sans calcul politique ni idéologique.

 

...Vous restent-ils encore d'autres souvenirs ?

 

• Du fait que nous étions à la veille des examens de fin d'année, l'inquiétude d'une année blanche a pu planer sur nous, mais la crise a été gérée avec responsabilité par ses différents protagonistes. Avec un effectif de 110 étudiants voltaïques à Dakar, nous étions de loin les plus nombreux devant ceux de la France et de la Côte d'Ivoire et l'impératif de la formation des cadres s'imposait aux responsables politiques. C'est ainsi que les examens de fin d'année ont été organisés en septembre 68 simultanément dans les différentes capitales des pays abritant des étudiants dakarois. Le redéploiement des étudiants à la rentrée d'octobre 68 n'a guère contrarié le déroulement de nos études. Je retiens que ce redéploiement a cependant brisé l'élan de mobilisation, de formation politique et syndicale, assuré dans le cadre le l'UEO et des associations nationales à Dakar.

 

... Allons-nous vers un autre Mai-68, fût-il à l'échelle réduite ?

 

• En mai 68, nous assistions à des conflits localisés : guerre du Vietnam, luttes de libération des colonies portugaises d'Afrique et des colonies de peuplement britanniques en Afrique (Rhodésie du Nord et Rhodésie du Sud, aujourd'hui Zambie et Zimbabwe) sous la houlette de la ZAPU et de la ZANU. Et en dehors de quelques experts, personne n'a vu venir le mouvement de Mai-68, qualifié de planétaire quoique, de mon point de vue, de pure coïncidence pour ce qui concerne la grève du campus de Dakar et la révolte des étudiants français.

Le contexte aujourd'hui est bien différent : médiatisation, mondialisation, globalisation... autant de mots qui rendent compte de l'interpénétration des économies et aussi des bouleversements qui affectent ces dernières années la vie quotidienne des citoyens, flambée du prix du pétrole, chute du dollar, naguère monnaie de référence, crise alimentaire... Je ne peux pas me risquer à des pronostics dans une situation d'instabilité permanente d'autant que je ne suis pas un observateur averti de ces évolutions.

 

Ces mouvements sur le campus étaient-ils soutenus par des idéologues ?

 

• Je n'ai pas perçu les mouvements de mai 68 à Dakar comme étant inspirés, portés ou soutenus par des idéologues. Des personnalités marquantes, comme Cohn-Bendit en France, n'ont pas émergé de nos rangs durant les événements. Nous étions, il est vrai, en pleine guerre froide, et les militants des groupuscules politiques clandestins étaient souvent aussi des responsables syndicaux : la conclusion est vite tirée que nous étions manipulés par des idéologues. Mais autant la chute du président ghanéen constituait un enjeu capital pour des étudiants africains en quête d'une réelle indépendance politique débarrassée des relents néocolonialistes, autant la revendication des camarades sénégalais était strictement corporatiste. Et le soutien, sans réserve, des étudiants regroupés au sein de l'UED et des associations nationales d'étudiants doit être compris dans ce cadre.

Enfin je voudrais joindre ma modeste voix au concert de témoignages, tous aussi élogieux que sincères à l'occasion du jubilé de... de notre journal l'Observateur paalga. Félicitations à Edouard Ouédroago et à son équipe. Bon vent au doyen de la presse privée.

 

Interview réalisé par

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana

L’Observateur Paalga du 29 mai 2008



28/05/2008
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