Niger : Motion de censure ou baroud d'honneur ?
Niger
Motion de censure ou baroud d'honneur ?
Le Niger revient de loin.
Jadis quelque peu timoré démocratiquement parlant, doucement mais résolument, ce pays qui était aussi abonné aux coups de force est en train de s'insérer dans le concert des pays "fréquentables".
La démocratie est en marche dans ce pays. Vous en voulez des preuves ?
En voilà :
1 - deux ministres croupissent depuis quelque temps en prison pour malversations ;
2 - une motion de censure plane présentement sur la tête du chef du gouvernement ;
3 - deux journalistes, au lieu qu'on les expédie ad pâtres, sont traduits devant les tribunaux pour diffamation.
C'est peut-être insignifiant pour certains, mais pour bien d'observateurs de la scène politique africaine, c'est vraiment la preuve que ce pays est sur la voie de la démocratisation et du respect des droits de l'homme.
Dans certains de nos pays de l'Afrique cotonnière, les deux responsables du journal "Le Républicain", Mamane Abou et Oumarou Kéita, n'auraient même pas eu le loisir de se présenter devant un tribunal pour se défendre parce qu'ils auraient déjà été envoyés dans l'au-delà.
Et de tels cas, nous en avons à la pelle.
Ainsi dit, ces deux journalistes, qui passent pour être des empêcheurs de gouverner en rond à Niamey, n'ont aucunement été brutalisés par les tenants du pouvoir, mais simplement traduits devant le tribunal de Niamey pour "diffusion de fausses nouvelles et diffamation envers l'Etat du Niger". Comme l'aurait fait tout Etat qui se dit démocratique.
Le plaignant n'est tout autre que le chef du gouvernement, Hama Amadou, pas du tout content de l'article du "Républicain" publié le 28 juillet 2006 et intitulé "Hama lâche l'Occident pour l'Iran". En clair l'article accusait le chef de l'Exécutif de courtiser les Iraniens au détriment des Occidentaux. Et "Le Républicain" d'aller loin en prophétisant que Hama Amadou fermerait les chancelleries occidentales et leurs projets et programmes au Niger.
Or il n'est pas besoin d'être politologue ou spécialiste du Niger pour se dire qu'à moins d'être mentalement dérangé, le chef de l'Exécutif du Niger est à mille lieues de prendre de telles initiatives pour le moins suicidaires. Et quand bien même il les prendrait, il serait proprement désavoué par sa base et l'opinion publique, car eux au moins n'ignorent pas où se trouve l'intérêt de leur pays. En attendant, il n'y avait pas de quoi fouetter un chat au point qu'il fallût envoyer ces deux belles plumes derrière les barreaux
Selon toute vraisemblance, la vraie raison de la colère noire d'Hama Amadou, qui l'a amené à traîner nos deux confrères devant les tribunaux, c'est la révélation par "Le Républicain" de cas de mauvaise gestion, de détournements de deniers publics, de malversations diverses, bref, de malgouvernance au Niger.
"Le Républicain" avait publié, preuves à l'appui, des cas avérés de détournements de fonds. Et presque la mort dans l'âme, le Président Mamadou Tandja s'était résolu à limoger deux ministres de son gouvernement, accusés de détournement.
Cette histoire des fonds MEBA du Niger nous rappelle à s'y méprendre l'affaire PEDDEB dans notre pays, qui, à l'époque, avait coûté au titulaire du MEBA, Rakiswilgri Mathieu Ouédraogo, son poste, mais sans qu'on sache exactement à ce jour les tenants et les aboutissants de cette affaire.
Si au Burkina, ce fut presque l'omerta, au Niger, Ary Ibrahim et Hamani Harouna, tous anciens ministres de l'Education de base, croupissent depuis en prison et attendent leur jugement. Tous deux répondront séparément d'entrave à l'égalité des candidats devant les marchés publics.
En sus de cela, Hamani Harouna est accusé du détournement de la somme de 1,200 milliard de francs CFA et de complicité de faux et usage de faux.
Bien revigoré par la tournure prise par le traitement de l'affaire MEBA (dévoilée par "Le Républicain" avec à la clé la mise en accusation de deux ministres), le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme a sorti de sa botte un autre dossier qui sent le soufre des malversations financières : il s'agit de celui d'un marché de 20 véhicules pick-up 4x4 d'une valeur de 507 750 000 FCFA, attribué de gré à gré à un opérateur économique.
C'est pour toutes ces affaires nauséabondes qu'une vingtaine de députés de l'opposition, sur les 113 que compte l'Assemblée nationale, a déposé une motion de censure contre le gouvernement.
Certes une motion de censure initiée par une vingtaine de députés sur 113 ne sera rien d'autre qu'une tempête dans un verre d'eau, mais au moins ces élus auront eu le mérite d'essayer, quitte à ne pas être suivis. Et c'est en cela que leur action est salutaire.
Osons poser aux spécialistes du droit cette question qui nous taraude l'esprit :
est-il, juridiquement, permis à l'Assemblée nationale du Niger de débattre de dossiers tels ceux du MEBA, qui sont encore pendants devant les tribunaux?
Pour le MNSD-Nassara, le parti au pouvoir à Niamey, les débats sur la motion de censure ne devraient pas avoir lieu sur l'affaire dite MEBA, car ce dossier est encore pendant devant la Haute Cour de justice.
Inutile de dire que cet argument a été battu en brèche par l'opposition parlementaire, qui invoque l'article 119 du règlement intérieur de l'Assemblée nationale du Niger.
Cet article en effet stipule que les débats d'une motion de censure, une fois entamés, ne doivent être interrompus.
Mais selon toute vraisemblance, à l'heure où nous traçons ces lignes, le débat sur la motion de censure a commencé, même s'il pourrait être vidé d'une bonne partie de son contenu.
Car, de plus en plus à Niamey, on pense que ce débat sur la motion de censure fera place à une interpellation du Premier ministre. Il disposera de 25 minutes pour répondre aux députés, qui, eux, auront 5 minutes pour s'exprimer sur le texte soumis à leur appréciation.
Tout compte fait et sauf erreur ou omission, c'est une première sous nos cieux que de voter une motion de censure contre un chef de gouvernement. Et on présume que Hama Amadou, qui souhaite se blanchir, prendra plus de temps que prévu pour expliquer et s'expliquer.
La charge qui pourrait peser lourd sur les épaules du chef de gouvernement, c'est le fait qu'au cours de leur audition, les deux ministres incriminés avaient dit en bonne et intelligible voix qu'ils recevaient des ordres du Premier ministre.
Alors Hama Amadou est-il aussi, à quelque niveau que ce soit, impliqué dans cette affaire ?
En tout cas en répondant aux enquêteurs qu'ils obéissaient aux ordres du Premier ministre, ils manifestent ainsi une certaine envie de ne pas se noyer seuls dans cet océan de détournement de fonds. Mais quelle que soit la situation, l'acte est très grave.
Un tel détournement relève du crime au Niger, qui revient de loin.
Peu importent les explications et gesticulations d'Hama Amadou, un point restera à jamais inscrit dans son parcours politique, qui était jusque-là "un sans- faute".
Il faut se réjouir de ce que l'opposition nigérienne joue à fond sa partition. Là le député est dans son rôle, et cette motion de censure aura eu le mérite de secouer le cocotier de la démocratie nigérienne.
Boureima Diallo
L’Observateur Paalga du 30 mai 2007
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