Un passeport de charme nommé Poupette
Carnet de route
Voyage à Korhogo
Un passeport de charme nommé Poupette
En me rendant pour la première fois à Korhogo pour être parmi les témoins privilégiés de la naissance d’une nouvelle manifestation cinématographique, c’est-à-dire le Festival international de films documentaires, publicitaires et industriels de ladite ville (Festiko), je nourrissais in petto des sentiments plus ou moins ambivalents.
Primo, je ne tenais pas à faire partie des grands absents de la présentation des vœux 2008 de L’Observateur qui, cette année, et pour la première fois, devait avoir lieu dans le village de Boulbi, loin de nos salles studieuses.
Secundo, l’une des motivations de mon déplacement, au-delà du Festiko, c’était aussi (surtout ?) la curiosité fort compréhensible d’un journaliste qui avait la ferme volonté de constater de visu la réalité d’une partie de
Cette histoire me trottait régulièrement dans la tête dans le car qui convoyait le mercredi 23 janvier 2008 la délégation burkinabè, composée de réalisateurs, de scénaristes, de comédiens et de journalistes au «Pays du bois sacré» des Sénoufo. Le voyage, que nous avons entamé de bonne heure sous le froid, s’était bien passé jusqu’à notre premier arrêt à Bobo pour reprendre des forces en vue de poursuivre notre chemin.
Après Bobo, la délégation ne s’arrêtera plus en cours de route si ce n’est Yiendéré, le dernier poste de police, pour accomplir certaines formalités. L’ambiance, jusque-là, était bon enfant et au poste de police, certains éléments des forces de sécurité avaient reconnu Josiane Ouédraogo dite Poupette de la série télévisée «Commissariat de Tampy», réalisée par Missa Hébié. L’un d’eux s’écrira : «Salut collègue». Des rires fusèrent de partout ; c’était alors la porte ouverte à des commentaires interminables.
Une fois les documents visés, le car repartit de plus belle en franchissant peu de temps après le pont de
Bienvenue en territoire rebelle
Certains rebelles commencèrent à rôder autour de notre autobus. Les yeux rougis et la mine patibulaire de l’un ne passèrent pas inaperçus. Des murmures se firent entendre au fond du véhicule, certains disant que ce monsieur devait être déréglé. Ouf ! Il s’éloigne. Des voix viennent couper court à ces messes basses des voyageurs. «Bonjour les frères, vous avez 50 FCFA pour moi… je veux acheter du thé», dit un agent des Forces nouvelles avec une grande politesse et flottant dans sa tenue, délavée, cousue et recousue à plusieurs niveaux.
Une petite quête commença pour soulager l’impécunieux rebelle, qui remercia à n’en pas finir ses généreux donateurs. Sur ces entrefaites, le chef de la délégation revînt avec un élément de la sécurité pour nous accompagner jusqu’à notre destination finale. C’était le soulagement et la joie se lisait sur les visages de tout le monde. Des supérieurs de ce dernier, venus aussi jusqu’à notre voiture, s’écrièrent tout joyeux : «Où est Souké et Siriki» ? après avoir jeté un regard furtif sur le groupe. C’est là qu’ils découvrirent la présence discrète de Poupette même si, avec sa forme, il n’est pas facile pour celle-ci de se faire… petite. Une voix de stentor alerta ses camarades : «On a un de nos collègues ici… la grosse policière qui joue dans la série…». Rapidement, un petit attroupement se forma pendant qu’on parlementait déjà avec la «fliquesse» du «Commissariat de Tampy». «Où est Oyou ? Et Chocho ?». Poupette répondit qu’elle a été chargée de les représenter. «Descendez là, elle va rester avec nous, c’est sa place ici…», osa quelqu’un. Ce fut une belle ambiance qui avait fini par faire disparaître une certaine peur cachée dès le départ de nombreux membres de la délégation, pour ne pas dire de tous.
Aux prochaines barrières, puisqu’elles sont nombreuses, l’élément mandaté par ses supérieurs pour nous escorter durant le trajet devait aussi «faroter» avec ses collègues, car à chaque arrêt de contrôle, il revenait avec des camarades à la recherche de Poupette. Notre comédienne fut d’ailleurs priée une fois par toute l’équipe de la délégation de l’accompagner aux postes de contrôle et de «faire elle aussi le malin» en serrant les mains des policiers en poste et pourquoi pas en signant des autographes.
En clair, Poupette, la mascotte de charme du groupe, était devenue un bon passeport pour nous.
Cela a bien payé jusqu’à notre arrivée dans la «cité du Poro» aux environs de 19h30. La délégation retrouva les organisateurs du festival à l’hôtel Mont Korhogo, à partir duquel elle a été éclatée sur plusieurs sites d’hébergement. Très fatigué, personne, après avoir déposé son baluchon, n’osait s’aventurer dehors pour prendre la température de cette cité dont l’ambiance était au demeurant calme. Apparemment les journalistes ivoiriens et burkinabè avaient été regroupés dans un même hôtel tandis que les comédiens et réalisateurs de leurs côtés également partageaient les mêmes sites avec leurs collègues ivoiriens. L’objectif du Festiko, à travers cette organisation, était de contribuer à rapprocher davantage les différents professionnels du cinéma.
Notre «exil» et l’histoire de sorcellerie
Nous avons donc aménagé à l’hôtel Le Prestige, situé à la périphérie ouest de la ville. Sans doute est-ce cette donne qui a commandé aux responsables de l’établissement de recruter des dozos munis d’armes traditionnelles pour veiller à la sécurité des clients ; notre quiétude était donc assurée. Excentré par rapport aux sites de nos camarades, notre gîte était à proximité d’un centre de malades mentaux et d’un centre de réinsertion de jeunes filles par l’apprentissage de métiers.
Des artistes ivoiriens, notamment des musiciens, se seraient réjouis de «l’exil» des hommes de médias, estimant qu’ils pouvaient ainsi prendre du bon temps dans la ville sans courir le risque que leurs randonnées nocturnes soient relayées dans la presse.
Si les journalistes ivoiriens comme burkinabè se plaignaient de leur sort, nécessité faisant loi, ils n’ont pas tardé à trouver des stratagèmes pour rester connectés au reste de la ville. En plus, ce fut d’ailleurs l’un des rares sites où les clients ont d’ailleurs bénéficié d’un meilleur traitement. Le lendemain de notre arrivée, alors que j’attendais de me faire servir mon déjeuner, je suis choqué de voir sur la première chaîne de
Chez nous au Burkina, le Centre Delwendé de Tanghin à Ouagadougou, qui accueille de vieilles personnes accusées également pour la plupart d’être des «mangeuses d’âme», est une preuve que sous nos cieux les exclusions sont souvent guidées par la méchanceté inutile de certains de nos concitoyens.
Dans l’ensemble, la capitale du nord ivoirien est très calme la nuit. Excepté certaines artères chaudes et au quartier général du festival au centre culturel, «Womiengnon», les rues ne grouillent pas de grand monde. L’état-major des FN est serein et par moments de rares véhicules dont certains sont toujours estampillés «MPCI» (1) sont positionnés devant l’entrée principale. De jour comme de nuit, les combattants de cette partie de
«Je te donne mes lunettes et je porte quoi ?»
En effet, dans la journée une voiture se met à hauteur de T.O., un homme habillé lui présente son téléphone en faisant savoir qu’il a besoin de 1000 FCFA. Le réalisateur burkinabè rétorque qu’il a les poches vides. Son interlocuteur lui demande alors sa paire de lunettes. T.O. réagit : «Je vais te donner mes lunettes et je porte quoi ?». Sur ces mots, le véhicule continua en trombe vers une destination inconnue.
Hormis ces petits et rares désagréments qu’on peut du reste vivre partout, même dans des pays en paix, notre séjour korhogolais fut un fleuve tranquille qui nous a permis de toucher du doigt la réalité du terrain ivoirien dans sa partie nord.
A l’ouverture du Festiko et même depuis l’arrivée de la délégation burkinabè, Poupette était la plus en vue pour peu qu’on découvrait sa présence. Comme quoi les séries burkinabè fabriquent des stars qui ne sont pas forcément prophètes chez elles. «Poupette par-ci, Poupette par là…. de multiples sollicitations pour des photos ou des demandes pour manger dans des familles le jour où elle séjournera à Abidjan...». C’est une preuve que nos réalisateurs sont de grands artistes et que nos comédiens ont du talent à revendre. Le commandant de
«Ne faisons pas de fixation ou de fétichisme sur les dates», dit-on.
(1) Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire. Le premier nom de baptême de la rébellion après l’éclatement de l’insurrection le 19 septembre 2002.
Cyr Payim Ouédraogo
L’Observateur Paalga du 14 février 2008
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