A cœur ouvert, mais à visage couvert avec les gérants du Kundé
Ils étaient quatre : le directeur général, le directeur commercial, son adjoint, le directeur des affaires administratives et financières de la Chaîne des Kundé. Ce sont ces hommes, visiblement tourmentés, qui ont refusé toute mention de leur nom dans l’entretien, encore moins à des séances photos, que nous avons rencontrés quelque part dans le quartier Bilbalogo, hier dans la soirée. Après s’être réfugiés à la gendarmerie depuis le début des casses le vendredi, ils n’en sont ressortis que le dimanche. Ces quatre têtes pensantes de ce concept, «les Kundé», symbole de réussite dans le domaine des débits de boisson, sont sous les feux des projecteurs depuis la découverte de ce buste d’homme sans tête en bordure du marigot de Boulmiougou, le jeudi 15 mars 2007. A moins qu’il n’y ait une machination quelque part, disent-ils, les innterviewés ne comprennent toujours pas ce qui leur est arrivé. Eux qui jurent n’être ni de près ni de loin liés au nommé Maïga Modibo Ali, principal suspect dans cette affaire rocambolesque.
A qui appartiennent les Kundé ?
• La majorité des Kundé nous appartiennent. Seulement, il peut arriver qu’un particulier nous fasse appel pour la gérance de son bar. Il a la liberté de le mettre sous le label "Kundé" ou pas. Mais ils ne sont pas nombreux. Nous entendons souvent des gens dire qu'il y a des gourous, des politiciens ou des rebelles derrière nos Kundé. Ils se trompent lourdement. C’est archifaux !
C'est facile de dire qu'il n'y a personne derrière vous. Mais reconnaissez que les Kundé ont poussé un peu trop vite !
• Vous savez, nous sommes allés petit à petit. C'est à force de sacrifice et de persévérance. Nous investissons ce que nous gagnons. Et puis notre chance, c'est que notre affaire marche. Nous ne savons pas finalement ce que nous pouvons dire pour convaincre les gens. Quand il y a une réussite quelque part, les gens voient toujours une personne derrière. Les gens oublient que l’esprit de sacrifice, la persévérance et l’imagination d’un groupe peuvent amener la réussite. En créant le concept Kundé, nous avons voulu sortir de la médiocrité. Aux Kundé, nous insistons sur la qualité du service. Et nous formons tout notre personnel. C’est le cas de nos 1200 serveuses, avant qu'elles commencent leur travail. Et il y a un suivi. C'est ce qui fait la différence. N’oubliez pas que nous sommes quatre personnes à avoir décidé de faire de ce travail notre activité principale. Nous y sacrifions tout notre temps. Car c'est un métier qui demande une très grande disponibilité. La plupart du temps, nous quittons nos foyers tôt pour revenir tard.
Est-ce suffisant pour que la réussite soit au rendez-vous ?
• Au Burkina, vous savez qu'avant la chaîne des Kundé, peu de personnes avaient le courage de mettre plus de 10 millions de francs CFA dans un bar. Si fait que certains expliquaient notre audace dans les investissements en arguant que "Non, non, non. Ce sont les rebelles". Comme si un Burkinabè ne pouvait pas investir beaucoup pour réaliser quelque chose de correct pour la population. La différence avec les autres est que nous avons fait de la gérance des bars notre métier.
Comment avez-vous appris le saccage de vos maquis ?
• Réponse du directeur général : "La veille, on m'a rapporté qu'un client a eu des altercations avec un gérant de parking au Kundé du secteur 29. Le client a été gravement blessé et est à l'hôpital, il s'est trouvé que c'était un militaire. Quelque temps après, l’on m'a appelé, me disant que "ça chauffe" à la Cité An 2. J'ai donc aussitôt pensé à une action d'hommes de tenue. J'ai appelé la police. Mais comme je ne tenais pas sur place, j'y suis allé moi-même. Ils m'ont dit que si ce sont les militaires, ils n'y vont pas. C'est à la gendarmerie que j'apprendrai qu'il s'agissait de civils. Je n'en revenais pas et je croyais toujours que c'était des militaires habillés en civil. C’est à ce moment que les gendarmes ont commencé à me raconter cette histoire de "tête coupée, de membres", que l’on imputait aux gérants des Kundé. Je suis tombé des nues et c’est comme si le ciel me tombait sur la tête. Je n’en revenais pas. Plus tard, un autre collègue m'appelle pour m’annoncer qu'on le menace de mort. Par mesure de sécurité, nous nous sommes appelés et on s'est retrouvé à la gendarmerie, où nous étions libres de nos mouvements. Ce n’est qu’hier (ndlr : le 18 mars) que nous avons quitté la gendarmerie.
Connaissez-vous le nommé Maïga, lui que certains disent être actionnaire des Kundé ?
• Nous ne le connaissons ni de près ni de loin. Nous pensons simplement qu'il y a des gens qui ont récupéré une situation, qui n'a rien à avoir avec nous. Les gens savent bien que nous n'avons jamais fait affaire avec Maïga. Certes, son père a eu à gérer le maquis de la Cité An II où est implanté un de nos Kundé. Mais c’est depuis la Révolution ! Nous étions même très petits à l’époque !
Vous avez parlé d’une éventuelle récupération. Y a-t-il des gens qui vous en veulent à ce point ?
• En attendant le résultat des enquêtes, nous ne pouvons que faire des suppositions et travailler avec des "peut-être".
Avez-vous déjà reçu des menaces du genre ?
• Non, pas ouvertement. Mais vous connaissez les Africains.
Vous insistez pour dire que le nommé Maïga n'est lié ni de près ni de loin à vous ?
Nous ne le connaissons même pas ! Nous ne l'avons jamais vu ! Il doit y avoir de la machination derrière cette affaire ! La preuve, nous avons appris que des gens ont fêté la destruction de nos maquis. Qui a bien pu lier cette affaire de Maïga à celle des Kundé ? C'est la question que nous nous posons toujours. Nous cherchons à comprendre ! Il faut qu'on nous aide à démasquer ces personnes ! Peut-être que nous avons eu la vie sauve en nous réfugiant à la gendarmerie. Sinon, nous serions morts aujourd'hui ! C'est grave !
Nous qui avions même prévu une réunion le jour de la casse au Kundé de la Cité An II… ( un long silence).
A ce jour, combien de vos Kundé sont détruits, et à combien évaluez-vous les dégâts ?
• Quatre le sont totalement. Sous réserve d'une évaluation plus détaillée, les dégâts pourraient tourner entre 150 et 200 millions de francs CFA. Rien que les investissements initiaux, pour l’ouverture du Kundé de la Cité An II, atteignaient 30 millions de francs CFA.
Sont-ils couverts par une assurance ?
• Même s’ils l'étaient, ça n’aurait servi à rien. On nous a dit qu’une assurance ne couvre pas les émeutes. A la rigueur, nous pouvons comprendre que l'on veuille détruire celui de la Cité An II parce que le père de Maïga y était au temps de la révolution. Par contre, comment peut-on expliquer l’acharnement des vandales aux secteurs 30, 28, ou au maquis Blue One en face du SIAO. C'est choquant ! Si ce n'est de la jalousie, comment vous pouvez expliquez ces actes ?
Combien d'employés aviez-vous, et que sont-ils devenus ?
• Ça va mal chez eux. C’est terrible ! Au domicile de l’un d’entre nous, il y a toute une vingtaine qui a dormi dimanche passé. C’est la désolation partout. Mais nous les avons rassurés, parce que nous croyons toujours en notre concept.
Justement, comment comptez-vous vous relever ?
• Pour le moment, nous n’avons pas une solution miracle, mais nous sommes déterminés à nous relever. Ils ont touché à notre matériel, mais notre volonté de réussir est intacte. C'est cela notre force.
Ça n'a pas joué sur vos finances ?
• Vue l’étendue des dégâts, nous avons été financièrement touchés. Mais l’important, à notre sens, c'est ce qu'il y a dans nos têtes. Nous avons peut- être été victimes de notre réussite. Mais il ne faut pas baisser les bras.
Pour une éventuelle reprise de vos activités, n'allez-vous pas changer de nom ?
• (Tous en chœur) Jamais ! Jamais ! Nous mourrons avec le label Kundé.
Est-ce que c'est possible que l'Etat vous dédommage ?
• Pour le moment, ce qui nous préoccupe, c'est de restaurer notre image, ternie. Ce qui est arrivé est terrible. Nous n’avons jamais été sales, mais aux yeux de certaines personnes, nous le sommes désormais.
Comment appréciez-vous l’action de la police pendant ces événements ?
• Elle a fait ce qu'elle pouvait, même si c’est gênant d'avoir vu les médias la devancer sur les lieux de la casse.
Dans le fonctionnement des Kundé, aviez-vous prévu ce genre d’éventualités ?
• Aucun entrepreneur ne peut prévoir ce genre de situation. C'est inimaginable, des choses pareilles. Et nous pensons que c'est même une première au Burkina. C’est à vous donner la chair de poule, et cela veut dire que nul n'est à l'abri. Par ailleurs, nous déplorons le traitement de cette affaire par certains médias. Quand nous étions à la gendarmerie, nous avons entendu ces propos du genre sur les antennes d'une radio de la place : "Les responsables des Kundé, qui ont coupé les têtes des gens, se sont rendus au commissariat". Alors qu’aucun d'entre nous ne connaît Maïga. Personne n'a de relation avec sa famille. Pendant ce temps, nos familles, nos amis écoutent probablement cette radio-là. Et vous imaginez ce que ça peut faire comme impression ! Mais par la suite, nous avons apprécié la manière de traiter l'information.
Très prochainement, nous comptons rencontrer les familles des victimes pour leur présenter nos condoléances et les rassurer que les chaînes Kundé ne sont ni de près ni de loin liées à cette affaire.
Issa K. Barry
Agnan Kayorgo
L'Observateur Paalga du 20 mars 2007
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